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La décroissance de l’emploi, la transformation de l’industrie

4.1 Bouleversements dans l’industrie de l’amiante

L’industrie a connu des bouleversements importants à partir de la fin de la décennie 1970. En octobre 1977, le gouvernement Lévesque dépose sa politique de l’amiante et annonce son intention de prendre le contrôle de la Société Asbestos Ltée (SAL). En 1974-1975, un fonctionnaire du ministère des Richesses naturelles, Normand Alexandre, a prôné la constitution d’un secteur témoin propriété de l’État dans l’industrie de l’amiante. Il recommandait d’acquérir l’Asbestos Corporation que la General Dynamics proposait à la vente.Arrivé au pouvoir, le gouvernement du Parti québécois fait de cette prise de contrôle un objectif et crée en novembre 1977 le Bureau de l’amiante, chargé de négocier des ententes de développement avec les quatre autres compagnies productrices que l’Asbestos Corporation.

En ce qui concerne la question des effets de l’amiante sur la santé, dont l’importance est croissante, le Bureau analyse les politiques de la Communauté économique européenne et des États- Unis sur l’utilisation du minéral et participe à des études sur la mortalité de la population qui est non exposée professionnellement dans les régions de Thetford Mines et d’Asbestos. En effet, si la population utilisatrice de l’amiante risque d’être affectée, il y a lieu de s’inquiéter pour l’avenir de cette industrie. « C’est dans le cadre de coopération scientifique internationale que le Québec doit s’engager de plus en plus afin que les vérités (si pénibles qu’elles puissent être éventuellement) finissent par l’emporter sur certaines propositions de politiques extrêmes qui ne procèdent pas toujours de simples motifs de protection de la santé »456. Le bureau est remplacé en 1978 par la Société nationale de

l’amiante (SNA), dont le siège social est à Thetford Mines457. Celle-ci a pour objectif de produire et de

vendre des fibres et des produits d’amiante et de faire de la recherche et développement pour de nouveaux produits et procédés458.

Cependant, les négociations avec la SAL piétinent. En novembre 1979, le gouvernement entreprend des négociations avec la Turner & Newall pour racheter ses installations au Québec. En mai 1980, les deux usines de produits amiantés, Atlas Asbestos inc. de Montréal et une autre de Colombie- Britannique, tombent dans l’escarcelle de la SNA, ainsi que la mine Bell de Thetford Mines. Cette dernière acquisition permet à la SNA de commencer à produire à partir d’un gisement de fibres longues, des installations modernes et dépolluées, un personnel expérimenté et un réseau établi de

456 Québec, ministère de l’Énergie et des Ressources, Rapport annuel, 1980, p.230-231, cité par Marc Vallières,

op.cit., p. 258.

457 Jean-Claude Vachon raconte que les hauts dirigeants de la SNA ne sont pas venus résider à Thetford mais

sont restés à Québec.

ventes à l’international459. On peut se demander si la compagnie britannique, qui était au fait de

l’avancée du bannissement de l’amiante en Europe, était heureuse de s’en débarrasser, un peu comme la Johns-Manville le fera en 1983 pour la mine Jeffrey à Asbestos.

Parallèlement à cette acquisition, la SNA mène diverses initiatives dès 1979 pour lancer des usines de transformation ou s’associer avec des entreprises existantes. Elle conduit des recherches de produits et de procédés, notamment en vue de neutraliser les effets nocifs de l’amiante, comme le chrysophosphate, qui est censé ne pas être toxique. Elle développe aussi des projets d’utilisation des résidus d’amiante, pour la production d’oxyde de magnésium (Magnaq1) et de laine de roche, de sable réfractaire et de magnésium métallique460.

Quant à la Société Asbestos Ltée (SAL), la saga continue. Le gouvernement, réélu en 1981, autorise la Société nationale de l’amiante (SNA) à exproprier ses biens, ce que celle-ci conteste devant les tribunaux. Finalement le gouvernement arrive à un accord avec General Dynamics en février 1982, cette société est associée à la SNA dans Mines-SNA inc., l’État se réservant 51,4% des actions461.

Déjà en octobre 1981, le ministre Duhaime était conscient du problème des mises à pied effectuées par la SAL et de ses surplus d’inventaires, sans pouvoir engager le gouvernement à ce sujet, étant donné le contexte mondial462. Dès sa prise de contrôle de la SAL, la SNA entreprend toutefois une

concentration des activités d’administration et de vente, ainsi qu’une réduction de la production entre 1982 et 1984 pour diminuer des stocks jugés trop élevés463.

À Asbestos, la mine Jeffrey a perdu 1 304 emplois entre 1980 et 1984. La Johns-Manville déclare faillite en 1982 en raison des milliers de procès qui lui sont intentés aux États-Unis pour cause de maladies reliées à l’amiante, et elle se déleste de ses huit usines américaines de produits en amiante- ciment464. L’année suivante, la mine Jeffrey est rachetée par un groupe d’anciens cadres de la CJM. La

Johns-Manville a donc quitté la ville et la communauté d’Asbestos qu’elle a influencée de si près depuis 1916. L’entreprise n’est plus multinationale et n’a plus le débouché naturel des usines de la Johns-Manville pour écouler sa production.

