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Bourses de la Fondation Rockefeller : la mise en place de colloques sous une forme bien précise.

d’analyse harmonique, Nancy 15-22 juin

3.1 La reconstruction d’après-guerre et la forme colloque réinvestie : les colloques internationaux du C.N.R.S

3.1.1 Bourses de la Fondation Rockefeller : la mise en place de colloques sous une forme bien précise.

Juste après la fin de la guerre, dès 1945, la Fondation Rockefeller va chercher à jouer un rôle dans la science française. C’est l’objet de l’étude de [Zallen 1989], qui s’attache précisément à ces années d’après-guerre. Nous allons nous appuyer sur cette étude, et surtout extraire de l’étude ainsi que des archives mobilisées par Zallen, les indications permettant de définir à la fois les objectifs de la Fondation Rockefeller mais aussi la forme bien délimitée des colloques – les colloques internationaux du C.N.R.S. – dont la Fondation va être à l’origine de la mise en place.

A l’automne 1945, les besoins de la communauté scientifique française, fragilisée par la guerre, sont identifiés de la sorte par Warren Weaver, alors directeur de la « Natural Sciences Division » de la Fondation Rockefeller2 :

1. restoration of contacts, both within and without France ;

2. furnishing of critical items of equipment (apparatus, chemicals, literature) ; 3. training of scientific personnel.

La Fondation Rockefeller, qui souhaite lancer la reconstruction de la science française, va choisir deux moyens afin de remplir ces besoins qu’elle identifie. Après des discussions, il est décidé d’attribuer deux bourses au Centre National de la Recherche Scientifique, l’une de $250,000 pour l’équipement des laboratoires et l’autre de $100,000 pour l’organisation

de conférences. Cette deuxième bourse, celle qui nous intéresse ici, vise le premier des besoins recensés, à savoir la restauration de contacts scientifiques, à l’intérieur de la France et avec l’extérieur. Les objectifs et la forme de ces colloques sont précisés par Weaver, dont Zallen retrace les propos :

To overcome the effects of the intellectual isolation of French science induced by the war, Weaver suggested a grant of $100,000 to help the CNRS bring leading scientist (American and non-French Europeans)3 to a series of special conférences in France.

These conferences would be targeted to address particular problems such as protein structure, ensymatic sustems in cellular physiology, or statistics of quality control (Weaver’s examples). The conferences, by bringing world experts together with French scientists in that field, would help identify « the most fruitful lines along which the work can now proceed ». Weaver’s description of these conferences indicates that they were to be small and informal (« the attendance of mature contributors restricted to say 15 ; with provision, however, for additional listening and observing audience of young men »), and were to include two to five non-French researchers. They were to be held at various locations throughout France, and last long enough (of the order of a week) so that real work could be accomplished. Rather than merelyproviding information, then, these conferences were envisioned as a means of re-establishing and energizing scientific programs in France by offering French scientists the opportunity to orient their work so as to both draw on their particular strength and fit their work with recent developments internationally.

[Zallen 1989, p.6]

L’objet de la bourse est donc d’aider le C.N.R.S. à faire venir en France des scientifiques de haut-niveau à des colloques. Il s’agit de conférences petites et informelles, auxquelles on invite un nombre restreint de scientifiques. Ces conférences doivent avoir lieu dans différents lieux en France et durer assez longtemps pour avoir le temps d’accomplir un vrai travail. Ces conférences sont perçues comme étant le moyen de relancer des programmes scientifiques en France, en incitant les scientifiques français à réorienter leur recherche afin de mieux l’inclure dans les développements internationaux récents. L’attribution d’aides pour des conférences est l’une des activités favorites de la Fondation, ainsi que le précise Zallen, pour laquelle elle a déjà beaucoup d’expérience. Nous revenons plus loin sur les nombreux aspects qui apparaissent ici.

Une première bourse est attribuée en juin 1946, pour trois ans, pour l’organisation de trente conférences, en même temps qu’une bourse pour l’équipement (les deux étant complémentaires, de l’avis des dirigeants du C.N.R.S.). Au bout des trois années, seules vingt conférences ont eu lieu et la moitié de la somme a été dépensée. La bourse a donc été prolongée de trois ans, pendant lesquels dix-huit autres conférences ont été organisées. Puis une deuxième bourse de $40,000 est versée de nouveau en juin 1952, pour trois ans plus un an de prolongement. Au final 55 conférences sont organisées de juin 1946 à juin 1956. [Zallen 1989, p.23-24] donne une liste de ces conférences, dans l’ordre chronologique, et notamment celles de mathématiques.

