• Aucun résultat trouvé

L'échec de la parole

Le premier problème posé par l'œuvre mystique est le caractère proprement ineffable de ce qu'elle tente d'exprimer. Jean de la Croix affirme clairement et à plusieurs reprises l'impossibilité d'exprimer quoi que ce soit de l'expérience mystique. « [P]our autant que c'est une pure contemplation, l'âme voit clairement qu'on ne saurait exprimer par paroles aucune chose de cela, si ce n'est par quelques termes généraux.19 » « [I]l est

clair que tout sentiment est incapable de l'expliquer et l'on n'a donc qu'à garder le silence.20 » Pourtant, Jean de la Croix demeure l'un des poètes les plus célébrés de la

tradition chrétienne et de la littérature espagnole. Comment le mystique espagnol a-t-il trouvé un langage pour exprimer ce qui, selon lui-même, échappe aux sens et à l'intelligence ?

Nous pouvons, pour commencer, retracer divers procédés utilisés par le poète espagnol. Certains ont été mis en lumière par le théologien littéraire Jean-Pierre Jossua, dans ses travaux sur le langage mystique en poésie21. Jossua décrit trois procédés de ce

qu'il nomme une « poétique du "transcender" » : la négation dans la métaphore, l'oxymoron et les images liminaires.

Le premier procédé consiste en des métaphores négatives (nuit, absence, silence) ou en la négation explicite d'une métaphore positive, par exemple, l'image du « feu sans foyer » de Catherine Pozzi22, rappelant celle du buisson ardent dans l'Exode23. La négation

dans la métaphore apparaît comme l'application ou l'équivalent en poésie de la théologie

19 La Montée du Carmel, Livre II, ch XXVI, trad, du P. Cyprien, tome 1, p. 226. 20 Le Cantique spirituel, ch. XXIX, p. 853

21 Chronologiquement : Pour une histoire religieuse de l'expérience littéraire, 1985-1998, tome 4, ch. I,

p. 11-25 ; « Formes de langage de la mystique en poésie », dans Poésie et mystique, 1995, p. 15-34 ; La littérature de l'inquiétude et de l'absolu, 2000, ch. IV, p. 57-73.

22 Catherine POZZL Poèmes, 1987, p. 15. 23Exode 3,2.

là aussi, des exemples d'oxymores dans la Bible, le plus connu étant « une voix de fin silence25 » dans laquelle le prophète Élie reconnaît la présence de Dieu.

Les images liminaires, quant à elles, peuplent l'imaginaire biblique, celui des psaumes notamment. Ce sont des images de veilleurs, de guetteurs, postés à la frontière de la nuit, au seuil d'une rencontre.

Mon âme attend le Seigneur plus que les veilleurs l'aurore.26

Chacun de ces procédés est en effet utilisé de manière récurrente dans la poésie sanjuaniste. Tout le poème « Nuit obscure » est construit sur une métaphore négative. D'autres exemples de négation dans la métaphore traversent sa poésie : « sans lumière », « plus rien ne savait », « le feu qui brûle et ne fait point de peine ». Les oxymores également sont omniprésents chez lui, et peut-être plus que toute autre figure, ont frappé depuis plus de quatre siècles ceux qui ont lu ses vers. L'oxymore chez Jean de la Croix forme souvent la trame entière du poème, comme dans cette glose :

Vivo sin vivir en nu Je suis vivant sans vivre en moi y de tal manera espero et si puissant est mon désir que muero porque no muero que je meurs de ne pas mourir27

Enfin, tout le poème du « Cantique spirituel » semble utiliser le procédé de l'image liminaire, sa protagoniste s'en allant, mourante, à la recherche de celui qui l'a blessée. Chez le poète castillan, les images liminaires sont particulièrement chargées d'intensité, le sujet

24 Claude HOPIL, Les divins élancements d'amour, cant. 92,1999, p. 316. 25 IRois 19,12.

26 Psaume 130,6.

28

rencontre ».

