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3 Différentes composantes de l’adaptation visuomotrice à une altération des distances

3.1 Calibration inter-sensorielle et dominance sensorielle

comportait une composante visuelle et une composante motrice représentant respectivement deux tiers et un tiers de l’adaptation totale. Aucune composante adaptative proprioceptive n’a été mise en évidence (article 1). Même si la totalité de la composante visuelle de l’adaptation n’est pas liée à la (re)calibration visuelle et comporte une composante d’EMP22, un processus de calibration visuelle a bien été mis en évidence. Le développement d’une adaptation de la modalité visuelle est rarement observé lors de l’exposition à court terme aux prismes latéraux, l’adaptation survenant le plus souvent dans les modalités non visuelles, selon la théorie ancienne de « dominance visuelle » (Welch, 1974, pour revue).

Ce paragraphe aborde la notion de « dominance visuelle » sous l’angle de théories plus récentes traitant de la calibration inter-sensorielle afin de mieux appréhender nos résultats ainsi que leur écart par rapport aux résultats classiquement décrits pour l’adaptation aux prismes latéraux. Une discordance entre les informations spatiales de deux modalités sensorielles entraîne le déplacement des informations spatiales d’une modalité sensorielle vers l’autre. Selon l’hypothèse la plus ancienne de dominance visuelle, les modifications s’opèrent

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dans la modalité non visuelle qui s’ajuste afin de correspondre à la modalité visuelle (Hay &

Pick, 1966; Rock & Victor, 1964; Warren & Rossano, 1991). La théorie de dominance visuelle a été remise en question par l’observation d’une recalibration de la modalité visuelle par les autres modalités (Atkins, et al., 2003; Lewald, 2002; van Beers, et al., 2002). Les théories plus récentes proposent ainsi que la calibration inter-sensorielle soit déterminée par le poids de chaque modalité sensorielle (Ghahramani, et al., 1997; Witten & Knudsen, 2005). Le poids d’une modalité sensorielle dépend de la précision de son information spatiale (liée à l’inverse de sa variance). La calibration s’effectue au sein de la modalité sensorielle dont le poids est le plus faible. Ce modèle a été appliqué aux discordances visuo-auditives (Ghahramani, et al., 1997; Lewald, 2002), tactiles (Burge, et al., 2010), et visuo-proprioceptives (van Beers, et al., 2002). La dominance visuelle survient par exemple lorsque la variance associée à l’estimation visuelle est plus faible que celle associée à l’estimation haptique (Ernst & Banks, 2002).

Si l’on considère ce modèle en fonction de la direction latérale ou en profondeur, la précision de la localisation spatiale fondée sur la vision et sur la proprioception varie selon la direction (figure 13).

Figure 13. Précision de la localisation fondée sur la vision et sur la proprioception en fonction de la direction latérale ou en profondeur.

Les ellipses présentent une vue schématique (qui n’est pas à l’échelle) de la précision de la localisation d’une cible visuelle ou proprioceptive. Plus une ellipse est étroite dans une certaine direction, plus la localisation est précise. Ces ellipses sont à peu près orthogonales. D’après van Beers et al. (2002).

La localisation proprioceptive est généralement plus précise en profondeur qu’en latéral (van Beers, et al., 2002). Van Beers et al. (1998; 2002) attribuent cette observation aux relations géométriques entre segments du bras. En effet, la position de la main par rapport au tronc est déterminée par les angles des articulations de l’épaule et du coude, ainsi que par la longueur des deux segments représentant l’avant-bras et le bras. Selon les auteurs, l’imprécision de la localisation proprioceptive de la main est attribuée aux seules articulations. La figure 14 illustre la précision de la localisation proprioceptive de la main lorsque le bras est soit en extension soit en flexion, ces deux positions étant utilisées pour la localisation en profondeur et en latéral respectivement.

Figure 14. Précision de la localisation proprioceptive de la main, bras en extension (a) ou en flexion (b).

Les ellipses représentent la distribution de la localisation proprioceptive de la main. (a) Bras en extension (vue de dessus). L’information bruitée sur les angles du coude et de l’épaule engendre des imprécisions dans la même direction, donnant une ellipse allongée dont l’axe principal est perpendiculaire à la ligne reliant l’épaule à la main. (b) Bras en flexion. L’information bruitée sur les angles du coude et de l’épaule affecte la précision dans des directions différentes. L’ellipse est donc moins allongée que pour le bras en extension. De plus, le bruit engendré par l’articulation de l’épaule est plus faible, car la distance entre la main et l’épaule est plus faible.

L’aire de l’ellipse est donc inférieure à celle du bras en extension, impliquant que la position de la main soit perçue plus précisément. D’après van Beers et al. (1998).