Institutionnalisation

Revenons sur le choix du C.N.R.S.4 auquel la Fondation Rockefeller confie l’organi-

sation de ces colloques, qui prennent d’ailleurs le nom de « colloques internationaux du

3. Dans un contexte de guerre froide, cette expression montre l’exclusion de l’URSS de la communauté scientifique internationale considérée par les Américains. On pourra lire [Krige 2006].

4. Pour l’histoire du CNRS, on pourra consulter la collection Cahiers pour l’histoire du CNRS, et plus spécifiquement l’article de Jean-François Picard et Elisabeth Pradoura « La longue marche vers le CNRS (1901-1945) » [Picard et Pradoura 1988 (remanié en 2009)]. Voir aussi [Guthleben 2009].

C.N.R.S. » . Le C.N.R.S. est considéré comme prédominant en France à cette date par la Fondation Rockefeller, ainsi qu’on peut le lire dans son rapport annuel de 1946 (p.162)6:

The Centre National de la Recherche Scientifique has two functions : to carry on research and to assist research in French universities. It is organized in over 30 sections, covering all the fields of pure and applied science, with a directorate representing the leadership of French science. Many of the leaders are former Foundation fellows who have knowledge of and sympathy for science in other countries. An important phase of the Centre’s plan is that of developing research in the provincial universities as well as in Paris.

Très concrètement, la Fondation Rockefeller et le C.N.R.S. se répartissent le finance- ment des colloques. On en trouve des traces dans la brochure que le C.N.R.S. envoie aux organisateurs de colloques. Ainsi lorsqu’en 1955, Delsarte7 souhaite organiser un colloque

d’équations aux dérivées partielles8, il reçoit cette brochure du C.N.R.S., intitulée « Ren-

seignements pratiques pour la préparation et le règlement des colloques internationaux organisés par le C.N.R.S. avec l’appui de la Fondation Rockefeller », qui est reproduite dans l’annexe J, p.331. Cette brochure permet de comprendre comment étaient présentés les colloques à leurs organisateurs. Même si cette brochure a été envoyée en 1955, nous la citons pour l’ensemble des colloques.

Les « prévisions de dépenses » prévoient une répartition des remboursements de frais de voyage et séjour entre le C.N.R.S. et la Fondation Rockefeller :

Il est prévu pour chaque colloque :

1˚) Un crédit sur les fonds ROCKEFELLER :

a) pour les frais de voyage et de séjour des étrangers,

b) pour certains frais de réception et d’organisation (cf. imprimé N˚9) dont l’organisateur devra donner un état détaillé pour justification.

2˚) Un crédit sur les fonds du C.N.R.S. :

a) pour les frais de voyage et de séjour des français,

b) pour les frais de réception et de secrétariat qui devront tous être justifiés par une facture en bonne et dûe forme (cf. imprimé N˚8)

On constate ainsi que les fonds Rockefeller servent à financer les séjours et voyages des étrangers, étant ainsi fidèles à l’objectif initial de relancer les contacts entre scientifiques français et étrangers. Enfin, les colloques internationaux du C.N.R.S. sont publiés par le C.N.R.S. dans une collection dédiée.

Les modes de financement de publication traduisent une institutionnalisation de ces colloques, qui passe par l’attribution de leur organisation au C.N.R.S. par la Fondation Rockefeller. La forme de ces colloques est bien établie, son organisation est institutionna- lisée.

5. Après l’arrêt des bourses de la Fondation Rockefeller, ces colloques continuent à être organisés par le C.N.R.S..

6. On peut trouver ce rapport sur le site http ://www.rockefellerfoundation.org (consulté le 1er sep- tembre 2013).

7. Doyen de la Faculté des Sciences de Nancy, nous reparlons de Delsarte plus loin, car c’est lui qui organise aussi le colloque d’analyse harmonique de 1947.

