• Aucun résultat trouvé

CHAPITRE 2 : AGENTS PATHOGÈNES ZOONOTIQUES VECTORISÉS ET MALADIES ASSOCIÉES

A. Biologie de Rickettsia typhi et Rickettsia felis

Les rickettsies sont capables d'envahir les cellules épithéliales de l'intestin moyen des arthropodes et les cellules endothéliales tapissant les vaisseaux sanguins des vertébrés (Eisen et Gage, 2012). La réplication des bactéries dans les cellules endothéliales des vertébrés entraîne leur lyse, les libérant ainsi dans la circulation sanguine, où elles sont alors accessibles pour des arthropodes hématophages.

a. Réservoirs et hôtes

Les principales espèces de vertébrés impliquées dans les cycles de transmission de R. typhi sont le rat noir (Rattus rattus) et le rat brun (Rattus norvergicus), à l’origine d’un cycle classique rat- puce-rat (Peniche Lara et al., 2012). En effet, 30 % des rats noirs de Birmanie (collectés à Rangoun), 62 % de ceux collectés à Addis-Abeba (Éthiopie) et 49 % de ceux collectés à Sarawak (Népal) sont séropositifs pour le typhus murin (Azad et Beard, 1998). Cependant, dans le sud de la Californie et au Texas, ce cycle classique a été remplacé par un cycle impliquant des opossums, des chiens et des chats.

Comme pour le typhus murin, les opossums de Virginie, les chats et les chiens sont les réservoirs de R. felis (Reif et Macaluso, 2009).

b. Puces vectrices

Rickettsia typhi a pour vecteur principal X. cheopis, la puce du rat, mais la bactérie peut également être transmise par d’autres espèces de puces rencontrées chez les muridés et divers autres mammifères : Xenopsylla astia, Xenopsylla brasiliensis, Nosopsyllus fasciatus, Leptopsylla segnis, P. irritans et C. felis (Azad, 1990).

La principale puce vectrice de R. felis est C. felis mais la bactérie a été identifiée dans de nombreuses autres espèces de puces telles que : P. irritans, C. canis, E. gallinacea et Tunga penetrans. Des puces de rat (X. cheopis et X. brasiliensis) et d'autres puces de rongeurs ou d'insectivores (A. erinacei, Anomiopsyllus nudata, Polygenis atopus, Ctenophthalmus sp.) sont également des vecteurs supposés de R. felis (Stevenson et al., 2005 ; Eisen et Gage, 2012). L’ADN de R. felis a également été détecté chez des tiques et des moustiques. Cependant, il est difficile de déduire un quelconque rôle de ces arthropodes dans l’épidémiologie de la bactérie (Legendre et Macaluso, 2017).

38

De nombreuses études épidémiologiques ont été réalisées pour évaluer la prévalence globale de R. typhi et R. felis chez différentes espèces de puces. Parmi les plus récentes, Eremeeva et al. (2012) ont récoltés des puces sur des opossums, des chats et des rats des régions de Los Angeles et d’Orange en Californie (Tableau 3).

Tableau 3. Prévalences de R. felis, R. typhi et des co-infections chez des puces des régions de Los Angeles et Orange (Eremeeva et al., 2012)

Dans deux autres études réalisées en Californie, à San Bernardino et Riverside, seul l’ADN de R. felis a été détecté dans respectivement 152 des 570 (26,7 %) et 12 des 64 (18,8 %) pools de puces (Abramowicz et al., 2012 ; Mullins et al., 2018). Bien que la prévalence de puces porteuses de R. felis en Amérique du Nord soit élevée, le risque d’infection humaine reste limité. Au contraire, la faible quantité de puces infectées par R. typhi réduit le risque de transmission et explique le faible nombre de cas humains (Billeter et al., 2016). Cette prévalence dans les puces a également été évaluée dans d’autres pays du continent américain (Tableau 4).

