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IV. Le cancer de la prostate

2) Cancérogenèse prostatique

En considérant le modèle anatomique de la prostate établi par Mc Neal, la zone

périphérique semble être le lieu privilégié du développement du CaP. En effet, 75% des CaP

ont pour origine la zone périphérique contre seulement 20% pour la zone de transition. Peu

de CaP sont retrouvés au niveau de la zone centrale (Mc Neal et al., 1988; Shaikhibrahim et

al., 2012).

L’étude des biopsies prostatiques a mis en évidence le caractère multifocal du CaP qui

se traduit par la présence de nombreuses lésions précancéreuses disséminées au sein de la

glande et présentant des profils génétiques distincts (Shen and Abate-Shen, 2010). Le modèle

de cancérogenèse actuellement admis repose sur l’évolution progressive du CaP à travers

différents stades et l’accumulation de mutations aboutissant à la prolifération anarchique des

cellules de l’épithélium prostatique. Ainsi, la prostate saine présente d’abord une atrophie

inflammatoire proliférative. Celle-ci aboutit à la formation de lésions néoplasiques

intra-épithéliales qui évoluent vers un carcinome invasif (Figure 28) (De Marzo et al., 2007).

a. Atrophie inflammatoire proliférative

Des infiltrats de cellules immunitaires sont couramment observés lors de biopsies

prostatiques. Les origines de cette inflammation sont souvent inconnues et pourraient provenir

d’infections, de variations hormonales, de reflux urinaires, de calculs prostatiques, de

l’exposition à des composés chimiques ou encore de facteurs alimentaires (Woenckhaus and

Fenic, 2008).

Les cellules immunitaires telles que les lymphocytes, les macrophages ou encore les

neutrophiles sont recrutées au niveau de la zone inflammatoire. Elles produisent des espèces

réactives de l’oxygène et de l’azote qui agissent sur les cellules épithéliales et entrainent des

dommages à l’ADN et la mort cellulaire. Morphologiquement, ce processus se traduit par le

développement d’une atrophie focale. Cependant, la déstabilisation de la balance des signaux

prolifératifs et anti-prolifératifs provenant de la communication entre les cellules stromales et

les cellules épithéliales ainsi que de nombreuses altérations génétiques entrainent une

régénération cellulaire importante. Les cellules présentent alors un index mitotique élevé et un

faible taux d’apoptose, ce qui caractérise l’atrophie inflammatoire proliférative (PIA) (De Marzo

et al., 2007; Ruska et al., 1998).

Figure 28 : Formation du cancer de la prostate.

L’une des premières étapes de cancérogenèse du CaP est l’évolution de l’épithélium sain vers le

stade d’atrophie inflammatoire proliférative. Après quoi, des lésions intra-épithéliales de bas grade

puis de haut grade se forment, aboutissant à la formation d’un carcinome invasif. Cette évolution

repose sur l’accumulation d’un grand nombre d’altérations génétiques. (d’après de Marzo et

al.,2007)

Les mutations retrouvées au sein de la PIA permettent de favoriser l’instabilité

génétique et la transformation maligne des cellules. Ainsi, la perte d’expression de l’inhibiteur

de cyclines p27/KIP1 (Kinesin like protein 1), du facteur anti-prolifératif NKX3-1 ou encore de

PTEN (Phosphatase and tensin homologue) favorise la progression du cycle cellulaire. La

répression du gène GSTP1 (glutatione-S transferase p) qui code pour la protéine GSTp

protégeant les cellules des radicaux libres permet d’augmenter les altérations génétiques (De

Marzo et al., 2007; Perletti et al., 2010; Woenckhaus and Fenic, 2008). Cependant, ces

altérations se retrouvent uniquement dans une sous-population de la PIA tandis que les autres

cellules surexpriment des suppresseurs de tumeur en réponse au stress oxydatif. L’évolution

de la PIA en CaP n’est donc pas un phénomène systématique. Le haut potentiel mutationnel

établi dans cet environnement inflammatoire peut perturber la balance oncogènes/

suppresseurs de tumeur et enclencher le processus de cancérogenèse prostatique (De Marzo

et al., 2003; Nakayama et al., 2003).

b. Néoplasie intra-épithéliale

En fonction des modifications génétiques, les PIA peuvent évoluer en néoplasies

intra-épithéliales (PIN). Sur le plan histologique, les PIN de bas grade et de haut grade forment un

continuum basé sur l’évolution continue des cellules. Elles sont différenciables des autres

lésions prostatiques et présentent progressivement une hyperplasie des cellules épithéliales,

une nucléomégalie avec un nucléole proéminent et la condensation de la chromatine à

proximité de la membrane nucléaire (Brawer, 2005).

