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La motivation est considérée comme un facteur essentiel pour accéder au bonheur (Weiner, 1992, Fenouillet, 2012). Dans notre modèle, le bonheur est envisagé comme un processus dynamique, essentiellement motivationnel. Nous l’avons, illustré par la notion de force (voir figure 4). Nous en expliquons ici les fondements.

Csikszentmihalyi (2005) a mis en évidence qu’en situation d’expérience optimale, l’information reçue par la conscience est congruente avec les buts, l’énergie psychique coule alors sans effort, la préoccupation de soi est absente et libère l’attention pour interagir avec l’environnement interne et externe. Le flow est considéré comme une force d’action. Bandura (1993) précise que l’automotivation correspond à la fois à la production de différence entre un état initial et final, et à la réduction de cet écart. Un peu comme dans une pile où la différence de potentiel entre un pôle positif et un pôle négatif engendre une force électromotrice qui entraîne les électrons, la polarité entre un état initial et un état final impulse une force qui met l’humain en mouvement, en action. Étymologiquement, le terme motivation vient du verbe latin moveo qui signifie mouvoir, bouger. Nous nous accorderons sur la définition de Fenouillet (2011), pour qui la motivation désigne « une hypothétique force intra individuelle protéiforme, qui peut avoir des déterminants internes ou externes multiples et qui permet d’expliquer la direction, le déclenchement, la persistance et l’intensité du comportement ou de l’action » (p. 19).

Dans le modèle de Fenouillet (2009) (voir figure 1), les besoins physiologiques ou sociaux activent un processus motivationnel au niveau de « motifs primaires ». Dans notre modèle, si ces besoins correspondent aux buts essentiels dans la conscience ou le subconscient de la

personne, au moment où elle les vit, l’évaluation hédonique sera la réponse privilégiée en termes de plaisir si la réponse au besoin est engagée ou satisfaite et que les ressources sont suffisantes. Si les buts sont des valeurs ou des buts construits (activés au niveau des motifs secondaires de Fenouillet), d’autres échelons du mille feuille bonheur s’activeront. Contrairement à Fenouillet (2011), les éléments de prédiction (à l’instar du sentiment d’efficacité personnelle) sont inutiles dans notre modèle. Cela découle du fait que tous les éléments du continuum peuvent s’exprimer en bonheur, et donc avoir chacun un rôle de déclencheur, prédicteur et évaluateur du processus. De plus, Bandura (1993) précise aussi que la motivation est régie par l’autoefficacité perçue, mue par un besoin d’estime de soi. On a donc là encore un besoin à l’origine du processus, et non plus une prédiction.

De la même manière, nous ne réduisons pas comme Fenouillet (2011) et Heutte (2011) le

flow comme activateur du processus au niveau du seul résultat (il peut l’être, mais ni plus ni

moins que toute autre émotion, sentiment ou humeur tel que décrit dans notre modèle). Par exemple, la curiosité, en tant que motivation cognitive, peut aussi être à l’origine du flow. Lorsqu’Aubé (2005b) évoque la curiosité comme un moteur de certaines actions, indiquant un possible épuisement de celle ci, sauf chez certaines personnes qui semblent savoir la maintenir constamment vive, on peut aisément imaginer qu’elles entrent alors dans le processus du flow. Le flow peut s’éprouver dans de nombreux domaines.

3.2 Attributs du bonheur motivationnel : buts, affects, besoins

Besoins, émotions, humeur et sentiments sont de nature motivationnelle (Aubé, 2005a, 2009 ; Frija, 1999, Lieury et Fenouillet, 2013). Dans notre modèle, le bonheur est considéré comme le processus naturel qui stimule, contrôle et évalue l’action humaine, à travers la mobilisation et la gestion de ressources. Autrement dit, il constitue le système motivationnel qui, par définition, va gérer les ressources pour engager le comportement vers les buts intrinsèques ou extrinsèques, ces buts étant la résultante du processus motivationnel sous jacent. Définissons à présent les besoins. Dans la littérature, les besoins peuvent être de plusieurs types (Aubé, 2005a, 2005b, 2009 ; Bandura, 2003 ; Deci et Ryan, 2000 ; Fenouillet, 2009 ; Lieury et Fenouillet, 2013 ; Maslow, 1943 ; Ryan et Deci, 2000) :

1. Des besoins physiologiques (manger, boire, dormir, etc.) ;

2. Des besoins psychologiques et sociaux (avoir des relations, de la compétence, de l’estime de soi, etc.)

3. Des besoins cognitifs (curiosité, avoir et exprimer des valeurs, s’accomplir, etc.) ; 4. Des besoins appris (télévision, argent, etc.).

