société qui l'a délégué, que
c'est elle à
son tourqui est
responsable.La science elle-même apporte quelque peu sa part
d'incertitude, par la variation
de
sesthéories et de
ses procédés.A l'esprit inquiet, qui la somme de
répondre, elle
op¬pose parfois le silence ou le doute.
Qui accuser, de celle qui toujours en progrès demeure
par cela même incomplète, ou de celui qui n'a pu en ap¬
profondir tous les inconnus ?
L'idéal seraitde pouvoir tout connaître pour bien juger
en toute chose.
Renan faisait ce rêve,et si en apparence il semblait nier
Dieu, ce n'était que pour mieux croire à la divinité, dans
l'avenir lointain où science et foi ne paraîtront plus deux
termes divergents.
Notre tâche — peu prétentieuse — a été d'ajouter une
parcelle d'effort aux labeurs de ceux qui ont compris que
si l'erreur ne pouvait être bannie de toute production hu¬
maine, ont lutté du moins par tous les moyens pour que
cetteerreur fût amoindrie soit dans ses causes, soit dans
ses effets.
Nous avons signalé, au cours de cetteétude, les
détails
du projet de loi proposéet soutenu par l'honorable
député
M. Cruppi.
Il a voulu, en donnant les mêmes droits à l'inculpé que
ceux dont dispose le parquet, égaliser les moyens
de
l'individu qui se défend avec ceux de la société qui l'ac¬
cuse.
Nous louons cet effort, pour assurer les garanties
de
l'accusé, mais le défaut de ce système d'expertise estdéjà
contenu dans son énoncé : expertise contradictoire.
Le mot d'expertise contradictoire, comme le mot con¬
tre-expertise, indique déjà qu'il peut y avoir
désaccord
entre des experts qui ont des missions différentes. C'est
surtout avec ce système qu'on assisterait aux débats ora¬
geux entre experts, et à des discussions
quasi-scientifi¬
ques, sous l'œil scrutateur et vaguement sceptique
du
public et des tribunaux.
En Angleterre, l'expertise contradictoire est encore en vigueur. Nous pouvons constater ses résultats chez nos
— 59 —
voisins d'Outre-Manche. Dans ce pays, les débats ontlieu
entre un avocat représentant de la Couronne, magistrat
de circonstance, et la défense proprement dite. Chacune
des parties choisit ses experts, lesquels, adjoints
les
unsà l'accusation, les autres à la défense, se livrent à des joutes telles que beaucoup de médecins
anglais refusent
de s'exposer à de pareils désagréments.
On opposeà toutes ces raisons une entente
scientifique
entre médecins dont le seul rôle est de rester les inter¬
prètes de la science pure.
Dans une discussion, le plus puissant modificateur
du
caractère, l'agent le plus irritatif, c'est une conviction
froissée. Légitime ou mal fondée, qu'elle soit religieuse, politique ou scientifique, une conviction est bien souvent intransigeante. Deux opinions différentes ne peuvent se
heurter sans un choc où il y aura discordance ou froisse¬
ment.
Le défaut de l'expertise contradictoire, c'est
d'adjoindre
distinctement un expert pour l'accusation, un expert pour
la défense. Malgré eux, ces médecins vont
devenir soli¬
daires de la partie à laquelle ils ont été annexés.
S'il faut un supplément d'enquête, s'il est
nécessaire de
faire appel à différents spécialistes, nous
assisterons à
une mobilisation d'experts irréalisable dans la
pratique.
Le décret du 21 novembre 1873, en exigeant cinq ans d'exercice du médecin qui veut se faire agréer sur une
liste d'un Tribunal de première instance, a
voulu
aug¬menter les garanties d'expérience et de sécurité.
Ce moyen est contraire à son idée, car au
bout de cinq
ans, un médecin qui, dans une Faculté, a
suivi l'enseigne¬
ment et les travaux de médecine légale, ne peut que
les
avoir oubliés en partie, faute d'usage.
La véritable réforme qui s'impose, c'est
la spécialisa¬
tion d'études médico-légales. Spécialisation, car
des étu¬
des complètes de médecine légale
augmenteraient
tropla
durée des études de médecine générale.
