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Reprenons la situation de notre patient :

Monsieur E. a été admis en soins psychiatriques à la demande d’un tiers (en l’occurrence sa femme) après une tentative de pendaison. Il a contacté son épouse en appel vidéo, alors qu’il se pendait à un kilomètre de leur domicile. Sa femme a réussi à détacher la corde alors que le patient était déjà inconscient. Après quelques jours en réanimation, il a été adressé dans notre service pour la suite de la prise en charge de sa crise suicidaire. Son admission s’est faite en soins psychiatriques à la demande d’un tiers au vu du déni massif de sa situation et de la minimisation de son geste.

M. E. est un patient de 39 ans, marié depuis 15 ans à sa femme avec qui il a 3 enfants, de 3 à 10 ans. M. E. explique qu’il travaille depuis une dizaine d’années au même poste dans une entreprise. Il fait part d’un sentiment de souffrance important au travail, avec l’impression de ne pas être reconnu à sa juste valeur. M. E. explique qu’il est toujours de ceux qui acceptent de faire des heures supplémentaires et qu’il a progressivement accepté de nouvelles responsabilités mais qu’il n’a malgré tout jamais été promu à un poste plus élevé dans la hiérarchie. De plus, le poste de M.E. s’effectue sur le mode des « trois huit », et il est donc régulièrement décalé avec les horaires de sa famille. Il relate un état d’épuisement, tant physique que psychique. Il exprime une certaine culpabilité de ne pas prendre plus de temps avec ses enfants, mais dit ne pas supporter leurs cris. Parallèlement à cette situation professionnelle compliquée, M. E. aurait également des consommations alcooliques importantes. L’alcool aurait selon ses dires une fonction anxiolytique et hypnotique. Il serait d’après lui attentif à ne pas trop s’alcooliser lorsqu’il doit s’occuper de ses enfants.

Lors de son hospitalisation, nous avions pu en sa présence rencontrer sa femme, qui avait été témoin au moment de son passage à l’acte et avait permis d’éviter une fin dramatique à l’histoire. Elle avait alors pu lui exprimer sa détresse et sa colère en rapport avec son geste. Nous apprenions alors que M. E. avait quitté le domicile familial suite à une dispute conjugale. Madame lui aurait fait part de sa volonté de séparation, lui reprochant ses absences répétées dans le foyer et son manque d’implication dans la vie de leurs enfants. Il serait alors allé dans un endroit désert et aurait filmé sa pendaison en direct, en appelant sa femme. Celle-ci aurait reconnu le lieu, aurait laissé ses enfants pour se précipiter à son secours.

Nous sommes à ce moment-là très touchés par la détresse de sa femme. Elle semble rester bienveillante et aidante malgré sa colère et l’inquiétude qu’elle a eu pour ses enfants en bas âge et pour le danger qu’elle leur a fait courir en les laissant seuls pour secourir son mari. Madame affirme qu’elle sera présente pour soutenir son mari, mais précise aussi qu’elle ne changera pas d’avis au sujet de la séparation conjugale malgré la pendaison, qu’elle appelle « chantage au suicide ».

En dépit de la violence de son geste, M. E. reste persuadé qu’un retour au domicile lui permettrait de tout arranger au niveau du couple. Il est dans le déni complet des propos de sa femme et reste sourd à nos inquiétudes. Il refuse d’ailleurs d’envisager un suivi psychiatrique ambulatoire à sa sortie et

65 exprime une grande méfiance lorsque nous lui proposons un programme de soins. M. E. semble de plus en plus persuadé que nous tentons de contourner la loi pour lui nuire.

Dans ce contexte de conflit conjugal et d’absence d’alliance thérapeutique, nous décidons alors de préserver la relation avec sa femme en nous tournons vers ses parents afin d’apporter la parole d’un tiers dans cette hospitalisation. Nous les rencontrons alors la veille de l’audience avec le Juge des Libertés. Ils témoignent de l’enfance protégée de M. E. au sein d’une cité logeant les familles de gendarmes. Le déménagement à l’âge de 19 ans de cette cité aurait été vécu comme un déchirement par le patient. Dernier d’une fratrie de 3 enfants, M. E. aurait toujours été de nature à manquer de confiance en lui. Ses parents décrivent une dégradation de l’état psychique de leur fils depuis plusieurs mois, avec une augmentation des consommations alcooliques. Ils souhaiteraient qu’il poursuive les soins encore quelques temps. Lors de cet entretien, nous arrivons à un accord avec M. E. et ses parents, sur la poursuite de l’hospitalisation encore une semaine puis un relai des soins en ambulatoires, notamment en addictologie.

Quelques temps avant son hospitalisation, M. E. aurait postulé à un nouveau poste dans une autre entreprise. Il serait selon ses dires sur le point d’être embauché, avec un meilleur salaire et des horaires de travail plus classiques. Il ne lui resterait qu’un dernier entretien à passer pour négocier les termes de son nouveau contrat. Afin d’impacter le moins possible son avenir professionnel, nous avions donc négocié avec lui en présence de ses parents une sortie d’hospitalisation la veille de cet entretien. Cela raccourcissait beaucoup la durée de l’hospitalisation que nous pensions nécessaire, mais de cette manière nous avons tenté de créer une alliance thérapeutique avec lui. Le verdict du JLD est alors venu annuler la relation que nous avions tenté d’instaurer avec le patient.

Alors qu’il prend connaissance de la décision de mainlevée du Juge, M. E., dans sa volonté de nous prouver que son état de santé mentale ne nécessite aucun soin, présente un discours minimisant gravement son passage à l’acte. Il semble s’enfoncer de plus en plus dans le déni de ses difficultés au quotidien, et envisage la sortie de l’hôpital comme la solution à tous ses problèmes. Il annule alors complètement les engagements qu’il avait pu prendre la veille lors de l’entretien avec ses parents. N’étant pas dans une relation de confiance avec le patient, nous tentons alors de contacter ses proches, pour solliciter un avis et peut-être le soutien d’un tiers. Sa femme n’étant pas joignable, nous contactons alors ses parents qui semblaient en demande de soins pour leur fils.

Ces derniers acceptent sans hésiter de nous rencontrer et se mettent en route sans tarder pour nous rejoindre à l’hôpital …

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V.

Discussion :