8. Le colloque sur les équations aux dérivées partielles aura lieu à Nancy, du 9 au 15 avril 1956, et Schwartz sera d’ailleurs présent. Par contre, la bourse Rockefeller ayant pris fin à cette date, il sera uniquement « sous les auspices du C.N.R.S. »

Géographies

Si les bourses de la Fondation Rockefeller ont pour but une restauration de la commu- nauté scientifique française telle qu’elle existait avant la guerre, elles permettent pour cela une modification de la manière dont les individus interagissent entre eux, et une meilleure visibilité à la fois des universités de province en France ainsi que de la science française sur la scène internationale. Ainsi que les objectifs premiers le spécifiaient, le but est de restaurer les liens à la fois internes à la France mais aussi internationaux.

En ce qui concerne la volonté d’organiser des colloques dans des universités de province, on constate que 20 des 55 colloques ont lieu dans de tels lieux (voir Annexe G, p.319). Il y a ainsi 5 colloques à Lyon, 4 à Strasbourg, 3 à Nancy, 2 à Alger et Marseille, et 1 à Toulouse, Montpellier, Bordeaux et Grenoble. Tous les autres ont lieu à Paris (dont 1 à Gif-sur-Yvette).

Si l’on regarde l’influence des bourses sur la science française9, on peut constater que

les conférences ont été bien accueillies, dès le départ, ainsi qu’en témoignent de nombreux récits ; ce qui amène la Fondation Rockefeller à conclure sur le succès des conférences :

There is little question but what the CNRS colloquia have been most successful, have been uniformly well conceived and well conducted, and have played a very fine role in broadening the international outlook of French scientists10.

L’internationalisation de la science a été l’objet de nombreuses recherches, dont cer- taines portent exclusivement sur les mathématiques. On peut notamment citer les ouvrages de Reinhard Siegmund-Schultze Rockefeller and the Internationalization of Mathematics

between the two World Wars. [Siegmund-Schultze 2001]11 et celui édité par Karen H.

Parshall et Adrian C. Rice Mathematics Unbound : the evolution of an international ma-

thematical research commnity 1800-1945 qui, même s’ils ne se focalisent pas sur l’époque

qui nous intéresse ici, permettent de mieux définir ce que l’on entend par ces termes « in- ternational » et « internationalisation » et de les replacer historiquement.Ainsi Parshall et Rice décident-ils de traiter la question sur une période très large, à l’aide d’étude de cas, et remettent en cause le phénomène d’internationalisation comme étant propre à la fin du vingtième siècle. La communauté des mathématiciens actuelle est internationale, à la fois en terme de conférences, invitations, publications, et échanges d’idées mathématiques12,

9. Voir notamment [Zallen 1989, p.15-17].

10. Propos rapportés dans [Zallen 1989, p.15], Gerard R. Pomerat officer’s diary, June 6, 1951 entry. Rockefeller Foundation archives, RG 12.1.

11. Ce livre cherche à répondre à la question : « How and to what extent did and do these (originally non- scientific) cultural and political differences between nations shape science and mathematics in its cognitive and social structures in a qualitative new manner beyond the national level » [Siegmund-Schultze 2001, p.4] et étudie pour cela notamment la Fondation Rockefeller.

12. Ainsi écrivent-ils :

Few would disagree with the characterization of today’s intellectual community, indeed of society itself, as « international ». (...)

As a constituent of this broad schorlarly body, the community of mathematicians shares these characteristics and, like most of its academic peers, could be forgiven for taking the international nature of its field for granted. Its members attend meetings and conferences the world over, participate in exchange programs with foreign institutions, publish papers in globally circulated journals editorially based in a host of countries, and draw from from the work of mathematicians worldwide, all with the principal objective of advancing their discipline. It does not take extensive knowledge of the history of mathematics –or of uman kind for that matter– to know that this is a recent phenomenon. More particularly, it seems to have been a characteristic of the late twentieth century.

Or was it ?

et cela se retrouve bien avant cette période récente.

Nous verrons néanmoins qu’il est toujours possible de parler d’internationalisation, dans le sens qui est décrit juste au-dessus mais aussi en termes de voyage et de déplace- ment personnel, après la seconde guerre mondiale ; ce phénomène est toujours en cours, ainsi que nous le verrons dans le cas particulier de Schwartz : cela a un sens de parler d’internationalisation de la carrière et des mathématiques de Schwartz à partir de 1947.

