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Chapitre 2 : Les « ratés » de l’apprentissage de la lecture

2.2 Du côté de l’école et des enseignants

En 2007, la revue Repères 13 a consacré un numéro entier aux « ratés » de

l’apprentissage de la lecture à l’école et au collège. E. Nonnon, coordinatrice de ce numéro avec R. Goigoux, propose, dans sa présentation, une synthèse des différentes recherches portant sur l’analyse des difficultés de lecture au-delà de l’apprentissage initial. Elle rappelle « la part statistiquement très minoritaire de la dyslexie ou autres "troubles de lecture" dans les difficultés observées chez les mauvais lecteurs de collège », et l’importance, par conséquent, « de se centrer sur les conditions ordinaires de travail dans les classes » (Nonnon, 2007, p. 8). En effet, comme nous l’avons déjà évoqué en introduction, alors que depuis la fin des années 1970 et le début des années

1980, les politiques en faveur de la lecture se multiplient14, les résultats se font

toujours attendre et plusieurs enquêtes nationales et internationales ont pointé « l’importance du nombre d’élèves arrivant au collège en grande difficulté de lecture et d’écriture » (Nonnon, 2007, p. 5). Ce phénomène interroge sur la capacité – ou l’incapacité ‒ de l’école à remédier aux difficultés, à prévenir l’échec et à différencier les apprentissages en fonction des élèves (Nonnon, 2007). Certains chercheurs font

13 Goigoux, R., & Nonnon, É. (Dir.). (2007). Les ratés de l’apprentissage de la lecture à l’école et au collège. Repères, (35).

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Voir à ce sujet Butlen, M. (2003). Politiques de la lecture en France de 1980 à 2000. Argos, hors série

même l’hypothèse que les difficultés scolaires des élèves de milieu socioculturel défavorisé pourraient venir des manières de faire des enseignants :

L’hypothèse […] est que, parmi les facteurs multiples et complexes qui contribuent aux difficultés de certains élèves, la combinaison des manières de faire des enseignants dans leur classe et des inégalités, socialement constituées, des élèves face aux tâches scolaires est un élément explicatif majeur. Il y a des manières de faire la classe, pensons-nous, qui permettent à tous les élèves de progresser dans leurs apprentissages et il y en a d’autres qui laissent de côté certains élèves (Crinon, 2011, p. 57).

Cette partie présente donc les différents « ratés » de l’école : ses difficultés, d’une part, à proposer un enseignement explicite qui ne s’appuie pas sur des savoirs implicites laissés à la charge des familles et ses difficultés, d’autre part, à prendre en compte, dans son enseignement, la distance qui sépare la culture des élèves de celle de l’école.

2.2.1 Des apprentissages trop implicites

2.2.1.1 La compréhension plus évaluée qu’enseignée

Dans l’article « Que nous apprend PIRLS sur la compréhension des élèves français de 10 ans ? », M. Rémond (2007) présente les résultats du programme PIRLS

qui évalue les performances en lecture d’élèves en 4ème année de scolarisation

obligatoire. Ces résultats ont tout d’abord mis en évidence que seul un quart des élèves, français, scolarisés en classe de CM1, dispose des capacités inférentielles et

interprétatives qui correspondent au niveau 3 de compréhension15. Ils indiquent

également que les élèves français ont de meilleurs résultats quand les textes sont

15 4 niveaux de compréhension ont été définis afin de rendre comte de la progression de la difficulté de la tâche : « Au niveau 1, les élèves savent prélever des informations explicites et établir des inférences simples. Au niveau 2, ils maitrisent le niveau précédent et de plus, ils sont capables d’effectuer des inférences et des interprétations simples à partir d’informations puisées dans différentes parties du texte. Ils comprennent la structure générale du texte. Au niveau 3, ils sont également capables d’effectuer des inférences qui s’appuient sur différentes caractéristiques des personnages des évènements, et ils savent les justifier. Ils interprètent en faisant appel à leurs connaissances et expériences personnelles. Ils comprennent des procédés tels que la métaphore simple. Enfin au niveau 4, ils peuvent aussi interpréter les intentions, les sentiments, les comportements des personnages en se basant sur le texte, ils sont capables d’intégrer des idées pour dégager le thème » (Rémond, 2007, p. 56-57).

