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AUSSY 206 et CABRILLAC 207 se rallient également à la position de la Cour de cassation et considèrent que les intérêts moraux de l’auteur seront suffisamment protégés, ce dernier

TITRE I : LA CONSECRATION LEGALE DE L’INALIENABILITE DU DROIT MORAL

82. AUSSY 206 et CABRILLAC 207 se rallient également à la position de la Cour de cassation et considèrent que les intérêts moraux de l’auteur seront suffisamment protégés, ce dernier

conservant la maîtrise effective de son œuvre. Contrairement à MASSE le recours à l’appréciation des tribunaux pour juger de l’abus de droit éventuel de l’auteur leur apparaît bien fondé208, la situation étant analogue à celle de « la copropriété existant entre

collaborateurs209» dans le cadre d’une œuvre de collaboration.

83. Seul GORGUETTE D’ARGOEUVES210 semble adopter la position de la cour d’appel et

faire prévaloir le droit moral sur le droit patrimonial211. Toutefois, son adhésion à cette solution n’est pas complète, car il ne va pas jusqu’à accorder à l’œuvre le statut de bien propre. Ce dernier se borne en effet à écrire : « Il y a lieu de décider que le droit moral ayant       

205 V. Ibid. pp. 123-124.

206

AUSSY, Du droit moral de l’auteur sur les œuvres de littérature et d’art., op. cit. pp. 115 à 138.

207 CABRILLAC, La protection de la personnalité de l’écrivain et de l’artiste. Essai sur le droit moral., op. cit. pp. 68 à 74.

208 AUSSY, Du droit moral de l’auteur sur les œuvres de littérature et d’art., op. cit. p. 137, et CABRILLAC, La protection de la personnalité de l’écrivain et de l’artiste. Essai sur le droit moral., op. cit. pp. 73-74.

209 AUSSY, Du droit moral de l’auteur sur les œuvres de littérature et d’art., op. cit. p. 137.

210 DE GORGUETTE D’ARGOEUVES, Du droit moral de l’auteur sur son œuvre artistique ou littéraire., op. cit. pp. 71 à 74.

son principe dans la personnalité de l’auteur et étant absolu ne peut en aucune façon tomber

dans la communauté et être exercé par le conjoint ». Néanmoins, son point de vue à l’endroit

du droit de retrait et de repentir, ainsi que la présentation qu’il effectue de l’arrêt LECOCQ, laissent penser que la solution de la Cour d’appel recueille sa préférence.

84. Deux autres problématiques. Au-delà de la problématique liée à la nature de l’œuvre au

regard des régimes matrimoniaux du fait de l’existence du droit moral de l’auteur sur son œuvre, l’affaire LECOCQ en révéla deux autres212 : celle de savoir si l’auteur pouvait se délier de ses engagements contractuels en exerçant un droit de retrait et de repentir ; et celle de savoir si les créanciers de l’auteur pouvaient saisir le droit d’auteur lui-même, et non pas seulement les créances issues de son exercice.

2. La mise en œuvre du droit moral

85. Le droit de retrait et de repentir : une atteinte intolérable au droit des contrats. Si en

1878 la faculté pour l’auteur de se repentir et donc de retirer son œuvre de la circulation malgré la cession des droits y afférents n’était guère concevable, ou même envisageable, il en fut autrement dès lors que la notion de droit moral fut acquise par l’ensemble de la communauté juridique. Il est à noter toutefois que la possibilité offerte aujourd’hui à l’auteur par l’article L 121-4 du Code de la propriété intellectuelle213 apparaissait au début du XXème siècle, et pour la majorité de la doctrine214, comme une atteinte intolérable au droit commun

      

212 En réalité, seule la question du droit de retrait et de repentir est « nouvelle », le droit de saisie des créanciers ayant fait l’objet d’une étude par l’une des commissions de l’Association Littéraire et Artistique Internationale à l’occasion de ses congrès des 22-29 août 1896 à Berne et des 23-30 septembre à Heidelberg.