Qu'ont en commun ces trois procédés linguistiques et pourquoi le langage mystique les privilégie-t-il ? Remarquons tout de suite que chacun de ces procédés fonctionne en fait de manière négative. Ceci est évident en ce qui concerne la négation dans la métaphore. Plutôt que de nous dire par analogie ce qu'elle tente d'exprimer, elle dit ce que ce n'est pas. On le devine également en ce qui concerne les images liminaires. Celles-ci, au fond, « n'évoquent qu'en creux ce vers quoi elles tendent29 ». Or, cela est vrai aussi pour

l'oxymore. Michel de Certeau, dans La Fable mystique, analyse ainsi l'oxymore :

L'oxymoron appartient à la catégorie des "métasémèmes" qui renvoient à un au-delà du langage, comme le fait le démonstratif. C'est un déictique : il montre ce qu'il ne dit pas. La combinaison des deux termes se substitue à l'existence d'un troisième et le pose comme absent. Elle crée un trou dans le langage. Elle y taille la place d'un indicible. C'est du langage qui vise un non-langage.30

Zundel, à propos de roxymore, fait une observation semblable : « Le contraste se résout, en effet, dans un dépassement. L'intervalle qui sépare les deux termes devient l'espace illimité suscité par l'étincelle dont ils sont les pôles. Aussi bien, ils s'unissent en s'effaçant.31 »

L'oxymore, en alliant deux termes contradictoires, constitue aussi une forme de négation, et tente d'exprimer ainsi ce qui est autrement indicible. L'utilisation de l'oxymore chez Jean de la Croix n'a d'ailleurs rien d'anodin, lui dont l'un des motifs récurrents est que « deux contraires ne peuvent pas exister à la fois dans le même sujet ».

Jossua évoque encore un quatrième procédé, qu'il semble distinguer des autres, peut-être à cause de sa valeur plus positive. Ce sont des images en elles-mêmes épiphaniques, chargées d'un sens mystérieux, numineux, et dont il trouve des exemples chez Jaccottet, Rilke et Gustave Roud. Ce genre d'images foisonne dans l'œuvre du poète chrétien, Christian Bobin. Ce sont en outre des instants fugaces, en apparence simples, mais qui prennent soudain valeur d'éternité. Ce procédé est déjà à l'œuvre chez Jean de la Croix,

28 « la tela de esta dulce encuentro », dans « Flamme d'amour vive », traduction personnelle. 29 Jean-Pierre JOSSUA, Op. cit., 2000, p. 64.

30 Michel de CERTEAU, La Fable mystique, 1982, p. 198-199. 31 Maurice ZUNDEL, Hymne à la joie, 1965, p. 76.

trouve aussi dans le « Cantique spirituel » cette beauté numineuse, sacrée, qui émane des montagnes des « vallons ombragés », des « bruissantes rivières », mais celle-ci ne parle, en « balbutiant », que du Dieu caché et aimé. Chez Jean de la Croix, le sentiment de la beauté s'accompagne presque invariablement d'un sentiment de manque.

Ce n'est pas pour y découvrir la présence d'un Dieu immanent que le poète mystique y scrute avec anxiété tout ce déploiement de formes, de couleurs et d'harmonies dont la nature est revêtue comme d'un manteau, mais bien pour rendre plus évidente et plus douloureuse l'absence d'un Dieu transcendant.

De tous les poèmes de Jean de la Croix, le « Cantique spirituel » est celui qui contient le plus d'images liées à la nature. Mais cette abondance ne fait, jusqu'à un certain point, qu'accentuer le drame, en avivant la douleur et en marquant plus encore la distance entre la beauté de la nature et la Beauté du Bien-Aimé. Aussi la nature se fait plus réconfortante à la perspective de l'union (à partir de la 13e strophe) et ne semble enfin apaisée que lorsque

l'union est consommée (à partir de la 33e strophe).

L'application de ces procédés apparaît chez Jean de la Croix moins intentionnelle que nécessaire. Certes, Jean de la Croix est un maître du vers espagnol et il connaît les figures de style pour les avoir rencontrées chez Garcilaso, Boscân et Luis de Léon35. Ce

n'est pas non plus sans en être conscient qu'il les utilise, mais il ne saurait simplement parler autrement. Jean de la Croix, plus que tout autre, est conscient de l'infinie distance qui sépare Dieu de ce qu'on peut dire sur lui. En tant que poète, il n'a pas non plus cet orgueil de pouvoir nommer Dieu. Sa poésie sur ce point demeure extrêmement humble. Et son langage, plutôt que de nous donner à entendre, nous offre un silence. Une chose que dit

33 « Cantique spirituel », str. 5, p. 58-59.

