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Adaptation visuelle à une altération des distances apparentes

3 Chapitre : adaptation visuomotrice à une altération des distances apparentes

3.3 Adaptation visuelle à une altération des distances apparentes

De nombreuses études ont mis en évidence des modifications dans la perception des distances après quelques minutes d’exposition à des prismes bases opposées (Ebenholtz, 1981; Owens & Leibowitz, 1980; von Hofsten, 1979; Wallach & Frey, 1972a; Wallach, et al., 1972). L’explication de ce post-effet de distance est sujette à de vifs débats. Deux théories

s’affrontent. La première repose sur une modification du tonus oculomoteur liée à un phénomène de potentiation musculaire extra-oculaire (Ebenholtz, 1974, 1981; Ebenholtz &

Fisher, 1982; Ebenholtz & Wolfson, 1975; Paap & Ebenholtz, 1977). La seconde repose sur la recalibration du signal de distance dérivé de la vergence.

Une condition nécessaire au processus de recalibration est la présence d’informations spatiales conflictuelles durant l’exposition. L’introduction de prismes bases opposées induit tout d’abord un conflit intra-sensoriel (visuel) entre signaux altérés de vergence et signaux monoculaires non altérés tels que la perspective linéaire, la parallaxe de mouvement ou la taille familière des objets (Wallach & Frey, 1972a; Wallach, et al., 1972). Les prismes bases opposées induisent également un conflit inter-sensoriel entre vision (par altération de la vergence) et proprioception du membre exposé (Wallach & Smith, 1972). Ces conflits représentent la base de l’adaptation perceptive (Epstein, 1975; Wallach & Frey, 1972c) et plus précisément de la recalibration de la relation entre le signal de vergence et la distance perçue (Wallach, et al., 1972).

Ebenholtz et al. (Ebenholtz, 1974, 1981; Ebenholtz & Fisher, 1982; Ebenholtz & Wolfson, 1975; Paap & Ebenholtz, 1977) ont proposé que les post-effets de distance décrits par Wallach en terme de recalibration résultent en fait des seuls effets perceptifs d’une vergence soutenue. Les conditions d’exposition de Wallach entraînaient en effet le maintien d’une convergence de près (à l’aide de prismes bases externes) ou de loin (prismes bases internes), induisant un phénomène de potentiation musculaire extra-oculaire (EMP)12. Contrairement à la recalibration, la potentiation musculaire extra-oculaire ne nécessite de conflit perceptif, se développant ainsi en l’absence d’indices secondaires de distances (Paap & Ebenholtz, 1977).

Wallach & Halperin (1977) ont répliqué aux arguments d’Ebenholtz en précisant que la majorité des distances de fixation sous prismes bases externes dans les études de Wallach et al. (1972) étaient supérieures à la distance de la PPR12. Dans ces conditions, le post-effet lié à l’EMP proposé par Ebenholtz aurait dû aller dans le sens inverse à celui obtenu. Cependant, les distances de fixation des sujets étant libres et non contrôlées, il est difficile de connaître les distances de convergence dans ces études et donc de trancher entre les hypothèses d’EMP et de recalibration.

12 Voir chapitre 1, section 1.3.3

Potentiation musculaire extra-oculaire (EMP)

Si les études précédemment citées distinguent difficilement les deux théories, une étude de Paap & Ebenholtz (1977) a mis directement en évidence des post-effets de distance secondaires à la potentiation musculaire lors de l’exposition aux prismes. Toute composante de recalibration était exclue par l’absence d’indices secondaires de distances. L’amplitude et le sens du post-effet variaient selon le sens et la force des prismes utilisés. Par ailleurs, les résultats de Fisher & Ciuffreda (1990) appuient l’hypothèse de potentiation musculaire extra-oculaire. Leurs travaux ont mis en évidence des modifications simultanées de la perception des distances et de la vergence tonique après exposition de 30 min à un téléstéréoscope.

