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Les caractéristiques du mode de production socialiste production socialiste

Dans le document Le Socialisme (Page 110-130)

1. La socialisation des moyens de production

Dans la collectivité socialiste tous les moyens de production sont propriété de la communauté. La communauté seule peut en disposer et décider de leur emploi dans la production. C'est la communauté qui produit, c'est à elle que revient le rendement de la production et c'est d'elle que dépend la manière dont les produits doivent être utilisés.

Les socialistes modernes, en particulier les marxistes, désignant d'ordinaire la communauté socialiste sous le nom de « société », appellent « socialisation » le transfert des moyens de production à la disposition absolue de la collectivité. On n'aurait rien à redire à cette expression si l'on ne savait qu'elle a été inventée pour répandre une imprécision voulue sur un des points du socialisme, dont la propagande socialiste croyait ne pouvoir se passer.

Le mot « société » a dans notre langue trois sens différents. D'abord il sert à désigner d'une manière abstraite l'ensemble des relations réciproques au sein de la société. Puis il désigne d'une manière concrète la réunion des individus eux-mêmes. Entre ces deux significations dont le sens est très nettement séparé, le langage de tous les jours en intercale une troisième : la société abstraite, que la pensée personnifie et qui devient : « la société humaine, la société bourgeoise », etc. Marx emploie cette expression dans les trois sens. C'est parfaitement son droit, tant qu'il les emploie chacun avec l'idée qui leur est propre. Mais il fait justement le contraire. Quand cela lui plaît il les échange l'un pour l'autre avec l'adresse dialectique d'un prestidigitateur. Parle-t-il du « caractère social » de la production capitaliste, il a en vue la conception abstraite de la société. Parle-t-il de la « société » qui souffre de certaines crises, il a en vue la collectivité des hommes personnifiée. Parle-t-il enfin de la « société » qui exproprie les expropriateurs et qui « socialise » les moyens de production, il a en vue une formation concrète, une réunion d'individus en société. Et ces trois significations ne cessent d'être échangées l'une pour l'autre dans l'enchaînement des preuves, selon les exigences de la thèse à démontrer, et lorsqu'il s'agit de prouver, en apparence, ce qui est impossible à prouver. Cette manière de dire, soigneusement choisie et employée avec conséquence, a d'abord pour but d'éviter le mot « État », ou un mot analogue. Car ce mot sonnait mal aux oreilles de ces républicains et de ces démocrates, au concours desquels le marxisme à ses débuts voulait encore faire appel. Un programme qui veut faire de l'État l'unique soutien et l'unique directeur de la direction, n'aurait eu aucune chance de trouver l'agrément de ces milieux. C'est pourquoi le marxisme devait et doit chercher une phraséologie qui lui permette de dissimuler le fond essentiel de son programme. Il arrive ainsi à camoufler l'abîme

profond, insurmontable, qui sépare la démocratie du socialisme. Que les hommes de l'avant-guerre n'aient pas percé ces sophismes ne prouve pas de leur part une grande pénétration d'esprit.

La science politique d'aujourd'hui entend par « État » une association souveraine, un « appareil de contrainte », caractérisé non par le but où il tend, mais par sa forme. Le marxisme a arbitrairement réduit à un tel point le concept « État », que l'État socialiste n'y pouvait être inclus. On ne doit appeler « États » que les État et les forme d'État qui déplaisent aux publicistes socialistes ; ils repoussent avec indignation pour leur État futur cette appellation ignominieuse et dégradante. L'État futur s'appellera : société. C'est ainsi qu'on a pu voir d'un côté la social-démocratie marxiste donner libre cours à ses fantaisies sur la « débâcle » de la machine étatique, sur « l'agonie de l'État », et de l'autre combattre avec acharnement toutes les tendances anarchiques, et poursuivre une politique qui mène en droite ligne à l'omnipotence de l'État109

Qu’on donne tel ou tel nom à l'appareil de contrainte de la communauté socialiste importe peu. On peut l'appeler État et se conformer aux usages qui sont courants en dehors des écrits marxistes dépourvus de toute critique. On se sert ainsi d'une expression intelligible à tous qui éveille chez chacun l'idée qu'on veut justement éveiller. Dans une enquête d'économie politique on peut très bien se passer de ce mot, qui trouve chez beaucoup d'hommes un écho sympathique ou antipathique. Mais qu'on choisisse une expression ou l'autre, c'est affaire de style et non de fond.

