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La forte incidence du CCR est à l’origine de nombreuses études épidémiologiques qui ont étudié les associations bactéries – CCR. Une revue récente de la littérature a montré que

plusieurs agents bactériens (dont Streptoccocus bovis, Helicobacter pylori, Bacteroïdes

fragilis et Escherichia coli) pourraient intervenir dans le cancer colorectal (357). Parmi eux, E. coli joue un rôle particulier de par sa vaste représentation dans le tube digestif et de par son

implication dans de nombreuses affections inflammatoires. Streptoccocus bovis, Helicobacter

pylori et Bacteroïdes fragilis ne sont pas considérées comme des bactéries commensales du

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les sujets sains. De même, les souches de E. coli impliquées ne seraient pas des souches

commensales, mais des souches ayant acquis des facteurs de pathogénicité (358).

Certains mécanismes d’action permettant de suspecter un rôle potentiel de souches de E. coli dans le CCR ont été mis en évidence. C’est le cas pour des souches de E. Coli

entéropathogènes (EPEC) qui possèdent le gène eae codant une protéine bactérienne

d’attachement, l’intimine, impliquée dans des propriétés d’attachement des bactéries à la

muqueuse colique, au niveau de la partie proliférative des cryptes (359). Ces E. coli,

appartenant à la classe des AEEC (« Attaching and Effacing E. Coli »), sont surreprésentées

chez les patients CCR et sont capables d’induire dans les cellules hôtes une diminution d’expression de certaines protéines (hMLH1, hMSH2) du système de réparation de l’ADN. Ceci est à l’origine d’un phénotype MSI, voie de carcinogenèse bien identifiée dans le cancer colorectal.

D’autres souches de E. coli produisent des toxines appelées cyclomodulines, qui

interfèrent avec le cycle cellulaire (cf. chapitre 2.3.3). Certaines de ces CM – comme CDT par exemple – ont une activité génotoxique, et il est tentant de penser qu’elles pourraient intervenir dans la carcinogenèse colique (360). D’autres, telle Cif qui provoque une endoreduplication, ou CNF qui est à l’origine d’hyperploïdie en l’absence de toute division cellulaire, pourraient être considérées comme des promoteurs potentiels d’anomalies génétiques. De surcroît, par activation directe ou indirecte de GTPases, il a été montré que les CM pouvaient bloquer l’apoptose, un autre mécanisme important dans la carcinogenèse (361).

Si les E. coli producteurs de CM ont surtout été décrits dans les affections extra-intestinales,

certains E. coli associés au CCR ont également montré leur aptitude à produire des CM, en

particulier CNF et CDT (317).

Selon un mécanisme similaire aux AEEC, certaines souches de E. coli ont montré des

collaborateurs ont comparé la colonisation de la muqueuse colique par des populations bactériennes adhérentes et invasives chez des sujets normaux (symptomatiques et asymptomatiques), porteurs d’adénomes colorectaux et porteurs de CCR (362). Des bactéries adhérentes ont été retrouvées associées à la muqueuse de 3% des sujets contrôles asymptomatiques, alors qu’elles étaient retrouvées dans 90% et 93% des patients porteurs d’adénomes et de CCR respectivement. Une même colonisation était observée au niveau de la

muqueuse tumorale ou non tumorale. Parmi ces bactéries, plus de 80% étaient des E. coli, et

87% d’entre elles étaient intracellulaires. Ces résultats suggéraient donc l’implication de

souches de E. coli dans le CCR, mais sans préciser si ces souches étaient la cause ou la

conséquence du cancer. Cependant, la présence de ces bactéries adhérentes et invasives à des stades très précoces de la carcinogenèse (adénome) et dans la muqueuse non tumorale des patients plaidaient pour une action au début du processus de carcinogenèse. De même, Martin et collaborateurs ont rapporté un taux plus important de bactéries associées à la muqueuse et de bactéries intra-muqueuses sur des biopsies de patients CCR comparé à des contrôles sains

(317). Des E. coli exprimant des hémagglutinines étaient plus souvent retrouvés chez les

patients CCR que chez les contrôles (38% vs 4%, p=0.01). Les mécanismes d’actions n’ont pas été explorés de façon exhaustive mais de nombreux gènes codant des toxines et des

adhésines ont été identifiés, dont des gènes codant des cyclomodulines (cnf1, cnf2, cdt). Dans

cette même étude, les auteurs ont comparé les patients CCR à des patients atteints de maladie de Crohn. Les taux de bactéries adhérentes à la muqueuses ou intra-muqueuses étaient similaires à ceux des patients CCR, ainsi que la proportion de patients hébergeant des souches productrices d’hémagglutinines. A l’issue de cette étude les auteurs ont soulevé l’hypothèse d’une origine inflammatoire du CCR médiée par les bactéries, étant donnée la présence de

souches similaires de E. coli associées à la muqueuse chez les patients CCR et les patients

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87 son rôle dans le cancer de l’estomac. D’ailleurs, le CCR sporadique et le CCR associé aux

MICI présentent des similarités de la séquence adénome – cancer (162). Le CCR sporadique pourrait être associé à un dysfonctionnement de l’apoptose dû à un état d’inflammation chronique de bas grade de la muqueuse intestinale, état inflammatoire résultant de l’interaction entre certaines espèces du microbiote intestinal et la muqueuse colique. De plus,

la capacité de ces souches à exprimer la cyclomoduline cnf1, dont le produit de gène induit

une expression de la cyclooxygénase-2 (COX-2) dans les cellules hôtes infectées, corrobore cette hypothèse.