informatifs plutôt que littéraires et « se montrent beaucoup plus à l’aise pour retrouver des informations ou faire des inférences simples que pour traiter les items sollicitant l’interprétation ou la "réflexion critique" » (2007, p. 58). Il semble enfin que les performances des élèves soient en relation étroite avec la familiarité de la tâche à accomplir. En effet, comme le remarque M. Rémond, lorsque les écrits que les élèves « doivent traiter ressemblent à ce qu’ils connaissent, leurs performances sont remarquables » (2007, p. 66). Par exemple, les élèves français réussissent mieux les épreuves sous forme de questionnaires à choix multiples (QCM) que celles où la réponse attendue doit être rédigée. Une des raisons qui, selon M. Rémond, expliquerait un tel phénomène, serait que les tâches travaillant la compréhension proposées aux élèves, ne sont pas suffisamment larges et ne permettent pas à ces derniers de dépasser le modèle habituel des tâches proposées par l’école. En effet, trop souvent « les questions visent une compréhension de surface et la réponse attendue reste limitée : celle-ci s’énonce sous forme d’un mot ou d’une expression » (2007, p. 67). Ainsi, ce travail de compréhension trop succinct ne permet pas de construire « un lecteur actif », capable de traiter des questions qui « mettent en jeu des activités de raisonnement, un contrôle métacognitif pour s’assurer de la qualité de sa lecture » (2007, p. 67).

S. Cèbe et R. Goigoux (2007), de leur côté, expliquent que les difficultés de compréhension de textes proviennent du fait que cette dernière est, en réalité, plus évaluée qu’enseignée. En effet, pour eux, répondre à un questionnaire occupe « une place disproportionnée au détriment des tâches de rappel, de résumé et de reformulation » (2007, p. 193). Deux conceptions de la lecture sous-tendent ce non-enseignement de la compréhension. La première consiste à penser qu’une pratique régulière de l’activité lecture suffirait à améliorer les performances des élèves. Or, la multiplication des activités variées de lecture se fait souvent au détriment d’un enseignement explicite de la compréhension. Selon une autre conception largement défendue par l’Observatoire National de la Lecture (ONL), les compétences en lecture résulteraient uniquement des compétences en décodage et en compréhension du

langage oral. Une telle conception ne prend cependant pas en compte la spécificité de la langue écrite :

Cette conception, dont nous avons déjà dénoncé les insuffisances (Goigoux, 1998), masque les spécificités de la compréhension du texte écrit : les différences entre langue orale et langue écrite (lexique ou syntaxe), les particularités des organisations textuelles et, bien sûr, les régulations de l’activité de lecture rendues possibles par la permanence de la trace écrite, à l’opposé de l’éphémère oral (Cèbe & Goigoux, 2007, p. 194).

C’est sensiblement le même constat que fait C. Tauveron lorsqu’elle évoque « la magie naturelle du livre » pour expliquer le manque d’enseignement explicite de la compréhension et de l’interprétation des textes de littérature de jeunesse :

Parce que l’on table sur la magie naturelle du livre ou du maitre présentant le livre, c’est bien sans apprentissage spécifique que l’on compte établir une « connivence culturelle et affective » entre le texte et l’élève. […] C’est aussi sans savoirs ou savoir-faire spécifiques que l’on compte, comme y invite le slogan, « faire naitre le plaisir de lire » (1999, p. 10).

Or, lorsqu’on évalue des pratiques non enseignées, on prend surtout en compte des acquisitions faites de manière aléatoire en dehors de l’école et on contribue ainsi à creuser les inégalités. En outre, plus les élèves sont en difficulté de lecture, plus les maitres, en n’enseignant pas de manière explicite les stratégies de compréhension, accentuent les clivages entre déchiffrage et compréhension, entre compréhension littérale et compréhension inférentielle (Goigoux, 1999 ; Tauveron, 1999).

2.2.1.2 Des pratiques langagières centrées sur la restitution et la mémorisation Une autre raison des « ratés » de l’apprentissage peut se trouver dans la faible place accordée aux pratiques langagières orales et écrites dans la classe.