D’un point de vue neurologique, chaque catégorie de ces besoins est déclenchée d’une manière différente et à un endroit spécifique du cerveau (Lieury et Fenouillet, 2013). Dans notre modèle, nous n’avons donc pas nommé « besoin » chaque échelon motivationnel (voir le mille feuille figure 4). Les besoins ne sont pas la seule source motivationnelle, émotions et relations sont des phénomènes motivationnels qui ne cachent pas forcément un besoin, mais engendrent une action plus ou moins consciente, c’est l’essence même de la motivation (Laguardia et Ryan, 2000 ; Lieury et Fenouillet, 2013). Ces systèmes motivationnels nécessitent l’accès aux ressources d’action ou d’adaptation requises.

De nombreux auteurs ont démontré les liens entre bonheur d’une part, et besoins ou buts d’autre part (Csikszentmihalyi, 1990 ; Deci et Ryan, 2000 ; Diener, Scollon et Lucas, 2009 ; Sheldon et Elliot, 1999 ; Simsek, 2009). Lyubomirsky et al. (2005) ont établi que non seulement la réussite (comme l’atteinte de buts) procure du bonheur, mais que le bonheur conduit à la réussite. C’est pourquoi dans notre modèle, le bonheur ne représente pas seulement un état heureux final, il entretient tout le processus, et il est évolutif, pour viser l’optimum28 (une action réussie procurant du bonheur, en en rencontrant à nouveau les circonstances, le bonheur s’activera d’autant plus vite).

3.3 Les ressources

Pour Quoidback (2009), même des petits instants de bonheur du quotidien ont un rôle, à travers les émotions positives, dans la construction de ressources. Il cite par exemple les compétences, la connaissance, la santé, les relations. Pour Aubé (2005a, 2009), l’engagement d’autrui est vu comme une ressource. Il est intéressant d’expliciter son modèle, car le nôtre est compatible avec le sien dans le processus. Les émotions, dans son modèle, participent aux processus motivationnels de gestion des ressources de la personne. Elles interviennent comme des opérateurs d’engagements. À la suite des besoins, les émotions apparaissent comme opérateurs de deuxième ordre et occupent la fonction d’agents de gestion et de régulation de l’engagement. Autrement dit c’est la modification d’engagement (créer, modifier ou rejeter la ressource) qui induit une réaction émotionnelle, pouvant expliquer les comportements sociaux

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D’un point de vue biologique, la physiologie de base d’un organisme vivant est en général régie par le principe d’optimisation de l’utilisation de ses ressources.

et collaboratifs. En effet, si de nouveaux engagements sont établis, ou si de plus anciens sont renforcés, les émotions positives sont activées. Si on menace des engagements établis, ou s'ils sont rompus, des émotions négatives sont mobilisées. Le lien bonheur et relations est donc mis en évidence de cette manière dans notre modèle. Dans le modèle d’Aubé, la joie, l’espoir, la tristesse et la peur permettent de créer de nouveaux engagements, tandis que la gratitude, la fierté, la colère ou la culpabilité permettent d’en prévenir et d’en gérer la rupture. Un rôle majoritaire, parfois exclusif, a été donné par les psychologues positifs aux émotions positives (Diener, 2000 ; Fredrickson, 2004 ; Mandeville, 2010 ; Seligman, Rashid et Parks, 2006). À l’instar de celui d’Aubé, notre modèle prend en compte le rôle des valences négatives intermédiaires, et pas seulement les émotions positives.

Nous proposons d’élargir, à la suite du modèle d’Aubé (2005a, 2009), le rôle des émotions à l’interaction avec soi même, autrui pouvant être un autre soi même dans la communication (Bronckart, Schneuwly et Vygotsky, 1985). Lorsqu’une personne adopte une attitude dialogique avec soi (par le biais de l’écriture ou de la métacognition notamment), elle devient alors capable d’envisager en quoi une émotion peut venir renforcer ou dénoncer un engagement avec ses propres idées. L’engagement peut concerner également une activité (Csikszentmihalyi, 1990, 2005) ; c’est pourquoi l’engagement apparaît comme une ressource à plusieurs fins.

Outre celles ci et les ressources physiologiques, les autres ressources concernent la maîtrise de l’environnement, déjà démontrée comme attribut de bien être psychologique (Ryff, 1995). Ainsi pour nous, le besoin fondamental de compétence de Ryan et Deci (2000) est relié à cette ressource que constitue la maîtrise.