Dans chaque Faculté, des laboratoires, des salles d'au¬
topsie et de dissection, devraient être réservés à
des
étu¬diants en (in d'études, à des docteursqui se destineraient
à l'exercice dela médecine légale. Ce seraitune imitation
de ce qui existe, en Autriche, où il existe un «
Physicus
Artz » qui est médecin-légiste, muni d'un brevet
obtenu
par suite d'un concours portant sur toutes
les branches
de la médecine légale et leur exercice professionnel.
Au-dessus d'eux se trouve par province un « Sanitats
Referents » qui est chargé de les contrôler.
En France, le Conseil général du Gard, dans une séance
de 1894, formulait le vœu suivant : « Le Conseil général,
estimant que la médecine légale, telle
qu'elle
estactuelle¬
ment enseignée et pratiquée en France, constitue un
véri¬
table péril national, en ce sens qu'elle
n'offre
aucune garantie de compétence émet le vœu :» 1° Qu'il soit créé en France un institut
médico-légal
destiné à former des spécialistes;
» 2° Qu'à l'avenir les fonctions de médecin légiste ne
soient confiées qu'àdes docteurs-médecins pourvus autant
que possible des licences ès-sciences
physiques
et natu¬relles, mais ayant dans tous les cas fait un stage
(dont le
temps serait à déterminer) dans l'institut
médico-légal
».L'idée qui se dégage de ces différentes
considérations,
c'est d'éviter que tout médecin ne soit exposé à
être
requis dans des expertises, pourlesquelles il n'est
pas toujours absolument incompétent, mais peu préparé.En second lieu l'intérêt du prévenu exige cettegarantie.
Pour nous, qui mettons les principes et les
idées
au-dessus des individualités, nous déclarons qu'une pareille
mesure s'impose dans un intérêt qui plane
au-dessus de
tous les autres, et qui les prime : l'intérêt de la vérité,
le
triomphe du seul principe moral qui est
la justice.
En France, les réformes sont rares, etde plus ellessont
lentes. Rompre avec les vieilles coutumes, avec les
préju¬
gés, c'est avoir dissipé des ténèbres,
c'est avoir porté
— 61 —
lumière et conscience là où il y avait ignorance et obscu¬
rité.
Or la coutume et le préjugé sont rebelles à toute ré¬
forme,parcequ'ils s'ignorenteux-mêmes.Fautedesejuger,
ils se déclarent immuables. A cause d'eux les rayons de progrès et de vérité n'arrivent à briller qu'à travers
la
série des siècles, comme la lueur de ces lointainesétoiles qui met des millions d'années pour arriver jusqu'à nous.
Aussi espérons-nous la réalisation de notre rêve,
mais
nous n'y croyons pas dans un avenir prochain.
Nous confions aux événements, à leur force logique,
l'exécution des modifications à apporter dans les rapports
de la médecine et de la science juridique.
Comme on ne peut concluresur une utopie, nous ferons
valoir la nécessité de réformes moins radicales et par là plus immédiatement réalisables.
Pour le médecin-expert,nousnedemanderons que
deux
choses : l'adjonction d'un autre docteur comme expert
pour faireœuvre commune, et un greffierpourécrire sous
sa dictée les constatations durant l'expertise.
Moins exigeant que lajurisprudence
allemande qui
oc¬troie un magistrat à l'exécutionde l'expertise—ne
jugeant
pas sa présence indispensable — nous nous contentons
de faire ressortir l'urgence de modifications plus impor¬
tantes.
La présence de deux médecins-experts sans
distinction
de mandat n'a que desavantages. Lacollaboration apporte
des facilités d'exécution, une somme de connaissances plus étendues, plus de soins et de précision
dans les
recherches. Les médecins se contrôlent ainsi sans esprit
de parti, avec la modération digne de leur
mission. Sous
la présence d'un témoin aussi compétent que
soi,
on nese laisse aller à aucune négligence. Les conditions
maté¬
rielles et morales, faites à l'expert durant son
expertise,
les difficultés des recherches médico-légales,l'état incom¬
plet de l'enseignement de la médecine
légale dans la
plu-part des Facultés, font ressortir