J. Crinon (2011), dans le cadre des travaux du réseau RESEIDA, a analysé un corpus vidéo, réalisé dans trois classes de CM2 de banlieue parisienne, situées en milieu hétérogène et dont les enseignantes étaient à la fois chevronnées et « appréciées par leur hiérarchie et dans leur école » (2011, p. 57). Sa méthode d’analyse repose sur la recherche, dans la succession des séances de classe observées,

des pratiques récurrentes d’une même enseignante ainsi que « des ressemblances et des différences entre les modes de faire » de chacune des enseignantes et les « effets de ces modes sur les élèves » (2011, p. 57). Les résultats de cette recherche mettent en évidence que les enseignants qui utilisent uniquement le langage à des fins de mémorisation et de restitution, ne stimulent pas suffisamment les élèves, notamment les plus faibles, par des activités cognitives et réflexives. En effet, selon J. Crinon, certaines pratiques scolaires « sont dénuées d’enjeux réflexifs et langagiers » : on parle et on écrit plus pour apprendre à « restituer et mémoriser des connaissances factuelles » que pour penser, anticiper, réfléchir. Dans ce type de pratique, l’enseignant parle peu, son langage est utilisé pour lire, paraphraser des questions, des textes, exposer des savoirs. Les consignes de travail sont brèves car souvent répétitives et n’incitent pas à l’élaboration d’une pensée ni à la rédaction d’un texte. Elles concernent principalement des tâches d’identification (rechercher des verbes à l’impératif par exemple) ou de restitution (trouver une information explicite dans le texte). Les tâches demandées aux élèves sont souvent individuelles et écrites et se résument à recopier et répondre à des questions de manière normée. Le langage oral de l’élève est peu sollicité, il se limite à la restitution des réponses écrites à un questionnaire. La lecture est considérée comme une activité plus linguistique que cognitive.

En reprenant les travaux de B. Bernstein (1975), J. Crinon explique que les apprentissages scolaires demandent des usages d’un langage élaboré qui « permettent d’organiser mentalement les objets du monde et les relations entre personnes » (Crinon, 2011, p. 58). En outre, le chercheur, en s’appuyant sur d’autres recherches (Baktine, 1984 ; Bautier, 2005 ; Bernié, 2001 ; Voloshinov, 1929) rappelle qu’on devient élève lorsqu’on s’approprie le langage de l’école et cela implique que l’on passe d’un langage premier immédiat de la conversation à un langage second des disciplines scolaires, des discussions et des argumentations. Ainsi, conclut-il, entrer dans le langage scolaire, « secondarisé », peut être source de difficulté s’il n’est pas enseigné, surtout pour les enfants dont les familles sont le plus éloignées de la culture scolaire :

La réussite scolaire nécessite un langage élaboré et l’élaboration de connaissances par le langage. […] Mais dans bien des cas, les caractéristiques des pratiques langagières de l’école élémentaire sont celles de codes restreints. Paradoxe d’une école qui, non seulement n’enseigne pas ce qu’elle demande aux élèves de connaître, mais acculture parfois ses élèves à des pratiques langagières en décalage avec les pratiques littéraciées nécessaires à l’acquisition des savoirs – à l’école comme hors de l’école (2011, p. 76).

On voit comment des pratiques enseignantes qui négligent un enseignement explicite de la compréhension de textes ainsi que l’utilisation du langage oral à des fins réflexives, laissent, en réalité, à la charge des familles, des acquisitions toutefois indispensables dans la maitrise du lire et écrire. Or, du fait de leur culture éloignée de celle de l’école, les familles ne sont pas toutes capables de permettre ces acquisitions (Bernardin, 2013 ; Lahire, 1993, 2000, 2012). Par conséquent, un enseignement trop implicite de la compréhension et du langage oral à des fins réflexives participe à la construction des inégalités scolaires. Dans le paragraphe qui suit, nous allons donc nous attacher à analyser l’origine des obstacles à cette appropriation de la culture de l’écrit à l’école.