213 L’article L. 121-4 CPI dispose : « Nonobstant la cession de son droit d’exploitation, l’auteur, même postérieurement à la publication de son œuvre, jouit d’un droit de repentir ou de retrait vis à vis du cessionnaire. Il ne peut toutefois exercer ce droit qu’à charge d’indemniser préalablement le cessionnaire du préjudice que ce repentir ou ce retrait peut lui causer. »

214

V. POUILLET, Traité théorique et pratique de la propriété littéraire et artistique et du droit de représentation., loc. cit. p. 247 et pp. 251-254 pour la 1ère Edition, p. 329 et pp. 335-338 pour la 3ème Edition ; V. également HUARD, Traité de la propriété intellectuelle. Propriété littéraire et artistique., T. 1, loc. cit. pp. 135-136 : « On a prétendu que la volonté unilatérale de l’auteur pouvait mettre fin à l’accord conclu, quand il invoque des scrupules légitimes. Cette doctrine est évidemment contredite par l’article 1134 du Code civil ». Toutefois, l’auteur se contredit à la page 293 : « Il faut qu’il ait ce droit [de retirer l’œuvre de la circulation] et qu’il l’ait seul, parce que sa réputation est intéressée par la publicité que reçoit son œuvre ».

des contrats, le seul ayant accordé cette prérogative à l’auteur étant DARRAS215. Pour s’en convaincre il suffit de se pencher à nouveau sur les premières thèses relatives au droit moral.

86. C’est ainsi que nous pouvons lire sous la plume de MASSE : « Il est inadmissible que l’auteur puisse, de sa seule autorité et sans courir aucun risque, rompre le contrat qu’il a signé216», et sous celle d’AUSSY : « Il [l’auteur] ne pourra exiger non seulement la suppression de l’ouvrage, mais même d’y apporter des modifications qui seraient de nature à en altérer le fond, l’esprit, le caractère ou à en changer sensiblement la dimension. L’éditeur a traité pour un ouvrage déterminé, c’est cet ouvrage qu’il est tenu de publier et non un autre qui serait de forme ou de tendance différentes. Le droit moral n’est donc pas, à notre avis,

une cause de résiliation »217. Tout au plus concèdent-t-ils au créateur le droit de faire apposer

sur les exemplaires réimprimés ou par voie de presse une mention indiquant son désaveu ou sa réprobation218.

87. La prévalence de la personnalité de l’auteur sur le droit des contrats. Cette position

majoritaire va néanmoins peu à peu, connaître un infléchissement en faveur du créateur, et cèdera la place à la position inverse, notamment à la lumière de deux affaires. La première est le procès ayant opposé Anatole FRANCE à son éditeur LEMERRE219, affaire dans laquelle l’auteur s’opposait à la publication tardive220 d’un de ses manuscrits sur l’Histoire de France en raison de son obsolescence ; et la seconde concernait Léon DAUDET à propos de son ouvrage L’entremetteuse. Celui-ci ayant généré un scandale, DAUDET demandera à ses

      

215

DARRAS, Études théoriques et pratiques de droit international privé. Des droits intellectuels. I. Du droit des auteurs et des artistes dans les rapports internationaux., loc. cit.. p. 6 : « Le droit moral autorise l’auteur, l’artiste à retirer son œuvre de la circulation », p. 57 : « Le droit moral étant incessible, il en résulte un certain nombre de conséquences : même en cas de cession absolue du droit pécuniaire, l’auteur peut encore modifier et retirer de la circulation l’œuvre cédée ».

216 MASSE, Le droit moral de l’auteur sur son œuvre littéraire ou artistique., op. cit. p. 52.

217 AUSSY, Du droit moral de l’auteur sur les œuvres de littérature et d’art., op. cit. pp. 40-41.

218 MASSE, Le droit moral de l’auteur sur son œuvre littéraire ou artistique., op. cit. p.54 ; AUSSY, Du droit moral de l’auteur sur les oeuvres de littérature et d’art., op. cit. p. 43.

219 V. DE GORGUETTE D’ARGOEUVES, Du droit moral de l’auteur sur son œuvre artistique ou littéraire., op. cit. p. 100, et la référence citée : Anatole FRANCE c/ LEMERRE, T. Civ. Seine 4 déc. 1911, API 1912, p. 98 art. 4989 ; L’Art & le Droit, 1911, p. 283 ; DA 15 juill. 1912, p. 102.

