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Le Canada dans le monde

Nous avons entendu diverses opinions sur la relation entre les droits de la personne au Canada et dans le monde entier. Cette association revêt une grande importance. Alex Neve, secrétaire général d’Amnistie internationale Canada, nous a rappelé que l’expérience régionale est alimentée par des questions d’ordre international, et que les réponses aux problèmes internationaux découlent de préoccupations nationales. Il envisionnait donc que l’un des rôles du Musée pourrait consister à aider les gens à établir ces associations : « Aidez-les à s’ouvrir au monde et à découvrir des modèles similaires chez-nous, ou incitez-les à parler de ce qui se passe dans leur environnement et à extrapoler ces situations au monde entier. »

Bon nombre de ceux qui ont pris la parole dans le cadre de nos rencontres bilatérales et de nos tables rondes célébrait le rôle de chef de file joué par le Canadien John Humphrey dans l’ébauche de la Déclaration des droits de l’homme de l’Organisation internationale des Nations Unies.

Effectivement, le rôle prépondérant occupé par le Canada dans l’ébauche d’autres instruments internationaux de droits de la personne comme, par exemple, le Traité des mines antipersonnel et

la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones, fait la fierté de plusieurs.

Pearl Eliadis, de Montréal, mentionnait à quel point les innovations nationales en matière de respect des droits de la personne ont contribué à faire du Canada l’un des chefs de file mondial en la matière :

Les commissions canadiennes sur les droits de la personne ont joué un rôle fondamental dans l’évolution des droits de la personne au pays, et ont servi de modèle au reste du monde. L’Afrique du Sud, le Tadjikistan, le Rwanda, l’Ouganda, le Kenya, la Mauritanie... Je pourrais nommer 25 pays où des gens comme moi et mes collègues ont travaillé pour créer un modèle accessible, surtout aux personnes pauvres et vulnérables, et doté d’une vision planétaire des droits de la personne, sans égard à l’appartenance ethnique, aux croyances, à la race, et ainsi de suite. Je n’hésiterais pas à soutenir que, malgré les

critiques, ce modèle a connu un très grand succès.

Pearl Eliadis

Avocate des droits de la personne Montréal

La force du système juridique canadien a aussi contribué à notre efficacité à l’échelle internationale. On nous a rappelé le rôle joué par le Canada dans l’établissement de la Cour pénale internationale, et que les représentants officiels du Canada qualifiés sont très recherchés pour siéger aux tribunaux internationaux des droits humains de la personne en raison de leur capacité à travailler dans plus d’un système juridique et plus d’une langue. Pascal Paradis, de l’organisme Avocats sans frontières Québec, a illustré ce point en démontrant comment le solide et impartial système judiciaire canadien peut revendiquer des droits de la personne à l’échelle internationale,

en faisant référence à la récente décision du juge André Denis de la Cour supérieure du Québec dans la conviction de Désiré Munyaneza pour son rôle dans le génocide rwandais.

Toutefois, d’autres ont exprimé leur déception, leur colère et leur tristesse quant au manque de suivi du Canada à l’égard de ses initiatives internationales. Nous n’avons pas signé la Déclaration des Nations-Unies sur les droits des peuples autochtones et, généralement parlant, nos efforts pour mettre en place des outils de protection bien concrets incorporés dans la Déclaration des droits de l’enfant et autres garanties constituant des points de repère n’ont pas marqué des points chez les personnes que nous avons rencontrées.

D’autres activités canadiennes à l’étranger soulèvent aussi des préoccupations et font l’objet de critiques. Certains jugent problématiques les activités d’entités canadiennes dans d’autres pays appuyées par des dons déductibles du revenu imposable au Canada. Des personnes et des organismes de vigilance nationaux nous ont signalé que, dans certains pays, les entreprises canadiennes de l’industrie des ressources comptent souvent parmi les destructeurs de l’environnement et des droits des peuples autochtones. Ils appellent le Canada à mettre sur pied des mesures nationales qui forceraient ces sociétés canadiennes à respecter plus scrupuleusement les normes nationales et internationales de la protection des droits de la personne :

On est dans un monde qui devient de plus en plus petit, où on demande aux grandes compagnies d’être plus responsables. Quand elles investissent dans une communauté dans un autre pays de

s’assurer de l’impact de leur investissement, est-ce que ça encourage la violation des droits de la personne ? Est-ce que ça la décourage ? Est-ce que quand on fait un transfert des technologies comme la haute technologie, quels sont les usages pour lesquels cette technologie va être utilisée ? Je pense que, en tant que Canadiens, on doit demander aux compagnies d’être plus responsables et de faire le lien avec nos investissements et les droits de la personne.