2.2.2 Les obstacles à l’appropriation des bases de la culture écrite à l’école primaire

2.2.2.1 La distance culturelle entre l’école et les enfants des milieux défavorisés

C’est en termes de rapport de domination des « formes sociales scripturales » sur les « formes sociales orales », que B. Lahire (2000) explique les difficultés scolaires des enfants de milieu populaire. Pour lui, les « formes sociales scripturales » peuvent se définir comme « des formes de relations sociales tramées par des pratiques d’écriture et/ou rendues possibles par les pratiques d’écriture, constitutives d’un rapport scriptural au langage et au monde » (2000, p. 13). Dominantes dans notre société actuelle, elles utilisent le langage pour « étudier les structures internes du langage » qui devient alors « objet de connaissance » et qui est « mis à distance du "réel" et du sujet parlant » (2000, p. 29). Les « formes sociales orales » sont au contraire des « formes de relations sociales à faible degré d’objectivation de "savoir" », qui reposent « essentiellement sur l’incorporation des savoirs », et qui sont

« constitutives d’un rapport oral-pratique au monde » (2000, p. 13). Elles utilisent le langage pour parler « de et dans la pratique » plutôt que « sur la pratique » (2000, p. 18). Le sociologue préfère ainsi parler de « formes sociales scripturales » plutôt que de culture écrite, et de « formes sociales orales » plutôt que de culture orale.

Pour B. Lahire, la généralisation de formes sociales scripturales qui se met en

place en France du XVIe au XIXe siècle, avec l’objectivation des savoirs, a modifié les

modes de transmissions de ces savoirs et savoir-faire. Ainsi, nous dit-il, l’école est devenue un espace nécessaire, qui permet des activités d’appropriation spécifique des savoirs objectivés, codifiés, fixés et détachés des pratiques. L’école « est en même temps le lieu d’apprentissage de formes d’exercice du pouvoir. À l’école, on n’obéit plus à une personne mais à des règles supra-personnelles qui s’imposent autant aux élèves qu’aux maitres » (2000, p. 38). L’objectif de l’école est alors d’apprendre à parler et à écrire, en passant par des exercices langagiers, selon les règles grammaticales, orthographiques, stylistiques définies par des générations de grammairiens et de professeurs :

C’est tout un rapport au langage et au monde que les pédagogues entendent inculquer aux élèves à travers les multiples pratiques langagières (orales ou écrites) engendrées dans les formes sociales scripturales-scolaires : une maîtrise symbolique, seconde, qui vient ordonner et raisonner ce qui relève de la simple habitude, du simple usage, de la pratique sans principe explicite. L’école prône la reprise réflexive, la maîtrise explicite et consciente, conduite parfois par des métalangages, des règles, des définitions. La forme scolaire de relations sociales est la forme sociale constitutive de ce que l’on peut appeler un rapport scriptural-scolaire au langage et au monde (Lahire, 2000, p. 39).

Ainsi, le problème de l’échec scolaire peut être envisagé selon le « rapport des

groupes sociaux à la socialisation scripturale scolaire » (Lahire, 2000, p. 41). En effet, il

toucherait prioritairement les enfants des classes populaires parce que ces derniers, ayant un rapport oral-pratique au langage et au monde, ne parviendraient pas à maitriser des formes sociales scripturales qui sous-tendent les pratiques scolaires langagières (Lahire, 2000).

Le sociologue S. Bonnéry (2009) cherche aussi à expliquer les mécanismes des inégalités scolaires en étudiant plus particulièrement l’implicite des contenus et des

pratiques pédagogiques. Selon lui, l’école contribue aux inégalités de deux manières. Elle est inégale « passivement » en niant les différences notamment culturelles et en proposant à tous le même dispositif pédagogique qui repose sur un certain nombre de pré-requis que l’école ne prend pas en charge. Elle est, par ailleurs, inégale « activement » lorsqu’elle devient une école à deux vitesses proposant des enseignements différents en fonction du « degré de connivence que les élèves entretiennent avec la culture scolaire » (2009, p. 161) :

D’abord, dans la logique de « l’indifférence aux différences » pour reprendre la formule de Bourdieu (1966), l’école participe « passivement » aux inégalités par le biais de ce qu’elle ne fait pas, ne transmet pas complètement dans les dispositifs pédagogiques qui sont proposés à tous les élèves. Ensuite, dans la logique de la « surattention particulariste aux différences », pourrait-on dire en détournant la formule précédente, l’école participe « activement » aux inégalités au travers des dispositifs pédagogiques qui dirigent l’activité des élèves ailleurs que vers des acquisitions égales (Bonnéry, 2009, p. 157-158).

Les études sociologiques montrent ainsi combien l’école elle-même peut contribuer à la construction des difficultés scolaires lorsqu’elle s’adresse à des sortes d’élèves « modèles » qui partageraient la même culture ou lorsque, soucieuse de se centrer sur l’élève en temps que sujet avec une histoire propre, elle en oublie ses objectifs et ses exigences de réussite.

