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Problématisation et argumentation en SVT :

1. Cadre théorique Communauté

scientifique critique Champ empirique : Monde du vécu, de l’observation, de l’expérimentation

Champ des modèles :

Monde des idées explicatives et des modèles

La mise en tension de ces deux champs permet le passage « d'une opinion à un savoir problématisé » (Orange, 2003), c'est-à-dire un savoir organisé en un réseau de contraintes et de nécessités. Les moments de débat scientifique en classe peuvent permettre la mise en tension de ces deux champs par les élèves. Chaque élève donne son opinion et se rend compte, par la même occasion, de la diversité des idées au sein de la classe. Le débat permet donc l'exploration du champ des possibles, et la confrontation des modèles proposés aux contraintes empiriques, ce qui assure la construction de nécessités.

Bachelard (1949) a mis en avant le caractère d'apodicticité des savoirs scientifiques, qui s'opposent aux savoirs assertoriques. Si nous le suivons, cela conduit à avoir une vision bien spécifique de ce que signifie savoir en sciences, que l’on peut formuler comme Reboul : « savoir en sciences n’est pas savoir que - savoir assertorique - mais savoir que cela ne peut pas être autrement » (1992). La fonction du débat ne sera donc pas de trouver un accord sur une solution, mais de mettre en évidence ce qui est possible ou impossible, nécessaire ou contingent. C’est ce que nous entendons par exploration du champ des possibles.

Pour analyser les débats scientifiques, nous pourrons référer les propos des élèves au champ empirique, s’ils relèvent de l’observable ou du mesurable, ou au champ des modèles. Nous pourrons ainsi mettre en évidence les contraintes empiriques et les nécessités sur les modèles construites par les élèves par la mise en tension des ces deux champs.

1.2. Argumentation et problématisation au cours du débat scientifique Lors du débat, ce sont par le biais d’interactions langagières que les élèves explorent le champ des possibles. De ce fait, si l’on se place toujours dans le cadre épistémologique de la problématisation, « les explicitations qui se font au cours du débat, les controverses qui s’y développent et les argumentations des élèves ne sont pas simplement des moyens sur lesquels on s’appuie pour changer les conceptions individuelles: elles constituent les matières premières des raisons scientifiques que l’on veut voir se construire » (Orange, 1999).

Ainsi, les activités langagières des élèves sont au centre de l’exploration de ce champ et elles font intervenir ce que Popper (1991) appelle les fonctions supérieures du langage, c’est-à-dire principalement la description et l’argumentation. Si l’on suit Orange (2003), celui-ci distingue deux fonctions essentielles aux activités langagières dans la problématisation.

Une fonction de construction de schématisation définie par Grize (1996) comme « une représentation discursive orientée vers un destinataire de ce que son auteur conçoit ou imagine d’une certaine réalité ». Cette fonction est accompagnée d’une argumentation sur les possibles, qui permet de convaincre l’auditoire de la faisabilité du pré-modèle proposé. Dans ce cas, l’argumentation n’apporte pas de preuves, la schématisation produite permet une prise au sérieux de la solution proposée pour qu’elle devienne discutable par les autres (Grize, 1997).

Une fonction d’argumentation sur l’impossibilité ou la nécessité d’un énoncé explicatif. Ce type d’argumentation, qu’Orange désigne comme argumentation de preuve (2003) permet

la construction des raisons. La preuve correspond en fait à ce qui est impossible ou nécessaire.

L’analyse de ces deux fonctions du langage, dans l’activité de problématisation, permet de mettre en évidence l’importance de ce que disent les élèves engagés dans une activité de problématisation. Nous avons indiqué que la construction de schématisation est accompagnée d'une négociation. En effet, une schématisation proposée correspond à la mise en mots de la représentation d’un élève ou d’un groupe d’élèves et ces représentations peuvent être variées au sein de la classe, ce qui peut amener d’autres élèves à émettre des critiques sur les pré-modèles exposés. Ces critiques ou questions peuvent conduire l'élève (ou le groupe d’élèves) à approfondir leur explication, pour que la schématisation construite soit recevable par l'ensemble de la classe (être recevable ne signifie pas, pour autant, que les autres élèves sont d’accord avec cette explication). Pour analyser la construction de quelques schématisations dans le cas d’un travail sur le concept de fécondation, nous étudierons les débats réalisés autour de chaque affiche afin de mettre en évidence l’argumentation sur les possibles développée par les élèves, et les critiques proposées par la classe suivant une méthodologie inspirée par celle décrite par Lhoste (2005). Nous verrons alors, comment les différentes formes d'argumentation lors de la présentation des pré-modéles des groupes d’élèves et des critiques exprimées par les autres élèves au cours du débat, participent à la mise en oeuvre de la problématisation.

1.3. Conclusion Le débat scientifique, notamment par les argumentations mises en œuvre par les élèves, permettrait donc la problématisation par mise en tension des champs empirique et des modèles, processus qui nous semble au cœur d’un apprentissage scientifique véritablement fonctionnel.

Après avoir présenté le recueil de données qui nous a permis de constituer notre corpus, nous analyserons certaines interactions langagières d’un double point de vue : d’un point de vue épistémique afin de pointer les raisons construites par les élèves et d’un point de vue langagier pour tenter de comprendre la dynamique de cette problématisation.

Le débat se déroule en classe de quatrième59, dans le chapitre : « Reproduction sexuée et pérennité des espèces dans les milieux» et sur le thème de la fécondation60. Le savoir scientifique visé, tel qu’il figure dans le bulletin officiel est le suivant : « Toute reproduction sexuée comporte l’union d’un gamète mâle et d’un gamète femelle : la fécondation. Son résultat est une cellule-œuf à l’origine d’un nouvel individu » (France : MEN, 1997).