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Ce qui est plus important, c'est l'organisation de cet État ou de cette communauté socialiste. Lorsqu'il s'agit des manifestations de la volonté de l'État, la langue anglaise emploie très finement le mot : gouvernement, et non pas le mot : État. Rien n'est plus propre à éviter le mysticisme de l'État de la pensée étatiste, mysticisme que sur ce point aussi le marxisme développe à l'extrême. Les marxistes parlent naïvement des manifestations de la volonté de la société, sans se demander un instant comment cette « société » personnifiée serait capable de vouloir et d'agir.

La communauté ne saurait agir autrement que par l'intermédiaire d'organes qu'elle en a chargé. Pour la communauté socialiste, il va sans dire que cet organe doit nécessairement être unique. Dans cette communauté il ne peut y avoir qu'un seul organe réunissant en lui toutes les fonctions économiques et toutes les autres fonctions de l'État. Naturellement cet organe peut être articulé en plusieurs instances. Il peut subsister des postes subalternes, chargés de missions précises. Mais les résultats essentiels de la socialisation des moyens de production et de la production ne pourraient être obtenus sans l'unité dans la formation de la volonté. Il

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faut donc nécessairement qu'au-dessus de tous les postes chargés d'expédier certaines affaires il y ait un organe unique, confluent de tout le pouvoir et qui puisse concilier toutes les oppositions dans la formation de la volonté et veiller à l'homogénéité de la direction et de l'exécution.

Pour l'étude des problèmes de l'économie socialiste il est d'une importance secondaire de savoir comment cet organe est formé, et comment en lui et par lui la volonté collective arrive à s'exprimer. Peu importe que cet organe soit un prince absolu, ou la collectivité de tous les citoyens d'un pays organisés en démocratie directe ou indirecte. Il est sans intérêt de savoir comment cet organe prend sa décision et comment il exécute sa volonté. Pour notre démonstration nous considérerons cet organe comme parfait. Nous n'avons donc pas besoin de nous demander comment cette perfection pourrait être atteinte, si toutefois elle est accessible, ni si la réalisation du socialisme n'échouerait point, précisément parce que cette perfection ne peut être atteinte.

Il nous faut nous représenter ma communauté socialiste comme théoriquement sans bornes dans l'espace. Elle embrasse toute la terre et toute l'humanité qui l'habite. Si nous nous la représentons bornée dans l'espace, n'embrassant qu'une partie du globe et de ses habitants, il faudra admettre qu'il n'existe aucune relation avec les territoires en dehors de ces limites et avec leur population. C'est pourquoi nous parlons d'une communauté socialiste fermée.

La possibilité de l'existence de plusieurs communautés socialistes juxtaposées sera étudiée dans la section suivante.

2. Le calcul économique dans la communauté socialiste

La théorie du calcul économique montre que dans la communauté socialiste le calcul économique est impossible.

Dans toute entreprise importante les différentes exploitations ou les sections des exploitations jouissent, pour l'établissement des comptes, d'une certaine indépendance. Elles font réciproquement le compte des matériaux et du travail, et il est possible à chaque instant d'établir pour chaque groupe un bilan particulier, et d'embrasser dans un calcul les résultats de son activité. De cette manière on peut toujours constater le succès plus ou moins grand obtenu par chaque division. On en tirera les conclusions qui décideront de la transformation, de la réduction, de l'agrandissement des groupes existants, ou de la création de nouveaux groupes. Sans doute dans ces calculs certaines erreurs sont inévitables. La plupart proviennent des difficultés qui se produisent dans la répartition des frais généraux. D'autres erreurs viennent de ce que, en certains points, on est nécessairement forcé de calculer d'après des données approximatives, par exemple lorsque, en cherchant à se rendre compte de la rentabilité d'un procédé de fabrication on calcule l'amortissement des machines employées en estimant à une certaine durée le temps

pendant lequel elles seront encore utilisables. Cependant toutes les erreurs de ce genre peuvent être maintenues dans certaines limites, de sorte qu'elles ne faussent pas le résultat d'ensemble du calcul. Ce qui reste encore incertain peut être mis au compte de l'incertitude des conditions futures de l'économie, incertitude qu'aucun système ne pourrait supprimer.

Il semblerait tout indiqué, dans la communauté socialiste, d'essayer le même calcul autonome pour les différentes groupes de la production. Mais cela n'est pas possible, car ce calcul autonome pour les différentes branches d'une seule et même entreprise se fonde exclusivement sur les prix du marché établis pour toutes les sortes de biens et de travail employés. Mais là où il n'y a pas de marché, il ne peut se former de prix ; et sans formation de prix il n'y a pas de calcul économique.