L’un des rapports de la Fondation Rockefeller conclut en 1952 sur le rôle des colloques ainsi13 :

the colloquiums seem to have played an important role in overcoming the traditional French reluctance to visit abroad (particularly in the United States) or to seek really strong international rapport. As a small somewhat unexpected corollary to this, it seems that a good many of the visiting scientists have been helped to discover the fine scientific work, and especially scientific thinking, being done in some of the French laboratories

L’un des principaux aspects de ces colloques est peut-être d’avoir familiarisé les scienti- fiques français avec les voyages internationaux, indique ce rapport : nous verrons que c’est le cas pour Schwartz.

En terme de géographies, les colloques se positionnent à deux échelles. A l’échelle natio- nale tout d’abord, la volonté de favoriser les universités de province permet l’organisation d’entre un tiers et la moitié des colloques à l’extérieur de Paris. A l’échelle internationale ensuite, les colloques sont l’occasion pour les Français d’inviter des scientifiques étrangers à venir connaître leurs travaux, et a pour conséquence de développer les voyages scientifiques ultérieurs des scientifiques français.

Spécialisation

Précisons maintenant un troisième enjeu, qui participe au projet. Il s’agit de la spécia- lisation, c’est-à-dire de l’organisation de colloques sur des sujets spécifiques, sur lesquels travaillent déjà quelques scientifiques français mais dont les recherches ont à gagner à la confrontation internationale. Le rapport de la Fondation Rockefeller de 194614 le précise

ainsi :

The scientific conferences will be organized relative to some modern problem or group of problems, such as chemical genetics, protein structure, enzyme chemistry, cellular physiology, recent advances in statistical techniques, magnetic theories and structure of metals. Such small, informal meetings will give an excellent opportunity for eight or ten French scientists to join with a few non-French colleagues in discussion of their fields of interest, and to bring themselves up to date on work done during the war, as well as to plan the most fruitful lines along which work can now proceed. Two such conferences, one on the subject of high polymers and the other on the theory of optical images, were held in 1946 ; and these conferences have been judged most successful.

Les conférences portent sur de nombreux sujets [Zallen 1989, p.13], des mathéma- tiques à la biologie. La majorité de ces conférences correspondent au format prévu, à savoir qu’elles portent sur des problèmes spécifiques, faisant partie de programmes de recherche français. Elles attirent des éminents scientifiques. Le côté informel n’est pas

13. Propos rapportés par [Zallen 1989, p.16-17]

14. Rockefeller Foundation Annual Report 1946, p. 163. Archives Rockefeller en ligne : http ://www.rockefellerfoundation.org/about-us/annual-reports (Page consultée le 1 septembre 2013).

toujours respecté néanmoins ; certaines conférences attirant tous les prix Nobel de la dis- cipline par exemple. La liste des titres des colloques, voir Annexe G p.319, montre bien la spécialisation des sujets choisis.

L’accent mis sur la spécialisation est aussi précisé par le petit nombre de participants souhaités, autour de quelques experts dont un français et des jeunes.

On a laissé de côté les enjeux politiques, le cadre dans lequel s’insère le projet de la Fondation Rockefeller, pour ne présenter que les aspects structurels des colloques. Les col- loques internationaux du C.N.R.S. sont institutionnalisés, leur forme est spécifique (petit nombre de participants, place des jeunes, sujet spécialisé) et les aspects géographiques importants (province - internationalisation).

Retenons donc le projet initial de ces colloques, à savoir une reconstruction de la science française autour de conférences d’une semaine, autour de scientifiques éminents étrangers et d’une équipe présente en France, accompagnée de discussions informelles. Nous allons rechercher les effets spécifiquement d’un de ces colloques internationaux, à savoir celui d’analyse harmonique de juin 1947. L’analyse plus précise d’un colloque va permettre de voir comment le C.N.R.S. a mis en œuvre la réalisation concrète des colloques rendus possibles par le financement de la Fondation Rockefeller, ainsi que les conséquences qu’un tel colloque a pu avoir tant sur la vie mathématique de Schwartz. Mais avant cela, nous allons définir plus précisément l’objet « colloque » ou « congrès », et son investissement par les mathématiciens.

3.1.2 L’objet congrès se définit ; son investissement par les mathémati-

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