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a : La brèche : la procédure de déclassement

Dans le document Le Louvre des Sables : le dossier Abou Dhabi (Page 110-112)

III 1.c : Le Musée et le Politique

IV. 2 : Inaliénabilité

IV.2. a : La brèche : la procédure de déclassement

En France, les biens relevant du régime du domaine public, c’est-à-dire ceux dont l’État, les collectivités territoriales, les établissements publics, sont propriétaires, et qui sont affectés à l’usage du public, sont inaliénables, imprescriptibles, et insaisissables. Ces dispositions sont dûment rappelées dans la loi Musées, de janvier 2002 qui entérine la modernisation des musées et uniformise leur statut sous le label « Musée de France ». Les musées nationaux, les musées classés des Ministères de la culture, de l’éducation nationale bénéficient d’office du label ; les musées de droit public (collectivités locales, etc.) ou privé (fondations, etc.) peuvent recevoir, sous certaines conditions, ce nouveau statut qui leur donne accès aux conseils et à l’assistance de l’État163. De ce fait, depuis la loi de 2002, le principe de l’inaliénabilité des collections s’est étendu aux œuvres des musées privés ayant demandé et obtenu le label « Musée de France ». Par contre, un amendement sénatorial d’avril 2002, prévoit, entre autres, la possibilité d’engager une procédure de déclassement d’objets appartenant aux collections d’un « Musée de France ». C’est à une commission scientifique compétente, la Commission des musées de France constituée en 2003 et présidée par le Directeur des musées de France (DMF), que revient la décision en matière de déclassement, décision devant être prise en séance plénière, à la majorité des trois quarts des trente cinq membres qui la composent, soit vingt quatre membres de droit (professionnels des grands musées nationaux), six personnalités du monde de l’art (universitaires et conservateurs) choisies par le Directeur de la DMF, et quatre personnalités désignées par le Ministre de la culture. Finalement, et comme le souligne Jacques Rigaud, le public français est « en présence d’une loi qui, tout en affirmant le principe de l’inaliénabilité des collections

163 Anne Krebs et Bruno Maresca. Le renouveau des musées, Paris, La documentation française, coll. « Problèmes économiques et sociaux », 2005, p. 89-90.

publiques des musées, a prévu la possibilité de céder des œuvres, selon une procédure ‘très encadrée’164. »

C’est pourtant le Sénat qui a voté, en juin 2009, la restitution par le Muséum d’histoire naturelle de Rouen, d’une Tête de guerrier Maori tatouée et momifiée, au Musée Te Papa Tongarewa de Wellington, en Nouvelle Zélande. Cette loi, ponctuelle165, met fin à un différend juridique entre la ville de Rouen et le Ministère de la culture, ainsi qu’à un différend diplomatique entre la France et la Nouvelle-Zélande, et témoigne d’une éthique nouvelle en matière muséologique, laquelle suggère la condamnation du commerce de restes humains de l’époque coloniale, et la volonté contemporaine de repenser le principe de l’inaliénabilité établie dès l’époque prérévolutionnaire française166. L’autorisation parlementaire de restituer la tête Maori de Rouen et, par extension, celles conservées dans les musées de France, fait ressortir l’urgence d’un travail de fond afin de définir les critères susceptibles d’entraîner la procédure conduisant à un éventuel déclassement167. Dans ce sens, la Commission constituée en 2003, rebaptisée « Commission scientifique nationale des collections des musées de France », quelque peu rebutée par le dossier et tardant à établir les motifs, les circonstances et la typologie des cas recevables dans le cadre de la politique de déclassement, s’est vue accorder par le Sénat, un délai d’un an, soit jusqu’au 30 juin 2010 pour remettre son rapport. Il s’agit donc là d’une affaire (à suivre) qui démontre une volonté d’aménagement, une sorte d’exception à la règle examinée au cas par cas, plutôt qu’une rupture dans la gestion des collections publiques. Certains principes, préalables aux travaux de la Commission, sont d’ailleurs clairement énoncés, tel le rappel de

164 Rapport Rigaud,. Op. cit., p. 21.

165 En 2002, une décision similaire avait fait restituer la Vénus de Hottentote, qui faisait partie des collections du Musée de l’Homme, à l’Afrique du Sud.

166 Sophie Flouquet. « Restitution. L’inaliénabilité au Parlement », Le Journal des Arts, nº 307, 10 juillet 2009, p. 6. 167 Certains de penser que le principe de l’inaliénabilité reste la parade parfaite aux demandes de restitution.

l’inaliénabilité absolue des œuvres issues de dons, de legs, et des œuvres acquises avec l’aide des deniers de l’État.

Hormis les divers cas de demande de restitution168, quels sont les biens susceptibles d’être déclassés ? Le sort des œuvres redondantes, des séries, des copies, des doublons, le sort des œuvres dégradées, non attribuées ou mal attribuées, le sort de celles mal intégrées dans les collections, de celles ne bénéficiant pas de la faveur des jugements esthétiques ou scientifiques du moment, et qui ne se trouveraient pas dans des collections d’un « Musée de France » par suite d’un don, d’un legs ou d’une acquisition publique totale ou partielle, reste en suspens… mais le classement des œuvres en deux catégories, préconisé par le rapport Lévy et Jouyet, la catégorie des trésors nationaux qui ne pourraient quitter le territoire, et celle des œuvres libres d’utilisation est écartée, au moins pour le moment. Dans son rapport subséquent, Jacques Rigaud rappelle que le musée est d’abord et avant tout au service du public, et il ajoute :

Aucune œuvre, même la plus rare, la plus précieuse, n’est à elle seule le service public. En d’autres termes, les œuvres qui constituent une collection forment un ensemble dont chaque élément ne peut être jugé indépendamment de l’ensemble dont il est une des composantes. Si un musée détient 25 Matisse ou 40 Poussin, il peut considérer que si tous ne sont pas d’égale qualité, leur appartenance à un même ensemble, constitué souvent au gré des circonstances ou des opportunités, donne à chacun d’eux une signification qui n’apparaîtrait pas, ou pas aussi fort, s’il était isolé, et que le moins inventif, le plus répétitif de ces tableaux donne précisément tout son sens et sa valeur au plus abouti169.

Dans le document Le Louvre des Sables : le dossier Abou Dhabi (Page 110-112)