34 Max MILNER, Poésie et vie mystique chez saint Jean de la Croix, 2010, p. 104.

35 Sur les influences possibles de la poésie de Jean de la Croix, voir Ibid., p. 61-93 et Dâmaso ALONSO, La

Dieu. L'usage de métaphores négatives, d'oxymores ou d'images liminaires n'a alors rien d'arbitraire. Ces procédés constituent en quelque sorte un langage de la limite. Plutôt que de nous donner Dieu en termes saisissables, ils nous en font sentir l'infinie transcendance. Jean de la Croix, par ses nombreuses images contraires, ne cesse de montrer Dieu comme le « Tout-Autre ».

Quand on cherche à situer l'ultime par rapport au conventionnel, on a recours d'emblée au

vocabulaire de la limite. Là où le langage et le concept font défaut, défaillent, éprouvent leur manque, le réel peut surgir - ou du moins être postulé - comme cela même qu'ils ratent.36

L'expérience de Dieu, ce contact vivant avec Dieu, ne peut être réduite à des mots et la parole du mystique est inexorablement vouée à l'échec.

La malédiction de toute poésie est qu'elle semble vouée à exprimer l'ineffable. [...] Mais lorsque le poète se double d'un mystique, c'est-à-dire d'un homme qui vit en Dieu, et lorsqu'il prétend employer le langage de tous les jours pour nous faire entendre "des paroles ineffables qu'il n'est pas permis à un homme de révéler", on ne comprend pas comment il pourrait ne pas échouer.37

Or, comme le fait entendre l'avant-dernière citation, c'est précisément là où la parole échoue que le mystère apparaît, comme ce qui ne peut être nommé.

Convenons donc avec notre poète que les mots même les plus sublimes et les figures les plus recherchées ne peuvent exprimer ce qu'il a connu et que la distance entre la parole et son objet reste ici la plus grande. Or, se pourrait-il qu'il y ait autre chose que les mots, quelque chose qui se trouverait, en quelque sorte, « entre » les mots ou « au-delà » d'eux?

Le silence à l'œuvre

« Ces "paroles" ou cette "langue" - et c'est en cela que réside leur radicalité - visent à faire entendre le silence d'où elles jaillissent et où elles reconduisent.38 » Voilà les mots

d'admiration par lesquels Jacques Ancet, traducteur des poésies du mystique espagnol,

Joseph S. O'LEARY, « La percée mystique en philosophie : Plotin, Augustin », dans Philippe CAPPELLE, Op. cit., p. 133-145.

37 Max MiLNER, Op. cit., p. 61.

série de brefs poèmes, d'après son titre original : « Chansons entre l'âme et l'époux ».

Jacques Ancet montre aussi la primauté, dans la poésie de Jean de la Croix, de la musicalité sur le sens des mots, et le rapport organique de cette musique avec le silence. « À la fois imperceptible et sensible, il nous fait entendre quelque chose qui n'est de l'ordre ni du sens, ni de la musique à proprement parler. Quelque chose que Jean de la Croix caractérise lui-même comme un dire de l'indicible.40 » Ancet l'entend par exemple dans les

nombreux « a » qui parcourent comme des soupirs les premières strophes de la « Nuit obscure » :

En una noche oscura

con ansias en amores inflamada oh dichosa ventura

sali sin ser notada

estando ya mi casa sosegada A escuras y segura

por la sécréta escala disfrazada oh dichosa ventura

a oscuras y en celada estando ya mi casa sosegada.

« Murmure inaudible41 » qu'il associe à cette citation de La Nuit Obscure : « Dieu lui ayant

parlé, il ne sut que dire sinon : A, A, A.4 » Le silence dans cette poésie reste difficile à

saisir, mais on le sent présent entre les mots ; dans leur rythme, dans leur sonorité, comme dans ce qu'ils refusent de dire.

