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Caractéristiques générales

Dans le document The DART-Europe E-theses Portal (Page 35-87)

1 État des lieux

1.1 Caractéristiques générales

Mes informateurs, décrivant l’environnement sonore de leur enfance dans les premières années du 20e siècle, tiennent à peu de choses près les mêmes propos : sur un fond de si-lence initial, évoluent des sons rares et lointains.

« (Il) y avait un silence ! Ça c’était extraordinaire, oui. Des choses qu’il y avait pas : ce qu’on appelle la pollution du bruit, quoi, à cette époque-là. Un bruit, on entendait ça loin comme ça. Ça se répercutait parce que c’était pas arrêté par les autres bruits qui se chevauchent qu’on entend maintenant. »

(Avril 1980 - André Biton, mécanicien, La Roche-Bernard, né en 1904).

CD 1. « Il y avait un silence… ». Avril 1980 - André Biton, mécanicien, La Roche-Bernard, né en 1904. Enregistrement chez l’informateur : Hervé Dréan.

« Parce qu’il y avait un silence. Oui, pis ça c’était extraordinaire. Oui, des choses que… Y’avait pas c’qu’on appelle la pollu-tion du bruit, quoi, à cette époque-là. Ça se… Un bruit, on entendait ça loin, comme ça. Ça se répercutait parce que c’était pas arrêté par les autres bruits qui se chevauchent, qui se… qu’on entend maintenant. »

À la campagne, c’est la même chose que dans la ville de La Roche-Bernard :

« C’est qu’il n’y avait pas de bruits. Les bruits n’étaient pas perdus dans les autres bruits. » (Janvier 2014 – Marie Malnoë, Le P’tit Bézo, Saint-Dolay, née en 1926).

Le voyage du bruit éphémère dans le silence ambiant est donc partout aisément perceptible.

Alphonse de Châteaubriant décrit parfaitement ce phénomène en évoquant le passage des carrioles ramenant les ouvriers des forges de Trignac en Brière, au tout début du 20e siècle.

« Cela passe, infernal, cela s’éloigne, cela se perd peu à peu, au loin, dans le silence. » (Châteaubriant, 1935 ; 18).

Les bruits, de ce fait, sont distincts, clairs et discontinus.

Saisons et vents

Selon les conditions atmosphériques et la saison, le voyage des sons dans l’atmosphère est très changeant. Tout le monde connaît en effet, ces sensations d’étouffement des sons dans les temps brumeux saturés d’humidité, et, à l’inverse, le son acéré par le temps froid et sec hivernal. « [Les voix], écrit le romancier nantais Ernest Fouinet, [sont] rendues plus claires et plus pénétrantes encore par le froid vif qui aiguise, pour ainsi dire, tous les sons. » (Fouinet, 1834 ; 38). Ainsi, dans la saison froide, les nombreux émondeurs de haies, les fagoteurs, la vingtaine de bûcherons de Burin en Saint-Dolay encore, travaillant dans la forêt voisine de la

Bretesche à quelques kilomètres au sud de La Roche-Bernard, répandent dans la campagne environnante les coups réguliers, clairs et coupants des haches.

Et puis, les sons voyagent surtout grâce aux vents, au gré de leur provenance. Leur écoute attentive et pragmatique permet à l’auditeur d’obtenir principalement des informations mé-téorologiques essentielles26. Dans la région, les vents du Sud-Ouest sont prédominants

« (apportant) les effluves tièdes et modérateurs de l’océan », puis ensuite ceux venant du Nord (Kuntz, 1929 ; 10).

Les indications tirées de cette écoute mentionnent, non pas vraiment la direction du vent, mais plutôt la chose entendue. Ce sont souvent les cloches de la paroisse ou des paroisses voisines qui sont évoquées en premier lieu par mes informateurs.

« Quand on entendait la cloche d’Arzal, les vents avaient baissé, qu’on disait. « Tiens, on en-tend la cloche d’Arzal, c’est signe de pluie ». La cloche de Marzan, c’était du beau temps.