Dicki Chhoyong

Les membres de sa famille étaient les premiers réfugiés en provenance du Tibet venus s’installer au Canada Montréal

Ces rencontres ont fait ressortir à quel point il est important de tenir compte de l’expérience des réfugiés et des immigrants afin de mieux jauger la relation que le Canada entretient avec le monde. À cet égard, les sentiments sont mitigés. L’on nous a parlé de l’aide fournie par le Canada aux personnes fuyant un génocide, comme ces enfants arméniens qui ont été accueillis à Georgetown, en Ontario. Par contre, l’indifférence du Canada face à ceux qui fuyaient l’Allemagne nazie pendant la Seconde Guerre mondiale constitue un volet sombre de l’histoire de l’Holocauste, tout comme la piètre performance du Canada en matière de poursuite des criminels de guerre nazis.

Cette histoire de deux navires illustre bien les politiques restrictives du Canada. En 1914, le navire Komagata Maru avec, à son bord, des immigrants en provenance du Pendjab, resta ancré dans le port de Vancouver pendant deux mois avant d’être forcé de repartir à destination de Calcutta, ses passagers s’étant vu refuser l’asile en raison de supposées violations de la politique d’immigration limitative du Canada pour

les personnes en provenance de l’Asie. En 1939, le S.S. Saint Louis, transportant à son bord près de mille réfugiés en provenance de l’Allemagne nazie, se voit refuser le débarquement au

Canada, son port d’escale final d’un voyage sous le signe du désespoir le long du littoral est des Amériques. Le navire est ainsi forcé de retourner en Europe, où bon nombre de ses passagers périront victimes de l’Holocauste.

L’histoire de l’accueil des réfugiés en sol canadien met en évidence le manque de cohérence des politiques intérieures du pays. Le Canada s’est doté de garanties constitutionnelles en matière de liberté de religion et de protection contre la discrimination fondée sur la religion ou les croyances. Il a fait sa part en offrant la sécurité aux personnes persécutées en raison de leurs croyances religieuses. Nous avons entendu les récits de personnes venues se réfugier au Canada pour échapper à des persécutions

religieuses dans leur pays d’origine. Dans le cadre de la rencontre bilatérale qui a eu lieu à Toronto, Tehseen Daniel nous a raconté ce qui suit : « Ici, nous sommes libres. Nous n’avons pas à craindre que l’on cherche à nous tuer. Nous pouvons aller à l’église en toute liberté. Le Canada est notre pays. » Mais il n’en reste pas moins que le Canada a sa propre histoire de persécution des minorités religieuses.

On a aussi attiré notre attention sur d’autres complexités de l’histoire des réfugiés. Louise Simbandumwe, originaire du Burundi, qui est arrivée au pays comme réfugiée avec sa famille, explique les choses comme suit : « Il y a un paradoxe : l’incroyable générosité des gens qui nous ont parrainés afin que nous puissions venir

nous installer ici, où il existe cependant un profond racisme dont nous avons été les victimes. »

Bon nombre de nouveaux Canadiens et de nouvelles Canadiennes ressentent de la

frustration en voyant à quel point le Canada met du temps à reconnaître leurs compétences et leurs qualifications acquises dans d’autres pays.

Ici, pour faire partie du système, il faut être très patient. Quantité de professionnels viennent s’installer au Canada, mais il faut beaucoup de temps avant que nous puissions pratiquer notre métier. Des années s’écoulent et il nous faut surmonter quantité d’obstacles... Lorsqu’on ne peut pas gagner sa vie, cela entrave nos libertés.

Siddig Musa Bolad

Résident permanent et réfugié politique du Soudan Yellowknife

Les gens qui viennent séjourner au Canada dans le cadre de programmes temporaires risquent de se voir refuser leurs droits civils et humains fondamentaux une fois sur place. Par exemple, les employés temporaires dans le secteur de l’agriculture n’ont pas entièrement accès au système de santé et n’ont pas le droit de se regrouper pour tenter d’améliorer leurs conditions d’emploi. Les personnes qui arrivent au Canada par l’intermédiaire du programme des aides familiaux résidants, majoritairement des femmes en provenance de pays sous-développés, doivent surmonter des obstacles additionnels avant d’atteindre le statut de résidence permanente et sont plus susceptibles d’être victimes de l’exploitation financière ou sexuelle, en raison de leur statut temporaire et de l’exigence voulant qu’elles habitent dans la demeure de leur employeur.

Le droit de se syndiquer et de se nommer des représentants est important en soi, mais c’est une décision qui revient aux travailleurs. On constate qu’ici, ces travailleurs ont peur de perdre leur droit de s’installer au Canada.