La perte d’expression de la GSTp par hyperméthylation de îlots CpG du promoteur est

l’une des altérations qui favorise la transition des PIA vers le stade de PIN (Nakayama et al.,

2003). Cela permet notamment de soutenir la diminution des télomères induite par les radicaux

libres, une caractéristique importante des cellules cancéreuses. En effet, dans la plupart des

cellules somatiques, la longueur des télomères diminue à chaque cycle cellulaire et apparait

être un facteur limitant la vie des cellules puisque lorsqu’ils sont trop courts, la division

cellulaire est inhibée et les cellules entrent en sénescence. Cependant, au sein des cellules

cancéreuses, les télomères apparaissent très courts, bien qu’elles soient encore en division

(Figure 29) (Meeker et al., 2002). A un certain point, la petitesse des télomères semble être

critique et les cellules se retrouvent en état de crise caractérisé par de nombreux

réarrangements chromosomiques tels que le gène de fusion TMPRSS2:ERG (v-ets

et al., 2003; Wang et al., 2017). Le gène TMPRSS2 encode une sérine-protéase dont

l’expression est sous le contrôle du RA. ERG est un oncogène codant pour un facteur de

transcription clé dans la régulation de la prolifération, la différenciation, l’apoptose,

l’angiogenèse ou encore l’inflammation. Cette translocation permet la surexpression du facteur

ERG, qui n’est normalement pas exprimé par les cellules épithéliales prostatiques et jouerait

un rôle dans la progression tumorale en favorisant l’angiogenèse, l’invasion et la migration

cellulaire (Carver et al., 2009; Deramaudt et al., 2001; Gupta et al., 2010). L’accumulation

progressive des altérations génétiques conduit la progression tumorale vers le stade de

carcinome invasif.

Figure 29 : Télomères courts des cellules luminales des néoplasies intraépithéliales

prostatiques.

A. Le marquage fluorescent in situ des télomères (en rouge) diffère entre les régions de l’épithélium

normal et les PIN. Le marquage des noyaux est réalisé au DAPI (en bleu) et les cellules basales

sont mises en évidence à l’aide d’un anticorps anti-cytokératine (en vert). B. Au niveau de

l’épithélium sain, les cellules luminales (flèche du haut) et les cellules basales (flèche du bas)

présentent le même marquage des télomères. C. Pour les PIN, le marquage des télomères semble

beaucoup plus faible pour les cellules luminales que les cellules basales, traduisant leur important

raccourcissement. (d’après Meeker et al., 2002)

c. Carcinome invasif

La dégradation de la membrane basale permet l’invasion du stroma adjacent par la

tumeur. L’adénocarcinome prostatique est histologiquement caractérisé par l’absence de

marquage pour p63 et les cytokératines 5 et 14. Ces marqueurs sont caractéristiques des

cellules de la couche basale de l’épithélium prostatique. Ainsi, leur absence au sein des CaP

traduit la disparition des cellules basales. Le diagnostic est également favorisé par la présence

d’un marquage fort pour AMACR (a-methylacyl-CoA racemase), un marqueur des cellules

luminales fortement surexprimé (Humphrey, 2007).

La majeure partie des CaP est composée de carcinomes acineux. Cependant, bien

que rares, d’autres types existent comme le CaP mucineux ou encore le CaP ductal. Le cancer

neuroendocrine à petites cellules représente moins de 2% des tumeurs de la prostate. En

revanche, des zones de différenciation neuroendocrine sont fréquemment observées au sein

des CaP acineux (Grignon, 2004; Shen and Abate-Shen, 2010).

Le CaP est d’abord localisé au niveau de la glande prostatique. Il peut ensuite former

des métastases au niveau des relais ganglionnaires puis au niveau des os, des poumons ou

du foie. Pour cela, une succession d’étapes est nécessaire. Les cellules tumorales

envahissent d’abord le stroma puis rejoignent les vaisseaux sanguins par un processus appelé

intravasion. La circulation les emmène au niveau des organes cibles. Elles quittent alors les

vaisseaux sanguins par adhérence aux cellules endothéliales et extravasion. Elles perçoivent

les signaux du microenvironnement, ce qui induit la prolifération cellulaire et l’établissement

d’une métastase. Le processus de progression tumorale et de formation des métastases

repose sur une transdifférenciation des cellules appelée transition

épithélio-mésenchymateuse et caractérisée par la perte de marqueurs épithéliaux au profit de

marqueurs mésenchymateux (Figure 30) (Mundy, 2002).