Celle de Péaule, c’était pas bon, des averses, de la grêle… « Tiens ! On entend le bourdon d’Piaule ! » [La grosse cloche du clocher de Péaule pèse 1700 kilogrammes]… c’était un gros bruit, grave, fort. /…/ La cloche de Nivillac, c’était du beau temps aussi. La cloche de La Roche : « le vent ‘tait rendu en soulaire, dans l’trou d’la mouillette » [de la pluie]. »

26 Un vocabulaire précis désigne d’ailleurs les différentes directions du vent. Les deux secteurs dominants sont désignés Haot et Bas. Le Nord/Nord-Est, le vent de Haot, amène du beau temps en été, du froid en hiver ; le vent de Bas, d’Ouest à Sud-Ouest, signale l’arrivée de la pluie. Pour désigner les vents du Nord et du Sud, on dit par exemple : « vent d’à Haot », « vent d’à Bas », « le vent est Haot », « le vent est Nord », « Le vent est Bas ».

Les deux autres secteurs complémentaires sont : la Galerne, qui désigne une zone de noroît, Nord/Nord-Ouest - les expressions qui en découlent étant : « le vent est Galerne », « le vent est en Galerne » - et le secteur Sud/Sud-Est, c’est la Soulerne des Mitaods ou la Soulaire des Bertons.

Les vents peuvent donc éventuellement « baisser » ou « descendre » du Haot vers le Bas ou vers la Galerne par exemple. Il peut aussi tourner. Ainsi, un son est apporté par le vent « quand le vent est d’tour ». Lorsqu’il est bien orienté, le vent s’engouffre aussi parfois dans « l’trou d’la mouillette » ou encore « dans l’trou d’la neige » pour amener avec lui pluie ou neige (Décembre 2014 – Augustine Bocéno, agricultrice, Trémer, Marzan, née en 1924) ou « le vent est sous la neige » (Janvier 2013 – M. F., agricultrice, Nivillac, née en 1926). Daniel Giraudon, citant de nombreux exemples glanées ailleurs en Bretagne qui le prouve, pense que c’est là « une allusion à une ancienne croyance d’après laquelle un personnage aurait tenu la pluie enfermée dans un sac, comme Éole rete-nait les vents dans une outre. » (Giraudon, 2007, 142).

Paul Sébillot l’a déjà remarqué, les vents sont parfois assimilés à des personnes (Sébillot, 1968-1, 75). Ainsi, à Camoël, on parlait de la « fille de Galerne » dans une expression qui prédit que le vent de noroît amène un temps changeant : « La fille d’Galerne n’a qu’un bout d’béo [beau]. Les anciens disaient ça. Ça veut dire que les jours où le vent de Galerne soufflait, s’il faisait beau le matin, l’après-midi il faisait mauvais ou inversement. Le temps ne tenait pas toute la journée » (Juin 2014 – Joseph Bertho, marin-pêcheur, Kerguen, Camoël, né en 1940).

À défaut d’être vraiment un personnage dans le Berton, le vent qui vient de la mer chargé de sel – du Sud-Ouest - porte tout de même le nom de morfi à Péaule : « y’a du morfi ! ». Il est réputé mauvais pour les arbres fruitiers quand il souffle au printemps car il « brûle les bourgeons » (Avril 2016 – André Jubert, agriculteur, Kerpaix, Péaule, née en 1945). Ce vent est appelé morsec à Arzal. « Ça brûlait les feuilles d’un côté. On disait :

« t’as vu les feuilles ? Y’a du morsec dedans ! » (Juillet 2016 – Jean Le Mailloux, agriculteur, Quellec, Arzal, né en 1932).

(Décembre 2015 – Augustine Bocéno, agricultrice, Trémer, Marzan, née en 1924).

Les ensembles de cloches entendues à Trémer en Marzan. Décembre 2015 - Augustine Bocéno, agricultrice, Trémer, Mar-zan, née en 1924.

