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Cadre et hypothèses

2.1. Transparence lexicale entre L2 et L3

Dans la continuité de projets relevant des approches plurielles des langues et des cultures, notamment EuroCom (Klein & Rutke, 1997), Galanet (Degache, 2006) et ICE (Castagne, 2007), nous interrogeons le concept de transparence. Nous nous demandons comment préparer des étudiants/professionnels de la santé de l’Asie de l’Est à un séjour

d’étude dans un pays romanophone : l’introduction à une langue romane pourrait-elle se

fonder sur la transparence lexicale partielle qui existe entre l’anglais et les langues romanes, leurs préacquis en anglais L2, et leur capacité à inférer le sens de termes opaques dans un contexte connu ?

Nous supposons que le public ciblé apprend pour la première fois une langue ro

-mane. Par l’expression langue tierce ou langue tertiaire (L3), Hufeisen & Neuner (2004 :

5) entendent des « langues étrangères apprises après la première langue étrangère, c’est-à

-dire comme sa deuxième, troisième, quatrième, etc. langue étrangère53». À la suite de ces

auteurs, nous nous demandons comment incorporer avec plus d’efficience dans l’enseigne

-ment d’une L3 les connaissances et compétences que l’apprenant a déjà acquises dans les langues de son répertoire. Lors de l’initiation à une nouvelle langue, des routines et des connaissances métalinguistiques peuvent être transférées. En outre, le transfert langagier peut se fonder sur des unités lexicales précédemment acquises dans une autre langue, mais la typologie des langues en présence conditionnera en partie ce transfert.

Soit un apprenant européen qui a pour L1 une langue romane, par exemple le roumain. Envisageons les configurations suivantes, qui indiquent dans quel ordre les langues sont apprises :

Cas n° 1 : L1 roumain, L2 italien, L3 espagnol. Cas n° 2 : L1 roumain, L2 français, L3 allemand. Cas n° 3 : L1 roumain, L2 anglais, L3 italien. Cas n° 4 : L1 roumain, L2 anglais, L3 allemand.

Dans le cas n° 1, les trois langues appartiennent à la même famille, les langues romanes, et de nombreux transferts de reconnaissance (Meissner : 2000) devraient avoir lieu du fait d’analogies lexicales, syntaxiques et morphosyntaxiques.

Dans les cas n° 2 et n° 3, l’une des langues appartient à la famille des langues germaniques. Les langues romanes et les langues germaniques sont des langues éloignées,

mais comme elles sont classées parmi les langues indo-européennes, des analogies

existent (flexions verbales, etc.), et des transferts ont également lieu, dans une moindre mesure toutefois que dans le cas n° 1.

Dans le cas n° 4, les L2 et L3 appartiennent toutes les deux aux langues germa

-niques. Cependant, si l’on se réfère à la théorie du facteur L2 (Singleton & Ó Laoire, 2006), les transferts issus de langues autres que la L1 seraient plus marqués lors de l’apprentissage

d’une L3. L’apprentissage de l’allemand L3, plus proche de l’anglais que ne l’est le rou

-main, s’effectuerait donc moyennant plus de transferts de l’anglais L2 que du roumain L1. Au regard de la configuration qui prévaut pour notre public cible, les implications de cette théorie nous intéressent particulièrement. Les langues en jeu appartiennent en effet à trois familles différentes. La L1 est une langue parlée en Asie de l’Est, telle l’une des langues chinoises, le coréen, le japonais, ou encore une autre langue typologiquement éloignée des langues romanes et des langues germaniques (vietnamien, thaï, etc.). La L2 est l’anglais, une langue généralement considérée comme germanique. La L3 est une langue romane.

Si nous avons considéré les cas n°1 à n°4 précédemment, c’est pour illustrer ce qui se passe très couramment en Europe, où coexistent et sont apprises langues romanes et

langues germaniques, lesquelles entretiennent des contacts depuis des siècles et par consé

-quent s’influencent mutuellement. Cependant, il nous faut changer de point de vue si nous

nous transposons en Asie de l’Est. L’apprentissage de l’anglais, dans sa variante amé

-ricaine, y est majoritairement répandu, et même parfois obligatoire en L254, il fait donc

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partie de l’univers de référence d’un locuteur lettré. Il n’en va pas de même pour les langues romanes. La plus grande étrangeté des langues romanes aux yeux des locuteurs d’Asie de l’Est n’exclut néanmoins pas que des transferts aient lieu lors de l’apprentissage d’une

langue romane après l’anglais. Certains chercheurs (Ringbom, 1987; Singleton, 1987, etc.)

ont montré que les influences interlinguistiques proviennent davantage de la langue qui est typologiquement plus proche de la langue cible. Dans le même esprit, les résultats obtenus

par Cenoz (2001 : 16) montrent que « la perception de la distance linguistique et la per

-ception de la ‘transférabilité’ peuvent être plus importantes que la distance linguistique55».

2.2. Problématique et hypothèses

Nous nous demandons comment faire en sorte que l’anglais appris en L2 et une

langue romane apprise en L3 soient perçus comme typologiquement proches alors que ces

langues appartiennent à des familles de langues différentes. Nous optons pour une approche plurielle dans laquelle sont présentées simultanément les quatre langues romanes qui ont le plus grand nombre de locuteurs à l’échelle mondiale : l’espagnol, le français, le

portugais et l’italien. Nous considérons que le public ciblé n’a pas jusque-là de langue

romane dans son répertoire. Nous utilisons l’anglais L2 comme une langue pont (Forlot,

2009 ; Grzega, 2005) vers la L3 romane ciblée: par exemple, le français (Robert, 2008).

Le dispositif envisagé permettrait néanmoins de cibler l’une des trois autres langues, l’une des autres langues romanes, ou même de n’en cibler aucune en particulier.

L’anglais présente le double avantage d’être la L2 la plus apprise au monde et de partager une partie de son fonds lexical avec les langues romanes suite aux incessants contacts entre ces langues. Par conséquent, en même temps qu’il acquiert des compétences en anglais L2, un apprenant acquiert sans en être conscient des compétences dans les langues romanes, particulièrement au niveau lexical. Nous cherchons à valoriser cette potentialité d’intercompréhension qui existe entre l’anglais et les langues romanes afin de faciliter l’accès aux L3 romanes.

Voici nos hypothèses de travail :

Hypothèse 1 : un apprenant d’anglais L2 peut comprendre un bref énoncé écrit dans une langue romane qu’il n’a pas apprise si cet énoncé est transparent avec l’anglais.

Hypothèse 2 : un apprenant d’anglais L2 peut comprendre un terme opaque d’un énoncé écrit dans une langue romane qu’il n’a pas apprise si les cooccurrents de ce mot opaque sont transparents avec l’anglais.

Hypothèse 3 : dans un énoncé écrit présenté en parallèle en plusieurs langues ro

-manes, un apprenant d’anglais L2 peut comprendre un terme opaque si un équivalent sé

-mantique de ce terme est transparent avec l’anglais dans l’une des autres langues romanes. Hypothèse 4 : un apprenant d’anglais L2 peut développer des compétences morphosyntaxiques dans une L3 romane par l’observation contrastive d’énoncés écrits présentés en parallèle dans plusieurs langues romanes.

Il n’est pas usuel d’initier un apprenant à une langue à partir de ses préacquis linguistiques en L2 et de ses capacités à inférer. Nous pensons qu’une observation contrastive du même fait de langue dans plusieurs langues apparentées peut conduire un apprenant à confirmer ses intuitions interprétatives.

3. Des énoncés plurilingues découverts simultanément