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Partie IV: Nouvelles conceptions de la conception pour le Génie électrique: vers l'approche « Systèmes -

IV. a.2 Caractérisation d’un nouveau cadre épistémologique possible: le constructivisme

Nous reprenons ici la grille de caractérisation en 3 questions proposée par Lemoigne [LEM-99], pour caractériser la nouvelle épistémologie constructiviste en écho de la caractérisation de l’épistémologie classique naïve déjà réalisée (voir tableau III.1). Nous illustrerons ensuite ce que cette nouvelle épistémologie peut avoir comme signification concrète dans le génie électrique.

L’hypothèse phénoménologique : L’hypothèse phénoménologique suppose que les connaissances ne sont pas définis intrinsèquement par la nature des dispositifs. Ce que nous connaissons, théorisons et modélisons est la perception que nous en avons, dans un contexte donné. Il en résulte que les théories, les modèles, … n’ont pas valeur de vérité intemporelle, indépendante des observateurs, mais sont des connaissances dynamiques continuellement remaniables pour s’adapter à de nouveaux contextes, …

Cette hypothèse propose une alternative à l’hypothèse ontologique du cadre classique (signifiant l’accès à l’essence et à la nature des objets indépendamment de la perception des concepteurs – modélisateurs) Q1 : Quelles hypothèses sous tendent la nature des connaissances ?. 2 hypothèses

2° L’hypothèse téléologique : L’hypothèse téléologique suppose que les théories et modèles sont dépendants des objectifs à atteindre par le concepteur/modélisateur dans le contexte. Ceci vient en opposition à l’hypothèse déterministe : la nature des savoirs, des connaissances devient à présent aussi liée aux fins, alors qu’elle était plutôt exclusivement déterminée par la nature et l’essence des objets dans l’approche classique, qui étaient vues comme la cause déterminante de leur nature. Pour le dire encore autrement : c’était uniquement la nature des choses qui déterminait la nature de la connaissance, alors que l’hypothèse téléologique, suppose que c’est aussi le but du projet qui va fixer la nature du savoir. Cela introduit à nouveau le concepteur - modélisateur qui définit et construit ces buts et ce projet.

1° Le principe de la modélisation systémique : les connaissances sont le résultat d’un processus de construction global, dépendant bien sur de l’objet, mais aussi du contexte, des objectifs, de l’observateur ... Ce principe relativise le principe de l’analyse réductionniste au sens où il prend acte du fait que pour faire l’étude d’un système, on ne peut pas systématiquement le réduire à l’étude de ses parties prises isolément. Autrement dit émerge au niveau du système des propriétés que l’on ne peut déduire de l’étude des composants pris isolément. Il faut donc considérer les connaissances, les théories et les modèles dans leur globalité, intégrés dans leur contexte et leurs objectifs. L’observateur fait aussi pleinement partie du système, notamment dans l’élaboration des modèles, dans le sens où ce qu’il modélisera est la perception qu’il a de ces phénomènes. Ce principe vient en complément ou en opposition de l’analyse réductionniste de l’épistémologie classique naïve. Q2 : Comment les connaissances sont-elles être produites ou constituées? 2 principes

2° Le principe d’action intelligente : les connaissances sont argumentées (et non démontrées), et sont tenues pour possibles (et non vraies). Ce principe vient en complément ou en en opposition du principe de raison suffisante de l’épistémologie classique naïve. Q3 : Comment

la validité des

1 critère En s’inspirant de [LEM-99], on peut proposer comme critère principal d’évaluation des connaissances, pour surmonter les limites du seul principe de validation expérimental, l’effectivité ce

des concepteurs/modélisateurs

- tout en sachant qu’elles peuvent être simultanément non valides dans d’autres contextes.