Un autre grand classique de la météorologie sonore fait référence au bruit généré par le pas-sage des deux lignes de chemin de fer traversant la région.

Les deux lignes de chemin de fer traversant la région aux 19e et 20e siècles. La plus ancienne, celle de Savenay à Landerneau passant par Fégréac à l’Est est établie en 1862 (Nenning, 2008, 79 et 87) ; celle de Vannes à La Roche-Bernard suit quarante ans plus tard, en 1903. Cette dernière ne traverse cependant la Vilaine qu’en 1912 par le pont. La jonction avec Herbignac et la presqu’île Guérandaise est désormais possible. Le train de la presqu’île est arrivé en 1907 au Rodoir, gare située au sud de la ville (Pasgrimaud, 1989, 5 et Nennig, 2003 ; 137). Moteurs et sifflets des trains Vannes - La Roche-Bernard ne vont cependant remplir l’espace sonore local que pendant une trentaine d’années, de 1902 à 1947, année de fermeture de la

ligne (Pasgrimaud, 1989 ; 12 et Nennig, 2003 ; 137). Ils ont néanmoins marqué les esprits et leur souvenir est très présent chez mes informateurs.

Deux sonorités peuvent être alors perçues, le moteur et le sifflet. Contrairement au moteur qui est constant à chaque passage du train, le sifflet ne retentit que ponctuellement à chaque fois que la voie traverse les nombreux passages à niveau sans barrière, ou encore lorsqu’un obstacle se dresse sur la voie, comme les troupeaux de vaches qui parfois s’y at-tardent (Nennig, 2003 ; 158). Le train s’entend ainsi six fois par jour au début du 20e siècle.

Les horaires publiés dans la presse en mars 1903, à l’ouverture de la ligne Vannes-La Roche-Bernard, donnent par exemple trois départs à 4 h 30, 9 h 55 et 15 h 07 ainsi que trois arri-vées à 9 h 16, 14 h 37 et 20 h 0727.

Entendu de Péaule et Nivillac, le passage plus lointain du train de l’autre ligne Landerneau - Savenay au Nord, Nord-Est ou à l’Est, est un présage de temps froid et beau.

« Le train, quand on l’entendait partir de Malansac à aller à Redon [à 12 kilomètres au Nord à vol d’oiseau], c’était pas bien beau parce que c’était du froid, et à l’été c’était signe de beau temps. »

(Décembre 2015 – André Jubert, agriculteur, Kerpaix, Péaule, né en 1945).

« On entendait le train d’Fégréac, c’était signe de grand froid *à 16 kilomètres à l’Est à vol d’oiseau]. On disait qu’on entendait les chérrettes du Haot [Les charrettes du Nord]. »

(Juin 2015 – A. G., agricultrice, Nivillac, née en 1931).

Ce bruit, très distinctif dans l’environnement sonore local, est donc désigné par une expres-sion qui lui est propre par les habitants des villages de Nivillac près de la Vilaine. Le Haot étant ici le Nord-Est car le train est entendu surtout quand les vents soufflent dans cette direction.

Parmi les grands bruits distinctifs porteurs d’indications météorologiques, il y a celui de la mer, entendu sur toute la côte. À Pénestin, un dicton très populaire dit ainsi :

« Quand la mer sonne à Loscolo [au sud-ouest de la commune], la pluie [ou : de l’eau] à grand galop ! ».

27 Le Progrès du Morbihan, 7 mars 1903, Archives du Morbihan. [En ligne]. Conseil Général du Morbihan. [Page consultée le 2 juillet 2017]. Disponibilité et accès http://www.archives.morbihan.fr

Les gens de cette commune ont développé d’ailleurs une écoute fine qui leur permet de dis-tinguer plusieurs situations.

« Si on entend la mer qui sonne à La Mine d’Or *à l’Ouest], c’est signe de pluie, à Loscolo, signe de vent [au Sud-Ouest], à Pont-Mahé, c’est du brouillard [au Sud]. »

(Avril 2015 – Jeannette Crusson, agricultrice, Le Val, Pénestin née en 1942).