459 Ibid. p. 258-259. 460 Ibid.

461 Ibid.

462 Courrier Frontenac, 13 octobre 1981, p. A-3. 463 Marc Vallières, op.cit. 2012, p. 259.

464 Jacques Gagnon, Histoires de pêche à la mouche. Trois essais d’histoire politique. Sainte-Foy, Presses de

4.1.1 La CSN, l’emploi, la nationalisation

Comment les syndicats ont-ils réagi à cette transformation de leur industrie? Une fermeture de mine à la Société Asbestos ne signifiait pas nécessairement des mises à pied. À plusieurs reprises, la SAL a procédé à l’ouverture d’une mine dans la foulée de la fermeture d’une autre et les travailleurs étaient simplement transférés de l’une à l’autre465. Ainsi en était-il de l’ouverture de la Normandie lorsque le

gisement de la Vimy s’était épuisé. Selon Jean-Claude Vachon, cette pratique permettait de bénéficier de la subvention au démarrage d’une mine et de l’exemption d’impôts pour cinq ans. De même, quand le moulin de la King a été fermé pour cause de vétusté, la pierre de la King a été envoyée au moulin de la Beaver, plus moderne. Avec les dépenses d’un côté et les profits de l’autre, il était avantageux de fusionner les deux exploitations qui sont devenues la King-Beaver, avec un seul gérant466.

Toutefois, si un événement imprévu survenait, comme l’incendie du moulin de cette mine en 1974, il pouvait être difficile pour la SAL, à court terme, de déplacer les travailleurs mis au chômage dans une autre de ses installations. Et si une mine appartenant à une autre société minière fermait, cette solution ne s’appliquait pas nécessairement, comme ce fut le cas avec la mine Flintkote. Autant la CSN était méfiante à l’égard des pouvoirs publics et du patronat, autant elle pouvait travailler en concertation avec eux lorsqu’il s’agissait de trouver de l’emploi aux nouveaux chômeurs ou les aider à se recycler en vue d’un nouveau travail. C’est ce qu’elle fit dès la fin novembre précédent la fermeture de la Flintkote en 1974467.

Mais, au début de la décennie 1980, c’est toute l’industrie qui est ébranlée. En 1982, le conseil syndical de la CSN à Thetford souligne le 25e anniversaire du Conseil central en rappelant l’importance de la grève de 1975, comme première lutte d’envergure menée au Québec sur la Santé et la sécurité du travail. Puis il s’attache au contexte de crise économique. La situation est catastrophique dans les mines, en raison de la récession économique, mais également de « la peur qu’inspire l’amiante en Europe et aux États-Unis ». La responsabilité en incombe aux sociétés minières qui n’ont jamais voulu prendre les moyens de contrôler la poussière d’amiante dans leur course aux profits malgré leur connaissance de longue date des dangers de l’amiante. Le résultat est que les travailleurs perdent leur emploi et que les gains de 1975 « fondent comme neige au soleil ». Le rapport ajoute que les patrons se préoccupent de moins en moins de contrôler la poussière, et que la nationalisation de la Bell et de la SAL n’a pas apporté de changement à cet égard. Le gouvernement fédéral vient de « désigner » la

465 Jean-Claude Vachon et Réal Binet, loc. cit. 466 Jean-Claude Vachon, loc. cit.

467 CSN, « Rapport du secrétaire », Procès-verbal du congrès du Conseil central de Thetford Mines, mai 1972,

région, c’est-à-dire qu’il sera plus facile d’obtenir des prêts sans intérêt et des subventions ; le conseil syndical propose alors que le Conseil central prenne contact avec les Métallos, le STEA468 et les

groupes populaires pour tenir un sommet populaire régional sur les politiques de développement économique de la région469. L’atelier sur les mines recommande quant à lui que le Conseil central

demande la mise en place d’un fonds minier de préretraite et que soit poursuivie la nationalisation de l’amiante, ainsi que l’implantation d’usines de transformation dans la région470.

Les participants au congrès estiment donc nécessaire de poursuivre la nationalisation de l’industrie, même si l’expérience décrite par le Conseil syndical est plus que mitigée. Mais, en avril 1983, lors d’un sondage effectué par le comité des chômeurs de la Société Asbestos Ltée, 83% des répondants estiment que les politiques de la SNA, depuis l’achat de la SAL, n’ont pas été profitables pour la région. De plus, 75,3% se disent insatisfaits de l’effort mis par la SAL pour embaucher ses ex- travailleurs, 64% estiment que cette compagnie ne fait pas tout pour empêcher les mises à pied, 77,8% se disent insatisfaits de l’effort de la SNA à enlever le climat d’incertitude dans la région et 76,9% ne croient pas que le gouvernement a tenu ses promesses quant à la politique de l’amiante. Enfin, 60,8 % croient à une reprise de l’amiante, 17,9 % n’y croient pas et 21,3% se disent indécis471.

