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1. CADRE THÉORIQUE

1.4. LA POLITIQUE D’INTÉGRATION EN SUISSE

1.4.1. BREF HISTORIQUE

À partir de 1945 des négociations avec les États voisins sont entamées et en 1948 un accord fut trouvé avec l’Italie sur une gestion du flux des migrant-es et permettant un retour au pays en tout temps (Niederberger, 2005). Nous assistons là à la naissance d’une politique migratoire de rotation qui autorise l’arrivée de travailleurs saisonniers étrangers. Cette politique se base donc sur une migration temporaire. Les migrant-es obtiennent un permis de séjour annuel renouvelable et après dix années passées sur le sol suisse un permis d’établissement peut leur être accordé (D’Amato, 2008).

Durant les années 1960, de fortes tensions vont se faire ressentir en Suisse à différents niveaux.

L’Italie montrera son mécontentement quant au statut de séjour de ses ressortissants et mettra des pressions pour améliorer leur condition. La surchauffe économique sera mise sur le dos de la main d’œuvre étrangère de la part de l’opinion publique et des mouvements populaires xénophobes verront le jour (Piguet, 2013). La Suisse commencera par céder face aux revendications de l’État italien. Parmi les améliorations à l’égards des étrangers, nous pouvons noter un regroupement familial favorisé, un meilleur statut de séjour avec un droit d’établissement après cinq ans (et non plus dix ans), ou encore une mobilité géographique et professionnelle facilitée (Niederberger, 2005). Mais la Suisse devait également apaiser les tensions grandissantes au sein de la société qui craignait une surpopulation étrangère (Steiner, 2007). Après plusieurs initiatives1, une commission consultative2 voit le jour et devait se focaliser sur « l’étude des problèmes sociaux de la main-d’œuvre étrangère en Suisse, et en particulier sur leur encadrement social, leur adaptation à nos conditions de vie et de travail, leur assimilation et leur naturalisation » (Steiner, 2007). Cette commission fût invitée également à prendre part la révision de la loi fédérale sur le séjour et l’établissement des étrangers (LSEE) de 1931 et au développement de la politique suisse d’immigration (Steiner, 2007). Les objectifs étaient de ne pas augmenter le taux d’étranger-ères et de faciliter la cohabitation avec les suisses et le pays avait besoin de cette main-d’œuvre (Steiner, 2007). Il y avait donc un double objectif, à la fois social et économique, qu’il fallait harmoniser. Malgré tout, la politique d’intégration fédérale reste pauvre (Niederberger, 2005).

L’initiative Schwarzenbach du 7 juin 1970 va être un tournant pour la Suisse dans sa gestion du flux migratoire. Malgré l’échec de cette initiative, la Suisse n’est pas passé loin d’une crise politique de grande envergure (Piguet et Mahnig, 2000). C’est à partir de ce moment qu’elle a adopté une politique de quota pour limiter l’arrivée de nouveaux étranger-ères. Ainsi, la Suisse

1 La « première initiative populaire contre l’emprise étrangère » en 1965 fût retirée par le Conseil fédéral. Une seconde initiative nommée « Initiative Schwarzenbach » fût retenue mais rejetée par le peuple et les États en 1970 (Steiner, 2007).

2 Commission fédérale consultative pour le problème des étrangers.

tentait de trouver le bon compromis entre les intérêts économiques et une partie de l’opinion publique (Piguet et Mahnig, 2000).

Malgré cette nouvelle politique et une diminution de l’immigration annuelle de travailleur-es, où l’on passe de 70'000 en 1970 à environ 50'000 de 1971 à 1973, les chiffres sont en hausse (Piguet et Mahnig, 2000). Cela s’explique pour différentes raisons. Tout d’abord l’augmentation des travailleur-ses saisonnier-ères. Malgré un plafond annuel situé à 152'000, leur nombre est largement au-dessus avec plus de 200'000 sur la même période car il n’y a pas de véritable contrôle au niveau des cantons (Piguet et Mahnig, 2000). Le regroupement familial et certains domaines économiques, non soumis au quota, participent également à cette augmentation du flux migratoire, allant à l’encontre d’une volonté de stabilisation (Piguet et Mahnig, 2000).