D’après ces témoignages, « la mer sonne » à Pénestin. Le folkloriste Paul Sébillot avait noté cette expression ailleurs en France et pensait qu’elle faisait référence plus précisément au son de la cloche (Sébillot, 1968, II ; 12)28. Cependant, mes informateurs n’ont pas fait ce rap-prochement et le verbe sonner est employé dans la région dans le sens général de faire du bruit. Lorsque le temps est mauvais, ils disent aussi que la mer bouille en comparant sans doute le bruit qu’elle fait à de l’eau qui bout.

« Ça bouille à Pontmahé ! »

(Décembre 2014 - Guy Gervot, le bourg, Camoël, né en 1932).

Ou encore côté berton :

« Ça bout à Port Nard ! »

(Février 2014 – Jean Le Mailloux, agriculteur, Quellec, Arzal, née en 1932. Port-Nard est une anse naturelle au-dessous du lieu-dit la Bergerie à Billiers à l’estuaire de la Vilaine. Le bruit du ressac qui s’engouffre à gros bouillons dans la petite crique et frappe la falaise s’entend en effet dans les villages d’Arzal se situant à l’Ouest).

Ces deux expressions décrivent seulement la qualité du son de la mer. Mes informateurs expliquent aussi son origine par le mouvement incessant des vagues sur le fond. Le bruit ainsi produit, indépendant de l’action du vent, annonce le mauvais temps.

« Quand la mer fait du bruit, je n’sais pas, moi, ce sont les vagues qui font du bruit au fond de la mer… On l’entendait plus [davantage] avant /…/. La mer bouge avant le vent. Elle remue et on disait : « tu verras, demain, il fera mauvais temps ! » »

(Avril 2015 – Jeannette Crusson, agricultrice, Le Val, Pénestin, née en 1942).

28 Ailleurs en Bretagne, on considère que le bruit de la mer est comparable aux aboiements d’un chien. Mais sur les côtes de l’Ecosse, on pourrait retrouver l’idée de la mer qui sonne car, « certaines personnes considé-raient certains bruits des vagues qui venaient se briser sur le rivage comme un intersigne de mort. Lorsque se produisait une noyade, les vagues, dit-on, faisaient entendre comme un glas plaintif tant que le corps n’avait pas été retrouvé » (Giraudon, 2013 ; 25).

Entendre ou pas

Le voyage d’un son, aussi puissant soit-il, est toutefois tributaire, en plus de la direction des vents, de contraintes liées à la topographie. Si je reprends l’exemple des cloches, dans la grande majorité des cas, les témoignages oraux indiquent qu’il est possible d’entendre de 2 à 4 carillons. Les habitants de Trémer en Marzan, comme on l’a vu plus haut, en entendent 5. Mais certains villages n’en perçoivent aucun.

« On n’entendait pas beaucoup de choses lointaines, là où on était nous. Parce que la Butte du Piéssi, comme on disait, ça bloquait les sons… »

(Septembre 2015 – Augustine Vignard, Bois-Rivaut-de-Haut, Saint-Dolay, née en 1930)29.

Le paysage de la région de La Roche-Bernard est cependant plutôt favorable en matière de propagation du son. Il est peu accidenté et est constitué de plaines, de vallons, de coteaux et de gorges (Ogée-Marteville, 1842 et Maître, 1892, 4)30. Or, si les sons sont diffus et dispersés dans les grandes plaines, les vallées ont pour effet de les contenir.

« Soundscapes acquire their individuality through a combination of factors: In hilly habitats, sounds tend to be more contained. But when the area is flat, open, and dry, sound disperses more quickly and seems to get lost [l’environnement sonore se singularise grâce à une com-binaison de différents facteurs : Dans les régions de collines, le son a tendance à être plus contenu. Mais quand la zone est plate, sans obstacles et sèche, le son se disperse plus rapi-dement et semble perdu]. » (Krause, 2012, 27).

