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CHAPITRE IV ANALYSE ET DISCUSSION 80

1. PRÉSENTATION DES CONCEPTS MOBILISÉS 80

1.1 BOUNDARY WORK – TRAVAIL AUX FRONTIÈRES 80

Comme nous l’avons montré, il y a dans cette recherche des questionnements sur la démarcation entre ce qui est scientifique et ce qui ne l’est pas. Ces peuvent être abordées à l’aide de la notion de boundary work ou travail aux frontières en français (Gieryn, 1983). Cette notion permet d’envisager que les démarcations ne sont jamais nettes et précises et qu’elles sont perpétuellement négociées.

Le concept de boundary work développé par Thomas Gieryn permet de penser la notion de frontière notamment par la démarcation qu’il peut y avoir entre science et ce qui est regroupé sous le joug de la non-science comme la pseudoscience, les idéologies et les croyances. Gieryn (1983) expose dans son article que le souci d’établir une démarcation entre science et non science n’est pas nouveau. Il a été notamment abordé, comme nous l’avons vu, par de nombreux auteurs au 20e siècle. Mais par ce concept Gieryn (1983) nous montre que le principe de démarcation si ardemment défendu par de nombreux scientifiques tient lui aussi du ressort de l’idéologie et d’une construction sociale.

L’ouvrage de Hert et Paul-Cavallier intitulé Sciences et frontières : délimitations du savoir, objets et passages nous explique comment l’analyse des disciplines émergentes et l’apparition de l’interdisciplinarité permettent de mieux comprendre la place que prend la notion de frontière « dans l’institutionnalisation d’une discipline et dans sa conquête de légitimité scientifique, mais aussi en dehors de son champ d’influence propre, dans l’espace social commun. » (Hert & Paul-Cavallier, 2007, p. 6).

En créant des frontières, la science sépare ce qui est scientifique de ce qui ne l’est pas, permettant de ce fait de séparer la science d’un savoir profane ou des politiques. La frontière est construite et se trouve en perpétuel mouvement, elle est négociée et renégociée par différents acteurs. Selon les auteurs, la notion de frontière n’a pas pour finalité de marquer une séparation nette et définitive entre science et non science ou entre domaines et objets de recherche. Elle est au contraire « constamment mise en forme selon les adversaires, les audiences, les enjeux et les objectifs du moment. » (Hert & Paul-Cavallier, 2007, p. 9).

Ils proposent alors de penser la frontière selon deux perspectives. La première est une frontière qui vient définir un domaine et donc qui va permettre d’exclure ou d’inclure. Elle peut être envisagée doublement d’une part comme « mode de différenciation à l’intérieur d’un champ » ou « entre disciplines, entre science et non-science, entre frontières nationales. » Cette première perspective peut considérer la frontière comme

constituante d’un collectif, comme une garantie, interne ou externe, de la validité d’une démarche et d’un savoir constitué à travers la maitrise de concepts, méthodes,

instruments et l’institutionnalisation de pratiques, mais également comme moyen de démarcation face à de nouvelles approches qui questionnent les frontières établies. (Hert & Marcel Paul-Cavallier, 2007, p. 12).

La seconde perspective est une frontière qui réorganise et réunit. Ainsi, par la notion de frontière il est possible d’analyser et de questionner les processus de constitution et d’évolution des frontières. D’observer les mouvements ou selon les auteurs les « passages » voire la « contrebande » qui peut être faite aux frontières. Cette deuxième perspective permet de montrer la façon dont les frontières se construisent et sont traversées constamment. De fait « si la première perspective présentée ci-dessus considère la frontière comme un dispositif de limitation des discours, la frontière est au contraire abordée selon cette seconde perspective comme un moyen de produire des discours nouveaux par son contournement ou son franchissement. » (Hert & Paul-Cavallier, 2007, p. 15).

Dans cet ouvrage constitué par de nombreuses études empiriques, les auteurs abordent le cas de l’émergence d’un discours à prétention scientifique dans le milieu des formations en communication dans les entreprises. Dans ce contexte, un discours « non fondé ni validé scientifiquement peut malgré tout atteindre des publics par ailleurs diplômés et informés (techniciens, ingénieurs, cadres et responsables) » (Hert & Paul-Cavallier, 2007, p. 90). Ainsi, cette étude est menée via une méthodologie d’observation participante des diffuseurs de la PNL57 et une analyse de contenu thématique de sites internet diffusant la PNL pour montrer comment cette discipline et ses diffuseurs touchent aux frontières entre science et non science et entre science et société. Cette formation en PNL est valorisée dans le milieu des organisations, mais trouve des réfractaires dans le milieu universitaire par les spécialistes en science de l’information et de la communication. Un des points retenu de l’étude est de regarder

comment un discours est argumenté et légitimé par un dispositif de médiation et de médiatisation, notamment avec les médias numérisés, qui contourne à la fois les institutions universitaires et les savoirs constitués en SHS et qui revendique, au moins partiellement et explicitement, un tel contournement. (Hert & Paul-Cavallier, 2007, p. 93-94).

Observant le contournement de l’institution universitaire de la PNL, les auteurs ont noté que les formateurs contournaient le dispositif académique en mimant justement les logiques et les pratiques académiques. Par exemple en faisant entrer la PNL dans un système de formation diplômante comme à l’université, en émettant des publications dites scientifiques, en organisant des conférences, de ce que les auteurs appellent une hiérarchie de « personnalités garantes » des contenus présentés et enfin d’une organisation internationale sous le nom de NLP University. Ils notent également le fait que les formateurs pour se légitimer mettent en avant leurs diplômes universitaires, leurs disciplines et le nom de l’université en question. Ainsi, il y aurait donc une ambiguïté entre « rejet de l’institution académique et mimétisme académique » (Hert & Paul-Cavallier, 2007, p. 97).

L’approche du concept de travail aux frontières permet d’envisager que de tels processus soient à l’œuvre aux frontières de la médecine régénérative avec l’apparition du mouvement transhumaniste qui semble s’intéresser au plus près à cette discipline. Mais si ce concept et les analyses empiriques auxquelles il peut amener donne une idée globale de ce qui peut se passer aux frontières de disciplines par leur déplacement et négociation, d’autres concepts théoriques proches de celui-ci peuvent fournir une approche complémentaire. La théorie de l’acteur- réseau et ses concepts plus récents de recherche confinée et recherche de plein air ainsi que celui de forum hybride pourront permettre d’articuler avec plus de précisions ce qui se joue aux frontières des disciplines.

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RECHERCHE CONFINÉE/RECHERCHE DE PLEIN AIR ET FORUM HYBRIDE