39 De même, le Cantique des cantiques, texte préféré des mystiques, est le seul texte de la Bible dans lequel

Dieu n'est pas nommé. Cf. Biaise ARMINJON, La cantate de l'Amour, Bruges, Desclée de Brouwer, 1988, p. 32.

Jacques ANCET, Art. cit., p. 30.

41/don., p. 31.

une de ses plus célèbres maximes : « Le Père céleste a dit une seule parole : c'est son Fils. D la dit éternellement et dans un éternel silence. C'est dans le silence de l'âme qu'elle se fait entendre.43 » Pour le mystique, le silence naît d'abord d'une exigence intérieure. Il est

le lieu privilégié de la rencontre : « c'est dans le silence que l'on entend les paroles de la Sagesse infinie44 ». Cette primauté du silence dans la vie du mystique ne peut, il nous

semble, que se répercuter dans récriture, surtout si l'écrivain veut précisément communiquer ce qu'il a vécu. Le silence dans la poésie mystique résulte également, comme nous l'avons vu, d'une exigence de la parole ou, plus exactement, de son insuffisance à exprimer le divin.

À la déficience de la parole et à l'exigence intérieure peut s'ajouter une autre cause, cette fois du côté du lecteur. La parole du poète, serait-elle la plus sublime, court toujours le risque d'être incomprise. Jean de la Croix dit des angoisses d'amour exprimées dans ses poèmes que « celui-là seul qui passe par cette voie pourra les connaître mais il sera impuissant à les exprimer45 ». Le mystique est donc condamné à un double silence.

Sûrement le poète sent-il, lorsqu'il parle, qu'il balbutie. Sa parole elle-même est silencieuse. Sa poésie se tait alors même qu'elle parle. Mais l'inverse est aussi vrai, elle parle alors qu'elle se tait. Et c'est là le paradoxe et peut-être la prouesse : en taisant ce qu'elle dit, elle le dit admirablement.

Au Musée de la Sainte-Croix de Tolède, à côté des tableaux du Greco, nous trouvons ce portrait anonyme de Jean de la Croix :

43 Avis et maximes, XIII, 307, p. 1226.

44 La Vive Flamme d'Amour, str. III, XVI, p. 1023. 45 La Montée du Carmel, Prologue, p. 19.

Fig 1 : Portrait de saint Jean de la Croix, Musée de la Sainte-Croix (détail)

Le saint pose un regard intense dans l'obscurité qui l'entoure. Tandis qu'on a l'habitude de représenter celui-ci touché par un trait de lumière divin, l'absence ici de toute lumière autour du carme nous rend l'objet de sa contemplation incomparablement plus présent. Dans Cantus in memoriam Benjamin Britten du compositeur orthodoxe Arvo Part, une cloche résonne à intervalles réguliers et continue à résonner « intérieurement » même quand on ne l'entend plus. De même, dans la poésie sanjuaniste, ce sont moins les mots qui parlent que son silence. Sa parole est une parole silencieuse. « La phrase mystique - nous dit Michel de Certeau - est un artefact du silence. Elle produit du silence dans la rumeur des mots46 ». C'est aussi par le silence que la poésie mystique tente de communiquer cette

« science mystique ». « Par impossible il faudrait inventer une langue réduite à un point silencieux pour la dire [cette science] telle qu'elle est.47 »

Le silence dans la poésie de Jean de la Croix, n'est qu'un exemple de ce que nous pourrions appeler, dans l'art mystique, une « poétique du vide ». Nous en voyons un exemple frappant dans Y Annonciation de Fra Angelico qui se trouve dans l'une des cellules du couvent de San Marco.