Le bruit de la mer va en fournir un exemple. Il est entendu, avec vent portant, jusqu’à Ca-moël, dans les villages situés à 6 kilomètres de la côte. La propagation du son est ici favori-sée par la configuration géographique des lieux.

« On entendait (la mer) de Kerguen [à Camoël], là où j’habitais étant jeune. La mer qui se brisait sur la plage de Pontmahé [à Assérac].Quand la mer était grosse, on entendait la mer qui roulait parce que c’était plat. »

(Juin 2014 – Joseph Bertho, marin pêcheur, Kerguen, Camoël, né en 1940).

L’observation d’une carte topographique permet de comprendre que le son de la mer qui se brise dans la Baie du Palandrin s’engouffre, par vent de Sud-Ouest, dans l’étier de Pontmahé

29 Cette répartition n’est pas spéciale à la région de La Roche-Bernard et a été observée ailleurs en Bretagne en milieu rural. La propagation du signal sonore des cloches sur le territoire de 8 communes du Trégor donne des répartitions spatiales sonores particulières : des « nœuds sonores » où peuvent s’entendre 2 à 4 cloches de provenances différentes, ainsi que des zones de plus faible couverture (Ollivier, 2010 ; 230).

30 Carte topographique de l’Institut Géographique National 1021 E au 1/25000e « Allaire », IGN, Paris, 1993 et 1022 OT « La Roche-Bernard », IGN, Paris, 2000.

puis dans celui du Foy. Ces deux étiers qui forment de petites gorges, s’enfoncent dans les terres sur environ 3 kilomètres. Le reste du trajet jusqu’à Kerguen est en effet sans obstacle et contenu par des élévations qui le bordent31.

Trajet du bruit de la mer de la baie du Palandrin en Pénestin jusqu’à Kerguen en Camoël. Le bruit s’engouffre dans une brèche crée par l’étier du Foy entre les élévations parallèles à la côte. Base de la carte : carte topographique de l’Institut Géographique National 1022 au 1/50000e « La Roche-Bernard », IGN, Paris, 1981.

La vallée de la Vilaine agit de même en formant comme une caisse de résonnance naturelle, grâce à l’escarpement et l’encaissement de ses rives. L’amplification des sons, leur réverbé-ration sur l’eau et dans la vallée, remonte facilement jusqu’aux villages les plus proches.

« On entendait les glaçons sur la Vilaine qui se cognaient ensemble comme ça quand il faisait très froid à l’hiver. Y’en avait qu’étaient gros comme des barriques. »

(Juin 2015 – A.G. agricultrice, Nivillac, née en 1931. Mon informatrice fait probablement ré-férence ici à l’hiver particulièrement rude de 1962 à 1963).

Il en est de même à l’endroit de confluence des nombreux petits cours d’eau qui se jettent dans le fleuve. Les étiers, appelés localement coulées, sont autant de résonateurs et de pas-sages favorisant la circulation des bruits32. Comme les sons naturels, les paroles, les cris, les

31 Carte topographique de l’Institut Géographique National 1022 au 1/50000e « La Roche-Bernard », IGN, Paris, 1981.

32 Un journaliste, signant un article sur les célébrations lors festival départemental de gymnastique des 24 et 25 août 1929 à La Roche-Bernard, décrit de manière poétique cet effet de réverbération. « Les détonations des pièces d’artifice s’amplifient dans les gorges profondes de la vallée, rompant le calme poétique d’un paysage où

chants des hommes sont répercutés d’une rive à l’autre sur une distance atteignant par en-droits plusieurs centaines de mètres. En février 1908, Pierre Mané, cultivateur, travaille dans les champs près du village de Bélléan en Marzan. Le village est séparé de la Grée de l’Isle par petite vallée. Malgré la distance, il entend une conversation entre Cécile Flohic et Yves Pa-jolec, tous les deux sur la Grée. Les propos entendus seront rapportés au juge de paix de La Roche-Bernard dans le cadre d’une affaire de diffamation. Son témoignage illustre bien le rôle des coulées dans la propagation des sons33.