220

Anatole France avait, en effet, remis le manuscrit à LEMERRE le 25 février 1882, ce dernier l’oublia dans ses tiroirs et en envisagea la publication qu’en 1909, soit 27 ans plus tard…

éditeurs de retirer les exemplaires déjà parus de la vente, et le supprimera de son œuvre221. Du reste, la formule employée par la Cour de cassation lors de l’affaire LECOCQ222, laisse penser que la faculté accordée à l’auteur de modifier ou de supprimer sa création pourrait également être étendue au cocontractant de l’auteur, sous réserve de l’abus de droit.

88. Le droit moral : droit personnel et absolu. GORGUETTE D’ARGOEUVES adoptera

ce point de vue et démontrera que l’auteur dispose d’un droit de repentir, même sur une œuvre publiée223, parce que le droit moral est un droit non seulement personnel, mais encore absolu, de sorte qu’il ne saurait s’effacer devant le droit patrimonial qu’il considère comme étant relatif. De même, CABRILLAC estime-t-il que : « Le droit moral garantit

l’indépendance intellectuelle de l’artiste et lui permet ces reniements nécessaires224 ».

89. Ouverture de l’action oblique aux créanciers de l’auteur - Discussion. Outre le droit

de retrait et de repentir, la question du droit de saisie des créanciers sur les œuvres des auteurs s’est posée, et plus précisément celle de savoir s’ils disposaient de l’action oblique, laquelle permet à son détenteur d’exercer un droit ou une action en lieu et place de son débiteur si ce dernier ne l’exerce pas, conformément aux dispositions de l’article 1166 du Code civil. Cette voie étant exclue pour l’exercice d’un droit strictement personnel225, a priori il en sera de même pour l’exercice du droit moral, tous les auteurs s’accordant sur son caractère de droit attaché à la personne. Concrètement cela signifie que les créanciers de l’auteur ne peuvent en

      

221 L’entremetteuse de Léon DAUDET, édité en 1921 chez Flammarion, fit scandale en raison du contenu de l’ouvrage, aussi l’auteur écrivit-il une lettre ouverte à l’Archevêque de Paris, publiée le 7 novembre 1922 dans le journal L’Action française en première page, laquelle lui fait part de sa décision de supprimer l’œuvre en question : « Eminence, Il est venu à notre connaissance par des personnes autorisées, que certains passages d’un roman de moi pourraient (en raison du titre de l’ouvrage), être considérés comme susceptibles de scandaliser des âmes innocentes auxquelles il n’était d’ailleurs nullement destiné. En conséquence, j’ai pris la résolution, que je tiens à rendre publique, de supprimer de mon œuvre le roman en question, de demander à mes éditeurs de le rayer dorénavant de leurs catalogues, et de vouloir bien déchirer dès à présent le traité qui nous lie. »

222 Cass. Civ. 25 juin 1902, D. 1903. 1. 9 ; S. 1902. 1. 305 : « la mise en commun de cet émolument ne peut porter atteinte à la faculté de l’auteur, inhérente à sa personnalité même, de faire ultérieurement subir des modifications à sa création, ou même de la supprimer, pourvu qu’il n’agisse point dans un but de vexation à l’égard de son conjoint ou des représentants de ce dernier. »

223 DE GORGUETTE D’ARGOEUVES, Du droit moral de l’auteur sur son œuvre artistique ou littéraire., op. cit. pp. 101 à 105.

224 H. CABRILLAC, La protection de la personnalité de l’écrivain et de l’artiste. Essai sur le droit moral., loc. cit. pp. 6-7.

225

L’article 1166 du Code civil dispose en effet : « Les créanciers peuvent exercer tous les droits et actions de leur débiteur, à l’exception de ceux qui sont exclusivement attachés à la personne. »

aucun cas forcer celui-ci à divulguer son œuvre, la jurisprudence et la doctrine admettant sans peine que cette dernière est hors du commerce juridique226.