À la fin des années 1970, les difficultés économiques dues au choc pétrolier provoquent le retour de travailleur-ses étranger-ères dans leurs pays d’origine (Piguet, 2013). La Suisse voit sa population étrangère diminuer fortement3 car pour pouvoir renouveler le droit de séjour, il faut avoir un emploi (Niederberger, 2005). Avec cette politique, la Suisse a pu « exporter » une bonne partie de son chômage et satisfaire les mouvements xénophobes (Piguet et Mahnig, 2000).

À partir des années 1990, la politique suisse de quota va perdre son efficacité et être sérieusement remise en question. En effet plusieurs facteurs empêchent ce système de remplir son objectif de stabilisation de la population étrangère (Piguet et Mahnig, 2000). Les conditions favorables4 que la communauté italienne avait réussie à obtenir va se généraliser aux autres populations étrangères telles que les ressortissant-es espagnol-es, portugais-es ou encore yougoslaves. Le contexte international va également jouer un rôle important, notamment avec la volonté de la Suisse de se rapprocher de l’Europe5 et la question des requérants d’asile, car les motifs d’immigration vont changer et échapper au contingentement (Piguet et Mahnig, 2000).

3 100'000 personnes avec permis d’établissement avec leurs familles, 50'000 saisonniers et 25'000 frontaliers vont quitter la Suisse (Piguet 2013).

4 Les permis annuels étaient automatiquement transformés en permis d’établissement (Piguet et Mahnig, 2000).

5 La Suisse adhère à l’Association européenne de libre-échange (AELE) (Mahnig, 2005).

Le Conseil fédéral propose en 1991 un modèle dit « des trois cercles » dans le but de prendre en considération les intérêts économiques et l’identité nationale (Mahnig, 2005). Ce modèle consiste en une classification de l’immigration étrangère en trois catégories selon des considérations géographiques, culturelles et économiques. Dans le premier cercle, on y retrouve les pays de l’UE et de l’AELE, avec qui la Suisse souhaite la libre circulation des personnes (Mahnig, 2005). Le deuxième cercle englobe les pays dits « culturellement proches » comme les États-Unis, le Canada et les pays d’Europe de l’Est et le troisième cercle regroupe tous les autres États dont les ressortissant-es ne sont en principe pas autorisé-es à s’installer dans le territoire suisse, sauf s’il s’agit de personnes hautement qualifiées (Piguet, 2013). Le modèle des trois cercles va cependant être critiqué pour son caractère discriminatoire, mais comme le souligne Mahnig (2005), ce système est en réalité semblable à la politique de quota existante jusqu’alors.

En 1998 le gouvernement suisse remplace donc le modèle des trois cercles par le modèle des deux cercles, consistant à regrouper le deuxième et troisième cercle (Bolzman, 2002). Désormais le niveau de qualification devient un critère de sélection pour tous les membres des pays extra-européens (Piguet, 2013). Bolzman (2002) explique que l’admission de ces derniers dans le territoire suisse reste cependant difficile. L’idée est donc de répondre aux besoins de l’économie suisse en recrutant des travailleur-ses venant des pays du premier cercle (UE et AELE) sans engendrer de réaction hostile de la part de l’opinion suisse (Piguet et Mahnig, 2000). C’est ainsi que la politique de quota prend fin.

Nous avons que jusqu’à la fin des années 1990, la politique suisse concernant l’immigration était une politique centrée sur la gestion de la main-d’œuvre étrangère et non sur l’intégration de cette dernière. Le gouvernement suisse a jusqu’alors toujours considéré l’immigration comme temporaire et non durable (Bolzman, 2002). La politique de rotation s’oppose de fait à l’idée d’une intégration des travailleur-ses immigré-es car destiné-es à retourner dans leurs pays d’origine. De plus, la population étrangère venait principalement des pays limitrophes, avec un mode de vie qui était très proche des natifs et donc la question de l’intégration de ces personnes n’était pas jugée pertinente (Wanner et al., 2002). Bien que l’immigration ait commencé à se diversifier qu’à partir de la fin des années 1980 (Bertrand, 2017), la question de migratoire

occupait déjà une place dans le débat politique durant les années 1960. Il existe donc une autre raison qui pourrait expliquer pourquoi il n’y a pas eu une véritable politique favorisant l’intégration de la population étrangère. Selon D’Amato et Suter (2012), tant que le taux de chômage en Suisse restait faible, l’intégration professionnelle ne posait pas de réel problème.

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