Gustavo Mejicanos

Coordonnateur, Alliance des travailleurs agricoles Manitoba

Le programme des aides familiaux résidants constitue la plus grande violation des droits de la personne qui soit pour nous, Philippins... Le principe de base de ce programme est anti-féministe et raciste. Nous nous sommes fixé comme objectif de l’éliminer.

Ted Alcuitas

Éditeur de Silangan, Philippine News & Views Vancouver

Sharalyn Jordan, une bénévole du Rainbow Refugee Committee de Vancouver, nous a dit que 80 pays criminalisent l’orientation sexuelle ou l’identité sexuelle; dans cinq d’entre eux, une telle accusation risque de déboucher sur la peine de mort. Le Canada fait partie des pays signataires de la Convention de Genève, qui promet l’asile aux victimes de discrimination en fonction de leur orientation sexuelle, mais cet engagement est souvent entravé par la gestion des lois

canadiennes sur les réfugiés. Le CCC a découvert à quel point une organisation bien structurée peut entraîner des changements. En 1992, par l’entremise du Programme de contestation judiciaire, Chris Morrissey, de Vancouver, a déposé une plainte auprès des tribunaux sur l’exclusion des partenaires de même sexe de la catégorie « regroupement familial » en vertu de la Loi sur l’immigration du Canada48. Ce cas, de même que le travail ardu du LEGIT (Lesbian and Gay Immigration Task Force), que Morrissey a

officielle des partenaires de même sexe dans la catégorie « regroupement familial » en 2002.

L’expérience des vétérans canadiens de la guerre nous a permis d’examiner les droits de la personne sous un autre angle. Même s’ils n’étaient pas autorisés à voter au Canada, des vétérans autochtones se sont portés volontaires lors des deux guerres mondiales. Ils nous ont dit avoir été exclus des avantages sociaux offerts aux autres vétérans. Nous avons aussi appris d’un vétéran qui avait été dépouillé de son statut d’Autochtone dans le cadre d’une

« émancipation » forcée, une amère récompense après la Première Guerre mondiale, le Canada craignant que, de retour au pays, les vétérans habitués à être traités comme des égaux sur le champ de bataille mobilisent leurs forces pour chercher à obtenir l’égalité à la maison.

Dans le cadre de diverses rencontres, on nous a parlé de l’expérience horrible vécue par les soldats canadiens prisonniers de guerre après la prise de Hong Kong lors de la Deuxième Guerre mondiale, et de leur lutte pour faire reconnaître à quel point ils avaient souffert une fois de retour au pays.

Nous avons découvert que le gouvernement canadien voulait nous balayer sous le tapis et nous oublier parce que nous n’aurions jamais dû être envoyés à Hong Kong en premier lieu. Churchill savait dans quoi nous nous embarquions, il savait que si le Japon avait déclaré la guerre, deux choix s’offraient à nous : être tués au combat, ou faits prisonniers de guerre. Deux cent quatre-vingt dix combattants sont tombés au combat, et le reste ont été faits prisonniers de guerre.

George Peterson Vétéran de Hong Kong Toronto

avaient épousé des soldats canadiens affectés à l’étranger pendant la Deuxième Guerre mondiale et qui étaient venues s’installer au Canada avec leurs enfants, étaient au nombre des milliers de personnes appelées à constater avec horreur qu’elles n’avaient pas reçu la citoyenneté canadienne qu’on leur avait promise. Ces femmes et leurs enfants étaient, en vérité, des « Canadiens perdus » en raison des anomalies des lois sur la citoyenneté canadienne qui touchaient les personnes nées à l’étranger de parents non canadiens ayant épousé des Canadiens. Ce n’est qu’après des années d’activisme que l’on est arrivé à régler ce problème profondément déstabilisant pour la génération du temps de la guerre :

Qu’est-ce que la citoyenneté ? C’est notre identité, qui nous sommes. Quelle est la première chose que Hitler a faite en arrivant au pouvoir ? Il a retiré la citoyenneté.

Don Chapman Lost Canadians Winnipeg

D’autres Canadiens et Canadiennes ont vécu des histoires de guerre des plus éprouvantes à la maison, en devenant la cible des pouvoirs extraordinaires conférés par la Loi des mesures de guerre. Les Canadiens et les Canadiennes d’origine ukrainienne ont été internés pendant la Première Guerre mondiale, tout comme les Canadiens et les Canadiennes d’origine italienne pendant la Deuxième Guerre mondiale.

Mon père a été arrêté et emprisonné injustement.