2.2.2.2 La littérature de jeunesse source de difficulté ?

D’autres travaux (Bonnéry, 2015a, 2015b ; Bonnéry, Crinon, & Simons, 2015) ont cherché à expliquer les difficultés et les inégalités scolaires en s’intéressant aux supports pédagogiques (manuels, fiches, albums…) qui traduiraient la complexité croissante de l’activité intellectuelle que l’on exige des élèves. Les travaux de S. Bonnéry (2015b) ont porté plus précisément sur les albums de littérature de jeunesse présents dans les écoles. Comme nous l’avons déjà évoqué au travers notamment des travaux de C. Tauveron (1999, 2001, 2002), la littérature de jeunesse est devenue un des supports privilégiés pour l’apprentissage de la compréhension. Et de fait, longtemps l’apanage des milieux aisés et cultivés, la littérature de jeunesse s’est imposée à l’école jusque dans les programmes comme un support fréquent de

l’enseignement de la lecture et de la littérature (Bonnéry, 2015a). C’est pourquoi, il semble intéressant de s’arrêter un moment sur ce support qui, par son évolution, devient de plus en plus complexe et peut, par conséquent, constituer une source de difficultés pour certains élèves.

En effet, l’analyse diachronique du contenu des albums, et plus particulièrement des dispositions sollicitées par les albums narratifs, qu’a réalisée S. Bonnéry (2015b), montre la complexité croissante, d’une part dans la relation texte-image et, d’autre part, dans l’articulation entre la narration et la conclusion. L’auteur distingue trois grands types d’albums présents dans les classes. La majorité des albums écrits entre 1945 et 1964 sont explicites, présentent des images redondantes par rapport au texte et délivrent au lecteur l’essentiel de ce qui est nécessaire pour accéder au sens ; la narration textuelle, étayée par les images, amène le lecteur vers

une conclusion sans ambigüité (par exemple Roule galette16 et plus généralement des

albums édités par Le Père Castor). Les albums écrits entre 1965 et 1984, comme

Petit-Bleu et Petit Jaune17, proposent de plus en plus une relation entre le texte et l’image qui apparait comme « un terrain d’exploration en tant que procédé narratif » (2015b, p. 143) : la mise en relation entre le texte et l’image est sans cesse sollicitée ; l’image, en complément, est indispensable à la compréhension du texte car les informations textuelles et iconiques « se complètent de façon univoque » (2015b, p. 144) ; la conclusion est, quant à elle « "fermée", au sens où elle ne prête pas sujet à controverse » (2015b, p. 145). Depuis 1985, se sont développés des albums complexes (citons en exemple ceux de Mario Ramos) qui imposent aux lecteurs de découvrir les sens pluriels, les sous-entendus. Dans ces albums, « les clés de lecture du sens général de l’histoire ne sont pas immédiatement accessibles, elles supposent des dispositions cognitives à mettre en relations les indices narratifs disséminés dans le texte, la typographie, les images, la mise en page » (Bonnéry, 2015b, p. 151-152). Parfois, la lecture prend la forme d’une situation-problème et le lecteur supposé devient un enquêteur lorsque l’auteur sème « de fausses pistes narratives », mélange « les

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Roule galette (1950 pour la première parution) de Natha Caputo (texte) et Pierre Belvès(Illustrations) aux éditions Flammarion-Le père castor.

versions, les points de vue convergents et dissonants » et les intègre « dans le procédé narratif lui-même comme une énigme à résoudre » (2015b, p. 150). La conclusion dans ce type d’albums ne s’impose pas aux lecteurs, bien au contraire elle ouvre à la discussion. Ce sont ces types d’albums complexes qui tendent à se répandre largement dans les classes depuis trois décennies.

Or, avec ces albums complexes de plus en plus fréquents, l’enfant a besoin d’un médiateur qui l’accompagne pour comprendre leurs implicites :

[Le lecteur] est de moins en moins un enfant accompagné d’un adulte dont la lecture s’en tient à oraliser le texte écrit. C’est un enfant aidé d’un adulte complice de modalités de lectures où l’on suspecte d’emblée des sens cachés : un adulte qui