46 Michel DE CERTEAU, Op. cit., p. 208. 47 Ibid,p. 113.

Fig 2 : Fra ANGELICO, /. 'Annonciation. Cellule n° 3. Musée San Marco

On est étonné d'abord par la simplicité des traits de l'ange et de Marie. Un regard plus attentif nous fait découvrir un trait encore plus remarquable. Ici, « PAngelico introduit, à titre de réel protagoniste de la scène, un espace vide, un volume délimité par les murs, et où la lumière se répand.48 » Cette lumière, à peine visible, qui semble s'étendre en direction de

la Vierge, est la seule trace suggérée d'un Dieu invisible. Par le vide l'œuvre mystique évoque la présence qui ne peut être représentée. C'est ainsi aussi que Dominique de Courcelles analyse la peinture du Greco : « L'art pictural du Greco est un art du vide, consistant à épaissir la lumière en matière de peinture et l'essence en existence de peinture pour donner à voir en creux, en profondeur.49 » Le vide, la nuit ou le silence ne signifient

pas ici l'absence de Dieu, mais sont le lieu de sa présence voilée.

Par le silence ou le vide, l'œuvre mystique nous montre la présence de Dieu comme un mystère, comme cela même qui ne peut être représenté. Elle tend également à créer un espace de silence, d'intériorité chez celui qui la reçoit. C'est dans le dépouillement et le

48 Paolo MORACHIELLO, Fra Angelica : Les fresques de San Marco, 1996, p. 68.

49 Dominique de COURCELLES, « La chair transpercée d'un Dieu » dans Les enjeux philosophiques de la

Fig. 3 : Fra ANGELICO, L'Annonciation, Couloir nord, mur sud, Musée San Marco (détail).

Les mots eux-mêmes ne sauraient « donner » Dieu au lecteur. Seulement s'il sait arrêter sa lecture pour se poser lui-même dans la nudité du silence, la rencontre désirée par le poète sera possible.

La poésie de Jean de la Croix, à l'instar des peintures du Fra Angelico, est étonnamment sobre. Elle utilise le langage de tous les jours, la forme et les mots des chansons populaires de l'époque. Max Milner souligne « la pureté et la sobriété du "style" sanjuaniste51 », comparé au baroque si caractéristique du génie espagnol. « Ses plus belles

réussites semblent faites de presque rien52 ». « Pas de mots rares ou d'épithètes à effet. Un

dépouillement voulu qui contribue à la qualité artistique des poèmes.53 » Par un tel

dépouillement, le poète cherche à s'effacer lui-même pour laisser seule la présence de Dieu,

Jacques ANCET, Art. cit., p. 29. Nous soulignons.

51 Max Milner, Op. cit., p. 53.

52 Ibid,p. 62.

Tagore : « Mon chant a dépouillé ses parures. Je n'y mets plus d'orgueil. Les ornements gêneraient notre union; ils s'interposeraient entre nous, et le bruit de leur froissement viendrait à couvrir tes murmures.54 » Ce désir d'effacement de l'auteur est particulièrement

vrai chez Jean de la Croix qui dans ses poèmes majeurs prête sa voix à un je férninin. C'est ce qu'exprime en ses mots Maurice Zundel :

l'œuvre d'art peut être primitive, techniquement gauche, maladroite, mais cela peut être une œuvre d'art suprême, dans la mesure où l'artiste a obéi, s'est effacé totalement devant la Beauté et a su la faire passer dans cette matière de telle façon que, quand nous rencontrons cette matière, nous sommes conduits infailliblement à ce même instant de communion avec la Beauté qui a donné naissance à l'œuvre.55

Nous ne saurions adhérer complètement aux propos de Zundel. Il ne suffit pas d'être mystique pour produire une œuvre, la sainteté ne saurait suppléer au travail et au talent. Ce que nous retenons cependant de cette citation, c'est le souci pour le poète mystique de s'effacer de son texte pour laisser la seule présence de Dieu s'exprimer. La sobriété, le dépouillement, le silence sont une invitation, pour celui qui la reçoit, à dépasser l'œuvre pour se tenir en la présence de Dieu dont l'œuvre n'est que le signe.

Qu'est-ce que c'est finalement, que contempler une œuvre d'art et entrer dans son rythme, sinon rejoindre la source de l'Étemelle Beauté et dépasser toutes les formes et, à travers une réalisation particulière, mais qui porte le sceau de l'universel, dépassant cette réalisation, même si elle constitue le plus grand chef-d'œuvre, à travers ce chef-d'œuvre même, comme à travers

Documents relatifs