59 Classe de 4e 1 du collège Jacques Brel (La Ferté Macé) dont l’enseignement de SVT était assuré par

Sabrina Desrues, PLC2 SVT à l’IUFM de Basse-Normandie.

60 Ce chapitre figure dans la partie C du programme du cycle central « Des êtres vivants dans leur milieu » 2. Présentation du recueil de données

Dans une séance précédente, les élèves ont étudié le cycle de vie du ténébrion. Pour compléter ce cycle, il leur faut savoir comment les deux adultes vont former un nouvel individu. La question qui leur est posée est la suivante : « Que se passe-t-il après l’accouplement pour qu’il y ait formation d’un nouvel individu ? »

2.1. L’évaluation diagnostique Les élèves doivent réaliser individuellement une production écrite sur cette question. Il s’agit de l’évaluation-diagnostique grâce à laquelle l’enseignant peut se rendre compte des représentations initiales des élèves sur le thème de la fécondation. Ainsi, nous avons obtenu seize productions. Ces productions sont analysées à l’aide de la grille constituée à partir d’une analyse épistémologique de la reproduction sexuée présentée en annexe 1. Ceci permet de constituer des groupes d’élèves homogènes.

2.2. La production des affiches par groupe Quatre groupes d’élèves ont ainsi pu être constitués. Comme, dans chaque groupe, les élèves ont des conceptions relativement proches, cela permet de s’assurer que le débat aura lieu en classe entière, sous le pilotage de l’enseignant, et le moins possible dans les petits groupes. Chaque groupe a réalisé une affiche sur laquelle figurait un schéma accompagné d’un texte permettant d’expliquer à l’ensemble de la classe leur modèle (annexes 2 à 5). Dans les groupes 2 et 3 (annexe 3 et 4), les élèves ont développé une explication de type animalculiste (le principe géniteur est principalement fourni par le père61). Le groupe d’élèves 1, où chaque élève avait initialement proposé une explication de type épigéniste, produit finalement une explication de type épigéniste-oviste (le principe géniteur est fourni par l’ovule et le développement de l’œuf est de type épigénétique). Un dernier groupe d’élève (groupe 4, annexe 5) présente un modèle de type fécondationiste à deux parents où « l’œuf est une nouvelle entité résultant de l’union entre un ovule et un spermatozoïde » (Gouanelle & Schneeberger, 1996, p. 70).

2.3. La présentation devant la classe et le débat Lorsque les groupes ont terminé la réalisation de leur affiche, un élève de chaque groupe vient au tableau présenter son affiche. Les affiches sont présentées dans l’ordre décrit à la section 2.2. À la fin de la présentation de chaque production, les élèves des autres groupes pouvaient poser des questions sur ce qu’avait dit leur camarade ou sur ce qui était représenté sur l’affiche. Quelques questions étaient également posées par l’enseignante afin d’avoir des précisions.

Le débat, d’une durée de 25 minutes, fut filmé avant d’être retranscrit. On obtient un script de 178 interventions. L’analyse de ces interventions va nous permettre de mettre en

61 Il n’est pas sûr que les élèves développent le même type d’explication animalculiste-préformiste que les

scientifiques du XVIIIe siècle (Giordan, 1987, p. 95). En effet, il nous semble qu’il n’y ait pas automatiquement superposition entre ovisme ou animalculisme avec préformation, comme nous le

évidence les nécessités construites par les élèves participant à la problématisation, ainsi que l’argumentation mise en œuvre au cours du débat.

3.1. Méthodologie d’analyse du

débat

Même si la situation de départ s’appuyait sur le cycle de vie du Ténébrion, les explications proposées par les élèves font référence à la reproduction chez l’Homme, c’est-à-dire à une fécondation interne. Le débat a été retranscrit et le script intégral du débat est présenté en annexe 6.

Les interventions des élèves sont alors classées dans les différents registres présentés dans le document 2, selon la méthodologie décrite par Orange (2000).

Document 2. Catégorisation utilisée pour analyser le script du débat

Le registre empirique (RE) comporte les interventions faisant référence à des éléments observables, mesurables…

Le registre des modèles (RM) se divise en trois catégories :

- le registre des modèles descriptif (RMd) où sont classées les interventions décrivant le modèle ;

- le registre des modèles de fonctionnement (RMf), les interventions permettent d’expliquer le fonctionnement du modèle ;

- le registre des modèles critique (RMc), dans lequel sont classées les interventions mettant en doute le modèle ou faisant une analyse critique du modèle.

Les interventions articulant les constats et les modèles sont classées dans la catégorie RE/RM.

Les travaux de Orange (2000), ont montré que seules les interventions de type RE, RMc et RE-RM sont potentiellement source de contraintes empiriques et de nécessités sur les modèles. C’est à partir de ces interventions que nous allons mettre en évidence les raisons construites par les élèves au cours du débat, raisons qui mettent en relations des contraintes empiriques, des contraintes théoriques, qui ne font pas directement référence à des faits constatables mais qui sont approuvées par tous les élèves, et des nécessités sur les modèles. C’est à partir de ces différents éléments que nous pourrons construire l’espace de contraintes en jeu dans ce débat.

3.2. Résultats

3.2.1. Les contraintes (empiriques et théoriques)

Les contraintes empiriques (CE) construites par les élèves lors du débat sont les suivantes (les numéros entre parenthèses font référence aux interventions des élèves) :

- CE1 : présence d’un mâle et d’une femelle pour former un nouvel individu (1, 55,163) ;

- CE2 : il y a formation d’un nouvel individu dans le ventre de la femelle (55, 78, 108, 117).

3. Analyse du débat au niveau