On pourrait peut-être songer à permettre l'échange entre les différents groupes d'exploitation, pour arriver ainsi à la formation de relations d'échange (prix), qui fourniraient ainsi une base au calcul économique même dans la communauté socialiste. On organiserait, dans le cadre de l'économie unifiée sans propriété privée des moyens de production, les différents groupes de travail en groupes séparés jouissant du droit de disposition. Ils devraient naturellement se conformer aux instructions de la direction supérieure de l'économie, mais ils pourraient échanger entre eux des biens matériels et des services dont ils devraient acquitter le montant uniquement en se servant d'un moyen d'échange universel qui serait encore une monnaie. C'est ainsi qu'on se représente à peu près l'organisation de l'exploitation socialiste de la production, lorsqu'on parle aujourd'hui de « socialisation intégrale » et choses semblables. Mais ici encore on n'arrive pas à tourner la difficulté dont la solution aurait une importance décisive. Des relations d'échange ne peuvent, pour les biens de production, se former qu'avec, comme base, la propriété privée des moyens de production. Si la « communauté charbonnière » livre du charbon à la « communauté métallurgique », il ne peut se former aucun prix, à moins que les deux communautés ne soient propriétaires des moyens de production de leurs exploitations. Mais ce ne serait plus du socialisme. Ce serait du syndicalisme.

Pour le théoricien socialiste, avec sa théorie de la valeur-travail, la question est, il est vrai, fort simple. « Dès que la société est en possession des moyens de production et les emploie, elle-même et sans intermédiaire, à la production, le travail de chaque individu, quelles qu'en soient les différences d'utilité spécifique, devient dès l'origine et directement travail-de-la-société, travail social. La quantité de travail social incluse dans un produit n'a plus dès lors besoin d'être déterminé d'une manière indirecte : l'expérience quotidienne montre directement, quelle en est en moyenne la quantité nécessaire. La société peut calculer facilement combien d'heures de travail sont incluses dans une machine à vapeur, dans un hectolitre de blé de la dernière récolte, dans cent mètres carrés de drap de telle ou telle qualité... Sans doute la société devra aussi savoir combien de travail est nécessaire à la fabrication de chaque objet d'usage. Elle devra établir le plan de production en fonction des moyens de production, dont les ouvriers sont un élément essentiel. Ce

sont finalement les effets d'utilité des objets d'usage, comparés entre eux et par rapport aux quantités de travail nécessaires à leur fabrication, qui décideront du plan. Tout cela sera réglé très simplement sans qu'on ait besoin de faire intervenir la notion « valeur »110

Nous n'avons pas à reprendre ici les objections critiques contre la théorie de la valeur-travail. Elles sont cependant leur intérêt pour notre démonstration ; car elles aident à juger de l'emploi qu'on peut faire du travail comme unité de calcul dans une communauté socialiste.

».

Le calcul en travail tient compte également, semble-t-il à première vue, des conditions naturelles de la production, conditions extérieures à l'homme. Le concept du temps de travail social nécessaire tient compte de la loi du rendement décroissant dans la mesure où cette loi joue en raison de la différence des conditions naturelles de production. Si la demande pour une marchandise augmente et qu'on soit forcé par là d'avoir recours pour l'exploitation à des conditions naturelles de production inférieures, le temps de travail social généralement nécessaire pour la production d'une unité augmente aussi. Si l'on arrive à trouver des conditions naturelles de production plus favorables, la quantité de travail nécessaire baisse alors. L'on tient compte des conditions naturelles de la production, mais seulement et exactement dans la mesure où cette considération s'exprime par des changements dans la quantité de travail social nécessaire111. C'est tout. Au delà, le calcul en travail ne fonctionne plus. Il ne tient aucun compte de la consommation en facteurs de production matériels. Admettons que deux marchandises P et Q exigent au total pour leur fabrication la même quantité de travail, soit dix heures. Admettons aussi que ces dix heures de travail se décomposent dans les deux cas de la façon suivante : en ce qui concerne Q, neuf heures pour sa fabrication proprement dite et une heure pour la production de la matière première a nécessaire à sa fabrication ; en ce qui concerne P, huit heures pour sa fabrication et deux heures pour la production de la quantité double, soit 2a

matière première. Dans le calcul en travail, P et Q apparaissent équivalents. Dans le calcul en valeur, P devrait être estimé à une valeur supérieure à Q qui contient moins de matière première. Le calcul en travail est faux ; seul le calcul en valeur répond à la nature et au but du calcul. Il est vrai que ce « plus » accordé à P par le calcul en valeur par rapport à Q, il est vrai que cette base matérielle « existe de par la nature et sans que l'homme y soit pour rien112

110

Cf. Engels, Herrn Eugen Dührings Umwälzung der Wissenschaft, pp. 335…

». Cependant si ce « plus » n'existe qu'en une quantité tellement limitée qu'il devienne un objet ayant une importance

111

Cf. Marx, Das Kapital, t. I, pp. 5…

112 Ibid.

pour l'économie, il faudra, d'une manière ou d'une autre, le faire entrer en ligne de compte dans le calcul de la valeur.