« Me trouvant sur la Grée de L’Isle à environ un demi-kilomètre de la noë [une nôe [no] est un lieu humide : un pré, une prairie, un marais] où se trouvait la fille Flohic, j’ai entendu celle-ci dire à Pajolec que sa femme avait pris sept sortes d’herbes pour se faire avorter, à quoi Pajolec a répondu : « Tu n’avorteras pas, toi, tu les étoufferas » »34.

Distances

Lorsqu’on évoque la propagation des sons dans de bonnes conditions, les témoignages font état de distances impressionnantes. De certains villages de Saint-Dolay comme La Pomme-rais par exemple, on entend les cloches de Missillac au Sud, à 9,5 kilomètres à vol d’oiseau ; de Kerpaix en Péaule, celle de Caden à 9 kilomètres au Nord, du Val en Pénestin, celles d’Arzal au Nord-Est, soit 7,9 kilomètres.

Le train agrandit encore les dimensions du territoire acoustique sensible. Le « train d’Seuv’ra [Sévérac sur la ligne Landerneau à Savenay] » passant dans les marais est entendu jusqu’au Cressin à Nivillac situé à l’Ouest, à environ 15 ou 16 kilomètres de là (Février 2014 - M.F., agricultrice, Nivillac, née en 1926)35. De même, au Cosquer en Marzan, il est possible jusque dans les années 1950 de percevoir le train circulant sur le tronçon Malansac - Redon à envi-ron 14,5 kilomètres (Octobre 2014 – André Pivault, agriculteur, Cosquer, Marzan, né en 1946). On pouvait en suivre le bruit dans l’espace : « On l’entendait à partir de la gare de Malansac et on l’entendait aller jusqu’à Redon » (Décembre 2015 – André Jubert, agricul-teur, Kerpaix, Péaule, né en 1945). De 1912 jusqu’à la seconde guerre mondiale, le train de la

le silence n’est habituellement troublé que par le cri des mouettes remontant la rivière aux heures de flux ». La Presqu’île Guérandaise, 7 septembre 1929. Archives de Atlantique. [En ligne] Département de Loire-Atlantique [Page consultée le 2 mai 2015]. Disponibilité et accès : http://www.archives.loire-atlantique.fr

33 Enquête, contre-enquête et jugement entre Cécile Flohic et Yves Pajolec des 6, 13 et 20 février 1908. Mi-nutes de la justice de paix de La Roche-Bernard. A.D.M. 2U 2705.

34 Malheureusement, le document ne nous donne pas la liste des sept plantes abortives dont il est question ici.

35 Cette informatrice n’a pas voulu que je cite son nom, ni d’autres renseignements pouvant trahir son identité.

Les références incomplètes qui suivent ont la même explication.

ligne Vannes - La Roche-Bernard passant sur le pont était entendu des prés bordant la Vi-laine sous le village du P’tit Bézo en Saint-Dolay, soit à 12 kilomètres à vol d’oiseau, ou à 17 kilomètres si l’on suit le cours de la Vilaine (Septembre 2014 – Marie Malnoë, Le P’tit Bézo, Saint-Dolay, née en 1926)36.

Exemples de distances lointaines de propagation des sons intenses des cloches et du train figurées à partir de plusieurs témoignages oraux.

De par leurs caractéristiques, tous les signaux sonores évoqués jusqu’ici, les cloches, la mer, les trains, possèdent un statut de sons repères en ce qu’ils circonscrivent un espace sonore dans lequel les auditeurs trouvent de quoi se situer. Un informateur a d’ailleurs bien rappelé

De par leurs caractéristiques, tous les signaux sonores évoqués jusqu’ici, les cloches, la mer, les trains, possèdent un statut de sons repères en ce qu’ils circonscrivent un espace sonore dans lequel les auditeurs trouvent de quoi se situer. Un informateur a d’ailleurs bien rappelé

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