Selon Frankl (2006), les efforts pour trouver un sens à sa vie constituent une motivation fondamentale de l’être humain. Il s’agit d’une motivation cognitive. Trouver un sens aux choses et aux événements est source de bonheur (Lecomte, 2007). Créer du sens est inhérent à notre fonctionnement humain, même si on n’en a pas conscience, nous produisons du sens, comme l’ont démontré les travaux de Naccache (2006) en neurosciences : « nous avons un besoin vital d’interpréter, de donner du sens, d’inventer à travers des constructions imaginaires » (p. 439). Ce qui signifie que même si la personne n’affiche pas un but précis, elle va chercher à recréer du sens à son action. Une faible entropie du système psychique est à l’origine du bonheur procuré par le sens. De la même manière que la faim, relativement au principe d'homéostasie, requiert la ressource « nourriture » (et engendre le but de manger), le

besoin de sens, garantissant l’équilibre psychique, requiert les ressources psychiques et intellectuelles de la personne (et engendre un but cognitif ou une intention).

Pour Hobfoll (1989, 2001) la motivation principale d’une personne est de gérer ses ressources. Elle s'efforce de protéger, maintenir et construire des ressources. Le modèle de conservation des ressources de Hobfoll présente certaines similarités de principe avec le nôtre, sauf qu’il l’envisage relativement au stress, qui intervient face aux menaces de perte potentielle, perte réelle, ou manque à gagner. S’il n’y a pas stress, il y a bien être. Hobfoll (1989) définit les ressources en quatre catégories, pouvant s’assimiler à des ressources matérielles, personnelles, relatives à des conditions sociales, et énergétiques. Hobfoll (2001) a identifié 74 ressources valables en conditions occidentales. Elles sont très diverses, comme le montrent quelques exemples : moyen de transport personnel, habits adéquats, sentiment de succès, bon mariage, temps libre, espoir, santé des enfants, de l’argent pour des extras, de la motivation pour faire ce qu’il y a à faire, loyauté envers les amis, etc. Dans notre modèle, nous avons préféré utiliser des grandes catégories qui englobent ces types de ressources.

Prenant en compte les différents travaux sur les ressources, cités dans ce chapitre, nous pouvons alors établir le schéma de synthèse suivant, non exhaustif (voir figure 6), qui représente en quelque sorte l’état développé de notre modèle, pour y faire apparaître les ressources et les buts engendrés d’une part, et les échelons hédoniques d’autre part.

Figure 6 : Gestion des ressources dans le modèle. Buts Buts sociaux Buts cognitifs Buts psychologiques Buts biologiques et physiologiques Ressources : Ressources matérielles

Ressources énergétiques (temps, argent) Ressources psychiques et intellectuelles (comprendre, donner du sens etc.)

Maîtrise et contrôle de l’environnement (compétence, connaissance, etc.)

Engagements (envers des valeurs, des relations, des expériences)

Ressources physiologiques (nourriture, breuvage, repos)

Evaluation cognitive Sentiments Humeurs Émotions Evaluation hédonique Bonheur 1 2 4 5 3

Compte tenu du continuum d’affects du bonheur, et de sa nature motivationnelle, le processus bonheur orchestre la mobilisation des ressources pour répondre aux buts (3), en donnant l’impulsion (1) ou la persévérance (4), en évaluant la mobilisation des ressources (2), et en évaluant l’atteinte du but (5). Cette dynamique permet d’expliquer que, conformément aux résultats de recherche, on ne ressent pas seulement du bonheur dans l’atteinte d’un but (cognitif et intentionnel par exemple) à tout prix, ni en satisfaisant un simple besoin physiologique. Le bonheur est un processus dynamique, il informe de l’atteinte du but, mais aussi du fait que la personne mobilise toutes ses ressources pour parvenir à son but. C’est pourquoi à la fois l’idée ou l’anticipation du but procure le bonheur, et que des émotions positives comme négatives viennent guider le chemin pour atteindre ce but. Pour Frankl, (2006) poursuivre le bonheur comme but n’a pas d’intérêt en soi, l’être humain ne chercherait pas le bonheur, mais plutôt une raison d’être heureux. Nous partageons la première partie de sa phrase, mais pas complètement la deuxième, puisque c’est aussi le bonheur qui nous guide de manière motivationnelle vers des actions. Être heureux signifie simplement que la personne témoigne d’une bonne adaptation à son environnement et que l’évolution de soi suit son cours. Regardons ce qui se passe quand le processus bonheur ne peut plus jouer son rôle.