Le calcul en travail présente un second défaut : c'est de ne pas tenir compte des différentes qualités du travail. Pour Marx tout travail humain est, du point de vue économique, de même qualité, parce qu'il est toujours « une dépense productive de cerveau, de muscles, de main, de nerfs humains. Un travail complexe ne vaut que comme travail simple élevé à une puissance, ou plutôt que comme travail simple multiplié, de sorte qu'une petite quantité de travail complexe équivaut à une plus grande quantité de travail simple. L'expérience montre que cette réduction s'opère constamment. Une marchandise peut être le produit du travail le plus complexe ; sa valeur la rend équivalente au produit d'un travail simple et ne représente donc en elle-même qu'une certaine quantité de travail simple113 ». Böhm-Bawerk n'a vraiment pas tort quand il qualifie cette argumentation de « chef-d'œuvre théorique d'une naïveté déconcertante114

Dans le mouvement des échanges il s'est établi, par le taux des salaires, un rapport de substitution entre le travail simple et le travail complexe – auquel du reste Marx ici ne fait pas allusion. Mais cela ne prouve nullement l'égalité de ces deux sortes de travail. Cette égalisation est la conséquence, et non le point de départ, des échanges du marché. Il faudrait, pour substituer le travail simple au travail complexe, que le calcul en travail établît un rapport arbitraire, qui exclurait toute utilisation de ce calcul pour la direction économique.

». Aussi, pour juger des affirmations de Marx, inutile de se demander s'il est possible de trouver une mesure physiologique de tout travail humain, une mesure s'appliquant également et au travail physique et au travail soi-disant intellectuel. Car, c'est un fait, il y a entre les hommes des différences de capacités et d'habileté, qui forcément influent sur la qualité des produits et le rendement du travail. Le calcul en travail peut-il être employé pour le calcul économique ? Ce qui décidera de cette question, c'est de savoir s'il est possible de réduire à un dénominateur commun des travaux de caractères différents, sans avoir recours à l'opération intermédiaire de l'estimation de la valeur de ces produits par les personnes exploitantes. Marx s'efforçait de faire la preuve, il a échoué. L'expérience montre bien que les marchandises sont mises dans le courant des échanges sans qu'on s'occupe de savoir si elles ont été produites par un travail simple ou complexe. Mais pour prouver par là que certaines quantités de travail simple sont placées, sans opérations intermédiaires, en équivalence avec certaines quantités de travail complexe, il faudrait d'abord qu'il fût bien entendu que la valeur d'échange découle du travail. Or cela non seulement n'est pas une chose entendue une fois pour toutes, mais c'est précisément ce que les raisonnements de Marx cherchent d'abord à prouver.

113

Ibid., pp. 10…

114

On a pensé pendant longtemps que la théorie de la valeur-travail était nécessaire au socialisme pour donner un fondement éthique à sa revendication touchant la socialisation des moyens de production. Nous savons aujourd'hui que cette conception était erronée. Sans doute la plupart des socialistes l'ont adoptée et employée dans ce sens. Marx lui-même, qui, par principe, se plaçait à un autre point de vue, ne s'est pas toujours gardé de cette erreur. Deux choses sont cependant bien certaines : 1° en tant que programme politique le socialisme n'a pas besoin d'être justifié par la théorie de la valeur-travail et ne saurait d'ailleurs l'être ; 2° ceux qui ont sur la nature et l'origine de la valeur économique une autre conception peuvent très bien être socialistes. Et cependant la théorie de la valeur-travail, – sans doute pas au sens usuel, – est, pour ceux qui préconisent la méthode de production socialiste, dans une société où existe la division du travail, ne pourrait être réalisée rationnellement que s'il y avait un étalon des valeurs objectivement reconnaissable qui rendrait possible le calcul économique même dans une économie sans échanges et sans monnaie. Le seul étalon auquel on puisse penser serait alors en effet le travail.

3. Dernier état de la doctrine socialiste en ce qui concerne le calcul économique

Le problème du calcul économique est le problème fondamental de la doctrine socialiste. Qu'on ait pu pendant des années parler et écrire du socialisme sans traiter

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