• Aucun résultat trouvé

Pour un cadre théorique

Nous avons cherché dans cette revue à couvrir, si cela était possible, le plus large spectre littéraire qui touche de façon philosophique, historique et théorique le cinéma et l’espace, la ville et le cinéma. La difficulté réside dans le fait que ces textes sont presque aussi nombreux que les films qu’ils veulent analyser ou commenter. Le choix s’est fondé principalement sur la qualité de ces ouvrages, la référence qu’ils constituent dans les autres travaux et sur ce qu’ils peuvent nous apporter dans le cadre particulier de notre démarche. Les limites que nous leur trouvons ne sont pas liées à des critiques de leur contenu ou de la valeur intrinsèque de leurs démonstrations. Les limites existent dans la mesure où, pour nous, les contenus de ces ouvrages ne portent pas, ou seulement partiellement, sur ce que nous cherchons à résoudre dans l’étude de l’image filmique.

Le film est un produit artistique qui fonctionne comme un spectacle. On peut donc l’analyser de deux façons : comme produit ou comme spectacle. Comme produit, il est confisqué comme forme et on le sépare de sa véritable nature de spectacle de grande diffusion.

Rares sont les auteurs qui, en revanche, ont pris en compte le fait que le film n’existait que comme spectacle, c’est-à-dire projeté et perçu (reçu) uniquement dans le cadre de sa projection. À cause de cette réception particulière au film, il existe une signification dans le spectacle qui diffère de celle des autres productions artistiques. La réalité d’un livre est d’être imprimé, qu’il soit lu ou non, il existe comme livre; la peinture existe une fois peinte qu’elle soit vue ou non. Le film existe en boîte ou en enregistrement numérique que comme pellicule ou comme signaux. Il

78 Cela peut inclure le Mexique et les pays d’Amérique du Sud dans la mesure où ces pays sont

culturellement, de part leur fondation et leur histoire, liés à l’Europe.

79 Nous attirons l’attention sur la distinction qu’il faut faire entre les films de ces régions du

monde destinés au public local et ceux destinés au public occidental et qui obéissent aux schèmes culturels des pays occidentaux.

lui faut être montré selon des conditions spécifiques pour qu’il devienne film. Il faut que la pellicule défile selon une certaine vitesse, que les signaux soit décodés par la lumière ou par un faisceau laser et qu’un spectateur soit placé devant durant le défilement des images pour que le film soit un film. Le paradoxe du cinéma repose sur cette réalité : le film est reproductible à l’infini, mais perçu à chaque fois de façon unique. C’est une notion que beaucoup de textes que nous avons parcourus approchent, effleurent sans vouloir s’y attarder. Elle résiste aux théories simples. Jusqu’ici les sciences humaines ou sociales ont voulu voir dans les films l’illustration, parfois même la preuve, de la justesse de leurs méthodes, sans comprendre que ce sont leurs méthodes qui ont intégré une façon de penser que le cinéma a fini par leur imposer à travers la fascination de son spectacle.

Il n’est pas question ici de dénier tout intérêt à ces travaux et de refuser en bloc ce qu’ils apportent de connaissances et d’information sur tel film, tel cinéaste ou telle ville. Nous utilisons les informations de ces données ponctuellement lorsqu’elles nous semblent utiles et complémentaires à notre démonstration. Mais, comme nous l’avons noté, on ne trouve que peu de théoriciens qui ont véritablement compris la nature de ce medium qu’est le cinéma, sans tordre le cou à sa réalité, sans l’amputer de son image ou de son récit, de son mouvement ou de sa virtualité.

Nous avons vu que ceux qui ont abordé ce medium avec le plus d’objectivité sont d’une part les philosophes, d’autre part les historiens et théoriciens de l’art comme Panofsky et

Francastel.

Les premiers ont, dans leurs travaux, cherché à montrer la nature exacte du phénomène de la « perception ». De Descartes à Merleau-Ponty, en passant par Kant, Husserl, Bergson et

Cassirer, nous trouvons des raisonnements précieux sur ce que percevoir veut dire. Un autre

aspect de la philosophie, l’herméneutique, particulièrement dans l’œuvre de Gadamer, ouvre les véritables voies de la connaissance du spectacle et du jeu comme savoir. Le film entre dans cette catégorie du jeu et du spectacle et en puise toute sa signification.

On ne peut pourtant pas évacuer la dimension sémiotique de l’image filmique. Pierce apporte beaucoup. Mais il faut l’éclairage des travaux de psychanalystes comme Lacan ou

pour envisager des lectures plus complexe du rôle essentiel du signifiant dans le jeu de la communication et de l’interprétation du spectacle.

Le travail de Deleuze, qui fait aujourd’hui autorité chez les critiques et théoriciens du film, en ouvrant des portes interprétatives (comme remettre Bergson dans une perspective tout à fait innovante), en a hélas fermé d’autres. Il est toujours dangereux de s’intéresser au cinéma avec un complexe par rapport à ceux que l’on pense être des spécialistes. On risque d’être aveuglé par un savoir qui n’a rien à voir avec le cinéma proprement dit, mais avec le savoir des théoriciens qui eux-mêmes se répètent entre eux. Deleuze est apparemment tombé dans ce piège. Son œuvre, importante en elle-même, n’avait nullement besoin de chercher une reconnaissance dans l’exégèse des soi-disant grands films ou chef d’œuvre du cinéma. Il aurait pu, à l’exemple de Panofsky, voir l’aspect fondamentalement populaire de ce medium et saisir l’importance de son aspect grand public.

La plus grande difficulté de ce travail a été de prendre ses distances par rapport à une masse foisonnante de littérature; de repartir du film pour ensuite reprendre ces textes et les relire à la lumière de nos hypothèses :

La première hypothèse suppose que le cinéma est devenu le médium fondamental et incontournable de la représentation de la ville. Il construit par la mise en œuvre de ses représentations, les principales images dont notre mémoire se nourrit.

La deuxième hypothèse pose que notre connaissance acquise à travers les représentations filmiques fonde notre perception de la ville. Nous construisons individuellement et collectivement le sens qui nous permet de déchiffrer notre réel.

Enfin, la troisième hypothèse envisage que la ville réelle ne se conçoit et ne se construit qu’à travers un imaginaire structuré. C’est cet imaginaire que nous désignons comme La ville idéelle.

CHAPITRE 1 : PRÉSENTATION DE LA RECHERCHE

Peu de données sont inédites, mais des analyses conduites sous la lumière comparative font apparaître des articulations ou des valeurs auxquelles on n’avait pas prêté attention.

Georges Dumézil