En octobre 1983, la CSN participait avec la CSD et les Métallos, les Maires, le SERA472 et le

Cercle d’affaire, à la fondation d’un Comité de revalorisation de l’amiante. Clément Bélanger et Raymond Cimon y représentaient la CSN473.

4.1.2 Les Métallos, une situation d’emploi moins dramatique

L’impact de la nationalisation et de la crise sur l’emploi a été moins immédiat à la mine Bell qu’à la Société Asbestos. Si l’on regarde le nombre de grévistes de ces deux entreprises en 1980, on constate que l’emploi s’est maintenu. Il y a avait 488 travailleurs en grève à la Bell et 1 635 à la SAL, ce qui correspond assez bien aux années antérieures. Par contre, en 1983, il n’y avait plus que 800 travailleurs grévistes à la SAL, soit la moitié par rapport à 1980, alors que la Bell, avec 449 grévistes, en comptait presque autant. La situation était similaire pour la Lac d’amiante. Tout de même, les Métallos amplifièrent leur combat pour défendre l’emploi dans l’industrie de l’amiante, un combat qui sera

468 Je n’ai pas trouvé la signification de ce sigle.

469 « Rapport du conseil syndical », Procès-verbal du 17e congrès du Conseil central de Thetford Mines, octobre 1982, p. 14. (Montréal, Archives de la CSN.)

470 Ibid., « Rapport synthèse des ateliers sur le document du Conseil syndical », p. 57. 471 Mon œil, avril 1983, p. 15 (Montréal, Archives de la CSN.)

472 Autre sigle dont je n’ai pas trouvé la signification. 473 Courrier Frontenac, 29 avril 1989, p. A-5.

fortement relié à celui contre le bannissement du minéral, comme nous le verrons.

Quant à la nationalisation de la Bell en 1980, elle a été une surprise pour ses travailleurs. Roger Genest se demande encore pourquoi la Bell, une petite mine, a été nationalisée, alors que c’est la SAL qui devait l’être. D’autant plus que la Bell respectait les normes, ce qui n’était pas le cas de l’Asbestos qui n’avait rien fait pour se conformer à la limite de 2f/cc qui devait être respectée à partir de 1978. Quand la date limite est arrivée, le PQ aurait dû la fermer, selon lui. Au lieu de cela, « ils l’ont nationalisé en payant le gros prix. Le gouvernement voulait mettre le pied dans le cartel, voir comment cela se passe. Pourquoi fallait-il ramasser les autres, la Bell474 ? » Peut-être était-ce la conséquence de

la difficulté à prendre le contrôle de la SAL ? Par ailleurs, Genest ne pense pas que la nationalisation ait bouleversé les relations de travail sans pouvoir être affirmatif à cet égard parce qu’il n’était alors plus à Thetford, étant devenu responsable de la formation en SST de la FTQ. Il remarque toutefois que Marcel Dorais, le patron avec qui les discussions étaient franches, était resté à la tête de la Bell. 4.1.3 – La CSD et la solidarité pour l’emploi

Les travailleurs de la mine Jeffrey d’Asbestos subissent de plein fouet la dégringolade de l’emploi. Le syndicat des travailleurs de l’amiante d’Asbestos, toujours affilié à la CSD, fera montre de solidarité.

En 1983, une entente intervient entre le fédéral, la JM Asbestos, qui prend la relève de la Johns- Manville, et le syndicat pour rendre possible un projet d’expansion de la mine au coût de 35 millions. Il s’agira d’enlever 17 millions de tonnes de mort terrain et de roche stérile dans une zone encore inexploitée de la mine. La participation des travailleurs à ce projet consiste en un gel de salaire et au renoncement à la prime d’ajustement au coût de la vie pour une période de 2 ans afin de permettre à 300 de leurs confrères au chômage d’être rappelés au travail475. Cette participation est évaluée à

2 millions $.

La CSD revendique aussi que le statut de « zone désignée », dont les régions de Thetford Mines et d’Asbestos avaient bénéficié entre mars 1982 et septembre 1983, soit reconduit. Peu de travailleurs s’en étaient prévalus « en raison de tracasseries bureaucratiques et en raison d’un vice dans la loi, provoquant une définition de mise à pied différente entre la version anglaise et la version française ». La Centrale obtient une réponse favorable en 1984. Cela permettra que s’applique le programme de préretraite prévu dans la loi sur les prestations d’adaptation pour les travailleurs. Si la CSD a demandé l’extension de ce statut, c’est pour cette raison et parce que 400 nouvelles mises à pied doivent encore

474 Roger Genest, loc.cit.

avoir lieu alors que la région n’offre pas d’alternative d’emplois pour ses chômeurs476. Également,

Rodrigue Chartier, président du syndicat des travailleurs de l’amiante à Asbestos, travaille avec Jeannot Picard, permanent à la Confédération, à obtenir le projet de Loi C-172 qui permet aux travailleurs plus anciens à céder la place aux plus jeunes tout en recevant de l’assurance emploi jusqu’à l’âge de 65 ans477.

Mais bientôt, le mouvement de bannissement renforcera la crainte des travailleurs de l’amiante de perdre leur emploi alors même qu’ils voyaient le bout de leurs revendications pour améliorer leurs milieux de travail.