On le considérait comme un membre d’une organisation illégitime du nom des Sons of Italy. La vie de mon père et de tant d’autres a été affectée par cette expérience humiliante. En 1990, le premier ministre l’avait qualifiée de déshonorante, mais depuis, il n’y a eu aucune excuse officielle.

Certains nous disent qu’il faut oublier, que c’est du passé, mais les répercussions de cette situation sur la communauté italienne se sont fait sentir pendant plusieurs générations.

Joseph Colangelo

Canadian Italian Advocates Association (CIAO) Toronto

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, les

Canadiens et Canadiennes d’origine japonaise ont été déracinés de leurs demeures, de leurs fermes et de leurs entreprises, et relocalisés dans des camps d’internement ou dans d’autres provinces;

leurs biens leur ayant été confisqués sans

compensation, et leur citoyenneté menacée. Cette communauté a, elle aussi, subi des répercussions intergénérationnelles complexes à la suite de cet événement. Art Miki, de Winnipeg, l’un des dirigeants de la campagne de redressement des Canadiens et Canadiennes japonais internés pendant la Deuxième Guerre mondiale, décrit le complexe processus de défense de la campagne et le succès qu’il a connu.

Les personnes plus âgées avaient l’impression d’avoir commis une faute. Elles ont donc demandé aux plus jeunes de ne pas réagir, d’éviter de protester, et ainsi de suite, pour éviter d’être qualifiés de mauvais citoyens. Lorsque la génération des plus jeunes Canadiens et Canadiennes japonais a commencé à protester,

c’est leur propre communauté qui les a laissé tomber... Après que le gouvernement a formulé des excuses, des gens sont venus me voir et me dire qu’ils se sentaient enfin de véritables Canadiens et Canadiennes et sentaient qu’on les avait acceptés.

Ils avaient porté ce lourd fardeau jusque-là. Ce règlement s’est avéré des plus importants pour notre communauté. Ça leur a signalé que ce n’était pas eux qui étaient la source du problème, mais plutôt le gouvernement.

Arthur (Art) Miki Ancien président

Association nationale des Canadiens japonais Winnipeg

Le docteur Walter Epp de Thunder Bay nous a fait découvrir un autre angle de l’expérience en temps de guerre. À titre de Mennonites, bon nombre des membres de sa famille étaient des objecteurs de conscience pendant la Seconde Guerre mondiale, et ils ont passé du temps dans des camps de

« services alternatifs » en Colombie-Britannique plutôt que de se faire envoyer au combat. Tout comme d’autres objecteurs de conscience à la guerre, tels que les Doukhobors, ils ont perdu leur droit de vote et ont été forcé de faire campagne pour le retrouver.

Nous avons entendu les commentaires de bon nombre d’immigrants canadiens à propos des violations de leurs droits humains, des conflits qui sévissent dans leur pays d’origine et qui continuent à les affecter au Canada. Certains de ces conflits ont des origines historiques, mais leur souvenir ne s’estompe pas rapidement; les plaies qu’ils ont générées ne se cicatrisent pas, et la discorde sur l’histoire se poursuit. D’autres sont plus récents, et même courants. Ceux qui habitent au Canada ont encore des parents et des amis dans leur pays d’origine qui courent des risques,

et ils doivent composer avec les traumatismes des expériences qu’ils ont vécus eux-mêmes.

C’est très personnel, c’est très vivant. C’est une question qui est encore à résoudre, alors ça me tient très à cœur.

Dicki Chhoyong

Les membres de sa famille étaient les premiers réfugiés en provenance du Tibet venus s’installer au Canada.

Montréal

La controverse qui entoure bon nombre de ces conflits, qu’ils soient historiques ou courants, a suivi ces personnes et ces communautés jusqu’au Canada. Certains des gens avec qui nous avons parlé ont insisté sur l’importance, pour le Musée, de prendre position pour un camp ou un autre dans ces débats, afin d’identifier une position particulière ou de valider une

« vérité » particulière. La plupart d’entre eux ont cependant adopté une approche moins partisane.

Ils recommandaient que le Musée fasse l’effort d’éclaircir les faits et de se livrer aux recherches appropriées sur les événements en question.

Ensuite, plutôt que d’endosser une version plutôt qu’une autre de ces témoignages contestés, le Musée pourrait examiner les faits sous-jacents et étudier ce qu’il pourrait faire pour jéter un pont entre les parties en conflit et promouvoir une meilleure compréhension de la situation. À cet égard, nos participants ne demandaient pas tant que le Musée serve de médiateur dans les conflits anciens et courants, mais plutôt qu’il gère ses programmes d’éducation publique et conçoive ses éléments d’exposition afin d’améliorer les connaissances globales et de favoriser l’acceptation, en plus de promouvoir le respect des droits de la personne.

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