Pour être ainsi effectives, ces connaissances pourront avoir comme propriétés :

- L’intelligibilité, soit la capacité d’aider à la compréhension, à l’aide à la décision pour les acteurs humains, …

- La capacité à être délibérables, donc confrontables à l’expérimentation, mais pas seulement, aussi à l’argumentation, à la critique, au débat, …

- …

Tableau IV.1 : Caractérisation de l’épistémologie constructiviste proposée comme alternative à l’épistémologie classique du tableau III.1 (Inspiré de [LEM-99])

Mise en contexte dans les activités de conception du génie électrique:

Avant de continuer, et surtout parce que ce cadre épistémologique peut être déroutant pour ceux dont la sensibilité naturelle allait du côté des épistémologies classiques, nous allons les remettre dans le contexte de l’activité de conception en génie électrique.

Commençons par illustrer les hypothèses phénomologiques et téléologiques. Pour cela prenons le savoir associé que constituent les modèles physiques paramétrés (cf. figure I.3). A l’extrême, dans le cadre de l’épistémologie classique naïve, ce savoir prenait le statut d’un savoir image fidèle de la nature du dispositif (hypothèse ontologique), donc uniquement déterminé par cette nature, et fournissant toujours les mêmes réponses pour les mêmes causes (hypothèse déterministe). Avec les nouvelles hypothèses, le modèle prend plutôt le statut d’une perception des phénomènes dimensionnants par le concepteur en fonction du contexte (hypothèse phénoménologique), que ce contexte soit :

- extra personnel imposé par le contexte de l’étude, tant il est vrai qu’on n’utilisera pas le même modèle pour une étude de faisabilité grossière, une optimisation de forme très fine, ou si le contexte est la commande du dispositif. Ce modèle dépendra aussi du projet et des objectifs du concepteur (hypothèse téléologique), tant il vrai qu’il va essentiellement mettre en avant les phénomènes dimensionnants qui dépendront de l’objectif du projet. Ainsi un modèle de moteur pour ascenseur devra être complexe et précis pour les phases transitoires de démarrage, tant la gestion de ces phases constituent le but du projet. Un modèle de moteur pour ventilateur pourra être tout à fait grossier pour ces phases, mais beaucoup plus précis dans la phase de régime permanent, régime quasi exclusif dans lequel ce moteur sera utilisé. Ces modèles auront donc des plages de précision et de validité fine différentes, ce qui illustre que leur nature n’est pas seulement imposée par la structure, mais aussi par le but du projet. - personnel, tant il est vrai qu’en fonction des connaissances, compétences et expériences passées du concepteur/modélisateur, le modèle construit et utilisé ne sera pas nécessairement le même.

Le principe de modélisation systémique sera plus particulièrement mis en évidence dans le tableau IV.3°, lorsque nous détaillerons le concept de Système Complexe et les dimensions complexe de l’activité de conception. On y argumentera que des propriétés du processus de conception ne peuvent émerger que dans des systèmes complexes de conception qui doivent intégrer les concepteurs/modélisateurs.

Le principe d’action intelligente nous invite à relativiser, dans une activité de conception en génie électrique qui peut s’appuyer fortement sur des outils de calcul et de dimensionnement qui peuvent très théoriques et mathématiques, les valeurs des raisonnements que nous tenons, y compris avec ce type d’outils. Dans tous les cas, ce principe nous invite à considérer qu’il s’agit d’argumentations qui sont faites dans des cadres donnés d’hypothèses et d’idéalisations de la réalité.

Le principe d’effectivité peut s’appliquer, par exemple, aux modèles approximatifs que l’on utilise couramment en génie électrique lorsqu’on utilise des schémas équivalents (cf. le schéma équivalent de machine asynchrone de la figure I.3°). Il s’agit typiquement de connaissances qui pour un dispositif sont valables dans un contexte donné pour des objectifs donnés (modéliser globalement les transferts d’énergie en régime permanent dans le dispositif) et non valables dans d’autres contextes et objectifs (connaître par exemple la répartition locale et détaillée des champs magnétiques). Dans ce cadre, ces modèles vont donner aux concepteurs la capacité d’aider à la compréhension, à l’aide à la décision dans ce contexte, tout en pouvant être faux pour d’autres contextes et objectifs (une simulation temporelle fine de démarrage par exemple).