Vergence et indices secondaires de distance

Contrairement à l’hypothèse d’Ebenholtz, attribuant l’exclusivité des post-effets de distance à l’EMP, l’influence de la présence d’indices secondaires de distance a été suggérée par différents auteurs. Wallach et al. (1972) ont observé une diminution du post-effet de distance avec la réduction du nombre d’indices de distance monoculaires ou kinesthétiques lors de l’exposition, en faveur de l’hypothèse de recalibration de la relation vergence/distance perçue par les indices monoculaires. La théorie de recalibration est fondée sur la diminution du conflit entre indices, ce processus entraînant en général la recalibration de l’indice altéré par le(s) indice(s) non altéré(s). A l’opposé, la recalibration de l’indice non altéré par l’indice altéré est possible et qualifiée de « contre-adaptation » par Wallach & Frey (1972c).

Craske & Craswshaw (1974) ont proposé que la relation vergence/distance perçue puisse être recalibrée par un conflit entre vergence et proprioception des membres inférieurs. Ces auteurs ont en effet obtenu un post-effet de distance après observation des pieds à travers des prismes bases externes (2x10 DP). L’observation d’un disque lumineux au lieu des pieds n’entraînait pas de post-effet de distance dans un groupe contrôle, indiquant l’absence de potentiation musculaire oculaire. Paap & Ebenholtz (1977) ont fait remarquer que l’absence d’effet n’infirmait pas la théorie de l’EMP mais résultait de la proximité de la distance moyenne d’observation apparente (située à 26,8 cm) avec la PPR.

Effets de l’expérience visuomotrice active

Les conditions d’exposition entraînant l’adaptation de la perception des distances impliquent le plus souvent des activités visuomotrices : locomotion dans un environnement

naturel (Fisher & Ciuffreda, 1990; von Hofsten, 1979; Wallach & Frey, 1972b), activités manuelles comme le tennis de table (Owens & Leibowitz, 1980), jeu d’échecs, mikado (von Hofsten, 1979).

En s’inspirant des travaux de Held (1965) sur le facteur actif dans les processus d’adaptation, Owens et Leibowitz (1980; 1983) ont mis en évidence l’effet de l’activité visuomotrice active sur les post-effets de distance et les post-effets oculomoteurs. Ces auteurs ont observé une augmentation du post-effet de distance et des modifications de la dark vergence chez des sujets participant à des activités visuomotrices et locomotrices par rapport à des sujets lisant un texte. Les deux groupes de sujets portaient lors de l’exposition des prismes bases externes de 4 DP (associés à des lentilles de -1,5 D). Les conditions expérimentales manipulaient toutefois un nombre trop important de variables pour attribuer l’effet observé à l’activité visuomotrice active. La stimulation visuelle entre groupes différait en effet à la fois par l’activité visuomotrice, par la nature des indices visuels (indices monoculaires), par l’activité oculomotrice (distances de fixation et variation de la fixation) mais aussi par la stimulation accommodative.

Ebenholtz (1981) a observé de façon similaire un post-effet de distance associé à une augmentation des phories plus important chez des sujets évoluant sous prismes bases externes dans un environnement naturel (groupe « adaptation ») que chez des sujets observant directement une cible fixe proche (groupe « induction »). Cet auteur a proposé que les indices secondaires présents en environnement naturel aient induit une majoration de la potentiation musculaire extra-oculaire. Les indices secondaires offraient une stimulation visuelle binoculaire plus importante et donc un contrôle plus précis de la vergence. Le rôle précis de la stimulation binoculaire dans cette étude n’est cependant pas univoque. En effet, comme pour les études d’Owens et Leibowitz (1980; 1983), les conditions de stimulation visuomotrice, oculomotrice (distances de fixation et variation de la fixation) et accommodative différaient également dans les deux groupes. Par ailleurs, la présence d’indices monoculaires et proprioceptifs/moteurs des membres a pu entraîner une composante de recalibration de la relation vergence/distance perçue.

Les résultats de ces deux derniers auteurs ne sont donc pas concluants. Tous deux observent un post-effet augmenté lors de l’activité avec l’environnement. Cependant, les mécanismes sous-tendant ces résultats ne sont pas univoques car de nombreux paramètres variaient entre les deux conditions.