La localisation visuelle est au contraire plus précise en latéral qu’en profondeur (figure 13). Les raisons seraient géométriques plutôt que physiologiques (Brenner & Smeets, 2000). La résolution angulaire de l’information extra-rétinienne sur l’orientation des yeux est en effet comparable pour la distance (vergence) et pour la direction (version) (Brenner &

Smeets, 2000; Collewijn & Erkelens, 1990). Lors de la présentation simultanée de deux

cibles, les seuils de discrimination de la direction (seuil vernier) et de la profondeur (seuil stéréoscopique) sont similaires et inférieurs à 10 secondes d’angles, avec des variations observées en fonction de la tâche et des individus (Foley, 1976, pour revue). Cependant, pour une résolution angulaire donnée, la résolution en unités métriques est inférieure pour la localisation en profondeur que pour la localisation en latéral : une faible erreur angulaire dans l’estimation de la direction conduit à de plus grandes erreurs métriques d’estimation en profondeur qu’en latéral (figure 15a). Brenner & Smeets (2000) ont ainsi observé lors d’une tâche d’alignement vernier des erreurs variables plus importantes pour la distance que pour la direction, cette asymétrie augmentant avec la distance de fixation. Ces différences disparaissaient lorsque les erreurs étaient exprimées en angles (figure 15b). Par conséquent, le signal de localisation dérivé de la vergence est moins précis et plus bruité que celui dérivé de la version (Blohm, et al., 2008; Snijders, et al., 2007).

a b

Figure 15. Erreur d’estimation de la localisation en latéral et en profondeur (a) et résultats individuels pour l’alignement de deux lignes verticales en latéral et en profondeur (b).

(a) Pour le même signal métrique d’erreur AB en profondeur et AC en latéral, AB sera détecté plus difficilement que AC car correspondant à un angle de disparité rétinienne α plus faible que l’angle rétinien β sous-tendant AC.

(b) Sur la gauche sont présentés les alignements en direction et en distance (points noirs) par rapport à la référence (croix). Sur la droite sont présentées les mêmes données exprimées en unités angulaires. Modifié d’après Brenner & Smeets (2000).

Sur la base de ces observations et des modèles précédemment proposés, van Beers et al.

(1999b) ont décrit un modèle d’intégration visuo-proprioceptive basé sur une pondération des indices variant selon la direction (latérale ou en profondeur), la précision des indices dépendant de la direction considérée. La calibration inter-sensorielle (visuo-proprioceptive) prédite par ce modèle a été expérimentalement vérifiée (Snijders, et al., 2007; van Beers, et al., 2002) et permet d’expliquer les différences de contribution des composantes de l’adaptation entre altération de la direction visuelle et altération des distances apparentes, c’est-à-dire une composante principale proprioceptive dans le premier cas et une composante principale visuelle dans le second.

La nature proprioceptive de la composante décrite par Wallach & Smith (1972) après exposition à des prismes bases externes ne peut pas être établie sur la base des tests réalisés.

En effet, les auteurs n’ont pas mesuré directement cette composante qui a été obtenue par différence entre composantes visuomotrice et visuelle. La participation motrice n’a ainsi pas été évaluée. Il est intéressant de noter que la contribution relative des composantes visuelle (deux tiers) et (proprioceptivo)-motrice (un tiers) observée par ces auteurs était similaire à celle obtenue dans l’étude 2 (article 1).

Van Beers et al. (1999b) ont également montré que le poids d’un indice n’était pas déterminé par l’attention accordée à chaque indice, comme le proposaient des théories plus anciennes (Canon, 1970, 1971; Uhlarik & Canon, 1971), sans éliminer toutefois la possibilité d’influence des facteurs attentionnels (e.g., Warren & Schmitt, 1978). Par ailleurs, ce modèle de calibration sensorielle basé sur la précision décrit correctement la calibration inter-sensorielle mais ne prend pas en compte les influences du feedback sensorimoteur (Burge, et al., 2010).

Ces profils adaptatifs différents entre altération des distances apparentes et de la direction visuelle sont à rapprocher d’études récentes reposant sur la clinique et l’imagerie (Danckert, et al., 2009; Quinlan & Culham, 2007) évoquant la possibilité d’un contrôle différent du mouvement pour les mouvements réalisés dans le plan sagittal et le plan fronto-parallèle. Le rôle du cortex pariétal dans le codage de l’action selon l’axe de la profondeur a été souligné par Ferraina et al. (2009).

3.2 FACTEURS EXPÉRIMENTAUX AFFECTANT LA CONTRIBUTION DES