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CHAPITRE II MODELISATION DES PERFORMANCES INDIVIDUELLES

2.1 Cas des femelles matures

2.1.1 Priorité relative des fonctions de gestation et de gestion des réserves

2.1.1.1 Expression du potentiel

Chez les mammifères, bien que la gestation corresponde à un investissement moindre que la lactation (Clutton-Brock et al., 1989), cette fonction représente tout de même un coût énergétique substantiel pour la femelle. Ce coût augmente principalement sur le dernier tiers de la gestation : environ 80% de la croissance fœtale est achevée sur les derniers 40% de la durée de gestation (Robbins et Robbins, 1979). De ce fait, pour une femelle en fin de gestation, les besoins sont augmentés d‟au moins 50 % par rapport à une femelle de même poids non gestante (Brody, 1938). La couverture de cette demande énergétique se traduit au niveau du tissu adipeux par une séquence d‟accumulation et de mobilisation, respectivement sur la première et la dernière partie de la gestation (Chilliard, 1987 en vache et brebis; Vernon, 1981 en brebis). Cette séquence est commune aux mammifères dont la stratégie de reproduction et de survie du jeune repose sur la lactation. Chez les espèces prolifiques (e.g. brebis, chèvre), l‟effort physiologique imposé par la gestation est variable, les tailles de portée pouvant aller de 1 à 5 jeunes. Chez la chèvre, d‟après les données de 330 gestations du troupeau expérimental de l‟UMR PNA, le poids de chevreaux mis bas varie de 9 à 19 % du poids vif post-partum de la mère pour des portées de 1 à 5 chevreaux. Le tissu adipeux joue un rôle de soutien par rapport à cette demande énergétique variable. Chez la chèvre laitière, le gain net de poids en dehors de l‟utérus gravide est corrélé négativement à la taille de portée (Economides et Louca, 1981) ou au poids de portée (Figure 6). Les mêmes effets sont observables chez la brebis et la vache laitière (Chilliard, 1987).

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Figure 6 Effet du poids de portée mis bas (PCHV, en kg) sur le gain de poids vif (hors utérus gravide) pendant la gestation (GAINGEST, en kg) pour 330 gestations (données du troupeau expérimental de l‟UMR PNA). Les droites représentées sur le graphique correspondent aux régressions pour chaque rang de lactation (NLAC) suivant l‟équation: GAINGEST = a - 0.49∙PCHV avec a = 19.85 pour le rang 1 de lactation, a = 15.51 pour le rang 2 de lactation et a = 12.33 pour le rang 3 ou plus de lactation.

2.1.1.2 Environnement contraignant

Des travaux conduits dans l‟espèce caprine (Tableau 2) montrent qu‟avec des rations courantes, le tissu adipeux semble tamponner complètement les variations d‟apports et de besoins énergétiques pendant la gestation. Le poids vif à la naissance ne semble pas être affecté par les variations d‟apports dont les effets sont reportés sur le poids vif de la mère, ce dans une large gamme de variation (-40 à +100%). Dans l‟espèce ovine, des données expérimentales montrent que pour une restriction énergétique de 40% en dessous des apports recommandés, le poids mis bas est réduit de 26% pour une portée double (Geisler et Neal, 1979). Ainsi, le rôle de soutien du tissu adipeux semble s‟exercer dans une certaine gamme de sous-nutrition mais au delà d‟un seuil, la survie de l‟individu devient prioritaire par rapport au maintien de l‟utérus gravide. En caprin, la probabilité d‟avortement en condition extensive augmente pour les femelles les plus maigres (Mellado et al., 2004).

-10 0 10 20 0 5 10 15 PCHV (kg) GA IN GES T ( kg )

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Tableau 2 Effets des variations d‟apports énergétiques sur le gain de poids de la chèvre laitière pendant la gestation. L‟effet des traitements alimentaires sur le poids de portée est non significatif dans toutes les publications (p-value>0.05).

Référence Race Variation des apports (% recommandations)

Effet sur le gain de poids de la mère pendant la gestation Economides et Louca,

1981 Damascus + 25 +

Sahlu et al., 1995 Alpine - 17 ns

+ 17 ns

Sibanda et al., 1997 Matebele + 50 +

+ 100 +

Sibanda et al.,1999 Matebele - 20 -

- 40 -

Goetsch et al., 2001 Alpine - 17 -

+ 10 +

ns : effet non significatif (p-value>0.05) ; + : effet significativement positif (p-value<0.001); - : effet significativement négatif (p-value<0.001).

2.1.2 Priorité relative des fonctions de lactation et de gestion des réserves

2.1.2.1 Expression du potentiel

D‟un point de vue évolutif, la lactation est un élément essentiel de la stratégie de reproduction des mammifères (Pond, 1984). Les réserves corporelles sont un élément essentiel dans la mise en place du processus de lactation et sur l‟aptitude de la glande mammaire à fournir des nutriments à la progéniture. En effet, l‟exportation d‟énergie dans le lait au démarrage de lactation ne pourrait être satisfaite uniquement sur la base des ressources alimentaires ingérées à cette période (Oftedal, 2000). Cette nécessaire accumulation d‟énergie dans les réserves corporelles afin d‟assurer la survie du jeune est temporaire. Il existe un cycle d‟utilisation des réserves corporelles différencié par l‟évolution et qui permet d‟alterner des phases de stockage et de mobilisation.

