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Bruissements, espaces sonores et cultures

Dans quelle mesure ce bruissement, cette façon d'habiter l'espace sonoreg peut-il être influencé par une culture donnée ? Cette recherche comparative m 'a amenée à analyser des bruissements de groupes en France, au Maroc, au Brésil, au Canada, au Portugal et en Italie, avec l'hypothèse qu'une identité culturelle est aussi caractérisée par des pratiques sonores. Il me semble toutefois nécessaire de distinguer deux types de situations : les groupes placés dans un environnement très bruyant, et les autres. Rappelons aussi que ces com­ paraisons concernent les premiers repères d'un groupe, c'est-à-dire des groupes en voie de constitution, et non déjà organisés.

a. Pour les groupes placés dans un environnement sonore particulièrement bruyant, il

semble que l 'effet de l'environnement puisse être plus fort que l'effet de culture, et se

retrouver dans les types de réactions au stress sonore que j'ai déjà citées. Une expérien­ ce faite à Lisbonne pourra illustrer ce point. Il s'agissait d'un grand groupe (une quaran­ taine de personnes) dans une salle à l ' environnement particulièrement bruyant puisqu'elle était située sur un axe de circulation et tout près de l'aéroport. Les produc­ tions sonores de ce groupe d'improvisation (groupe subdivisé en quatre pour les travaux pratiques) furent caractérisées par un remplissage de l'espace sonore du groupe. produi­ sant un ensemble homogène à forte intensité sonore, et un usage compulsif de la répéti­ tion entraînant une grande monotonie de l'ensemble des productions. On peut déceler dans 'ce comportement une lutte contre l'intrusion sonore (klaxons de voitures, freins, décollages et atterrissages d'avions), par une densification sonore interne, saturation de l 'espace sonore du groupe, et une sorte de suture par l'usage fait de la répétition.

b. Lorsque l'environnement sonore ne constitue pas une gêne importante pour le grou­ pe, on peut penser avoir plus affaire à des caractéristiques culturelles.

Une expérience faite à Naples a mis en valeur, dans les productions des participants. un effet de masse sonore composée de paquets de sons. d'une très forte intensité en continu, d'un contenu très cohésif. Cette masse sonore rendait inaudible toute tentative d'expres­ sion individualisée et de communication précise. Par contre elle produisait et entretenait un haut niveau d'excitation. On y reconnaît, naturellement, des caractéristiques senso­ rielles, et notamment sonores. de cette ville italienne. Par contre, une expé1ience faite à

Rio, m'a surprise par la production immédiate, aussi dans un grand groupe, d'une hanna­ nie vocale partagée par tous et simplement developpée ; ce groupe avait lieu à l'intérieur d'un. congrès, ceci donnant peut-être une tonalité de rassemblement, voire de fête . . . Ce qui était en tout cas manifesté là, c'était l'appartenance à un univers sonore déjà très sen­ sible et très organisé (on peut y percevoir J'influence des sources africaines).

Je terminerai mon exposé en citant l'expérience que j'ai eue avec un groupe d' une quin­ zaine d'étudiants en psychologie, que je voyais également dans le cadre de rencontres centrées sur l 'improvisation musicale. Contrairement aux observations précédentes, il ne s'agit pas, dans ce cas, d' une première rencontre, mais d'un groupe déjà constitué.

À l'arrivée à l' une de nos séances, ce groupe se dispersa spontanément dans la salle en

trois sous-groupes. Je ne suis pas intervenue à ce niveau, si bien que l 'improvisation musicale a commencé dans ces conditions physiques, visuelles et relationnelles bien par­ ticulières. D'autant que, sur le plan sonore également, chacun des sous-groupes avait tenu a se différencier des autres, ainsi les modes d'organisation interne furent-ils pour l ' un un leadership autoritaire, pour l 'autre un thème musical, pour le troisième une volonté de liberté d'improvisation. Mais tous s'exprimaient ensemble, comme c'était le cas à chacune de nos séances, pendant le temps laissé à l'improvisation. Les verbalisa­ tions qui suivirent l'expérience étaient centrées sur la volonté de séparation et de diffé­ renciation entre eux, donnant ainsi l'image d'un groupe particulièrement divisé, en crise. Aussi quel ne fut pas leur étonnement et, pour certains, leur relative déception, lorsque l'écoute de l'enregistrement leur fit prendre conscience à quel point ils avaient partagé, en réalité, un même espace sonore, ayant notamment des caractéristiques communes de pulsation, d' intensité, d' harmonie. C' est-à-dire qu' ils se retrouvaient malgré eux, à l ' intérieur du bruissement du groupe (j 'ai signalé au début de mon intervention que ce bruissement a tendance à se rendre plus manifeste au moment de crise, justement).

Cet exemple illustre bien le peu de maîtrise que nous avons de notre fonctionnement dans le sonore et jusqu'à quel point nous habitons consciemment ou non notre environ­ nement sonore.

Bibliographie succincte

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RECHERCHE EXPLORATOIRE SUR LA PSYCHOPA THOLOGIE DU VÉCU SONORE À

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UNA MUS/CA ANTICA COME L'UMANITÀ: ESPERIENZA Dl COMMUNICAZIONE SONORA

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CARACTÉRISTIQUES GROUPALES ET INDICATIONS THÉRAPEUTIQUES : "SENSORIUM DE GROUPE". ET EMBOITEMENTS D'ENVELOPPES. Revue de Psychothéra pie Psychanalytique de groupe . 1 4. 57-78 . 1 990.

Sentiment de confort