Chez les espèces domestiques, cet aspect évolutif se traduit par une composante génétique de la dynamique d‟utilisation des réserves au cours du cycle de gestation-lactation (Friggens

et al., 2004; 2009). Cette composante génétique explique l‟échec des essais qui ont tenté

d‟annuler la mobilisation en début de lactation en manipulant le niveau des apports alimentaires (Broster et Broster, 1984). Cette composante explique également le fait qu‟une femelle laitière tende à revenir à un niveau cible de réserves corporelles (Friggens, 2003) et que l‟ingestion soit régulée par le niveau des réserves énergétiques (Kennedy, 1953). Enfin, la sélection génétique focalisée essentiellement sur des critères de production laitière a entraîné

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une demande accrue des nutriments vers la mamelle et une capacité d‟ingestion supérieure. Cette sélection sur l‟aptitude à produire s‟est aussi accompagnée d‟une sélection sur l‟aptitude à mobiliser les réserves (Dillon et al., 2006). Autrement dit, la sélection génétique a entraîné une augmentation de la priorité de la fonction de lactation ce qui s‟est accompagné d‟un accroissement du soutien de la lactation par les réserves corporelles.

La trajectoire d‟utilisation des réserves pendant la lactation se traduit par la succession d‟une phase de mobilisation puis de reconstitution (Bauman et Currie, 1980 chez la vache laitière ; Vernon et al., 1981 chez la brebis ; Chilliard, 1985 chez la chèvre laitière). Cette trajectoire traduit une priorité de la fonction de lactation après la mise-bas et une mobilisation des réserves supportant cette fonction. Chez la chèvre laitière, la quantité de lipides mobilisée se situe entre 4 et 8 kg sur les 6 premières semaines de lactation (Chilliard, 1985) mais peut être très variable (de 0.5 à 6 kg de lipides mobilisés, Sauvant et Morand-Fehr, 1991). Au cours de l‟évolution de la lactation, la priorité de la lactation diminue au profit de la reconstitution des réserves. Cette évolution des priorités entre la lactation et le stockage d‟énergie traduit le changement global de priorités depuis la progéniture née vers la progéniture à naître (Friggens, 2003). Ce changement de priorités se produit autour de la 8ème semaine de lactation pour la vache laitière (Martin et Sauvant, 2002 ; Faverdin et al., 2007) et autour de la 7ème semaine pour la chèvre laitière (Sauvant, 1981 ; annexe 1). Les données du troupeau de l‟UMR PNA ont montré qu‟une forte production en milieu de lactation était associée à une reconstitution plus lente (annexe 1).

2.1.2.2 Environnement contraignant

Les réserves corporelles ont un rôle tampon dynamique par rapport à la variation da la disponibilité des ressources alimentaires (Chilliard et al., 2000). Ce rôle est cependant partiel aussi bien en situation de déficit que d‟excédent des apports. Chez la vache laitière, le poids vif et la production laitière répondent de façon conjointe à un changement de ration (Broster et Broster, 1984). Par exemple, aux alentours de l‟équilibre énergétique, environ 50% de l‟énergie ingérée serait dirigée vers le poids vif et 50% vers le lait (Sauvant, non publié). Chez la chèvre laitière, les réponses marginales à la distribution de concentrés indiquent également une réponse conjointe du poids vif et de la production laitière à des variations d‟apports énergétiques (Sauvant et al., 2007 ; Sauvant et Giger-Reverdin, 2006). Cette réponse globale moyenne de lot est donnée à l‟échelle de périodes d‟étude de plusieurs semaines au sein de la

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lactation. A notre connaissance, aucune étude ne s‟est intéressée à l‟évolution de cette partition entre le poids vif et la production laitière en fonction du stade de lactation.

2.1.3 Priorités relatives des fonctions de gestation, de lactation et de gestion

des réserves

La gestation a un effet dépressif sur la lactation en provoquant une redirection des nutriments de la mamelle vers l‟utérus gravide. L‟effet dépressif de la gestation, mesuré par la baisse de production laitière, est lié au poids de portée (Hayden, 1979). Il existe donc un changement des priorités avec la gestation qui devient d‟autant plus prioritaire sur la lactation qu‟elle demande un effort physiologique important. L‟effet dépressif de la gestation sur la production laitière semble devenir significatif à la moitié de la gestation (Salama et al., 2005 en chèvre; Coulon et al., 1995 en vache) au moment où les besoins liés à la croissance fœtale deviennent significatifs. La réorientation d‟énergie de la lactation vers la gestation et le stockage des réserves traduit le changement d‟investissement de la femelle de la progéniture née vers la progéniture à naître (Friggens, 2003). A notre connaissance, l‟étude de la compétition entre gestation et lactation n‟a pas fait l‟objet de manipulations nutritionnelles.