Tableau 4. Prévalences de Rickettsia spp., de R. felis et R. typhi chez des puces de divers pays d’Amérique

Cependant, du fait que les PCR soient majoritairement réalisées sur des pools de puces, c’est le « minimum infection rate » (MIR), calculé en considérant qu’une unique puce par pool est positive, qui nous intéresse. Ainsi, en Colombie, la prévalence tombe à 4,4 % (30/673) (Contreras et al., 2019).

Espèces de rickettsies Espèces de puces Total C. felis P. irritans E. gallinacea X. cheopis Diamanus montanus L. segnis R. felis 47,1 % 17,2 % 36,4 % 50 % 66,7 % 0 % 46,2 % R. typhi 1,3 % 6,9 % 0 % 0 % 0 % 0 % 1,5 % R. felis + R. typhi 1,7 % 0 % 9,1 % 0 % 0 % 0 % 1,7 % Espèces de rickettsies Pays Costa Rica (Pacheco- Solano et al., 2019) Costa Rica (Troyo et al., 2012) Colombie (Contreras et al., 2019) Colombie (Ramírez- Hernández et al., 2013) Guatemala (Troyo et al., 2012) Panama (Bermúdez et al., 2011) Canada (Kamrani, 2008) Brésil (Horta et al., 2006) Urugay (Venzal et al., 2006). Rickettsia spp. 32,4 % (56/173) 58 % (47/81) 19 % (30/153) 65 % (24/37) à 73 % (27/37) 64 % (55/86) 35% (7/20) 18 % (9/50) 31,1 % (50/161) 40,9 % (27/66) R. felis - 100 % (38/38) - - 100 % (23/23) 100 % (7/7) 100 % (9/9) 100 % (50/50) 100 % (27/27) R. typhi - 0 % (0/38) - - 0 % (0/23) 0 % (0/7) 0 % (0/9) 0 % (0/50) 0 % (0/27)

39

Diverses études réalisées en Afrique rapportent que R. felis a été détectée dans 45 % (41/91) des puces collectées en Éthiopie, 48,9 % (23/47) de celles collectées en Tanzanie et dans 25,2 % (30/119) des puces collectées en République Démocratique du Congo (Pérez-Tanoira et al., 2019). En Espagne, 43,3 % (39/90) des pools de puces analysés étaient positifs pour Rickettsia spp. (Gracia et al., 2015). En France, les prévalences de nombreux agents pathogènes vectorisés par les puces ont été évaluées à partir de 309 puces du genre C. felis et R. felis a été détectée dans 25 puces (8,1 %) (Rolain et al., 2003). De même, dans une seconde étude, 96 des 550 puces récoltées contenaient l’ADN de R. felis (17,5 %) dont 85 C. felis, dix C. canis et une A. erinacei (Gilles et al., 2008).

Les rickettsies passent dans l'intestin moyen de l’arthropode où elles envahissent les cellules épithéliales et s’y multiplient. Comme cela se produit dans les cellules endothéliales de l'hôte vertébré, la prolifération des bactéries conduit à la destruction des cellules de l'épithélium et à la libération de centaines de rickettsies dans la lumière intestinale. Ce processus prend généralement trois à quatre jours puis, après ce délai, les déjections de la puce deviennent infectantes. Les rickettsies pénètrent ensuite dans l’hémocoele et se disséminent à l’ensemble des organes de la puce : elles envahissent les cellules musculaires, les tissus adipeux, la matrice trachéale, la gaine épithéliale des testicules et les tissus ovariens des puces femelles, à l’origine d’une transmission transovarienne qui est systématique pour R. felis, mais qui semble rare pour R. typhi (Reif et Macaluso, 2009 ; Thepparit et al., 2013).

Ainsi, Wedincamp et Foil, en 2002, ont mis en évidence des bactéries R. felis dans douze générations successives de puces sans qu’elles ne se soient nourries sur des hôtes bactériémiques. Cette transmission transovarienne, en plus de la transmission transstradiale, fait des puces des réservoirs de R. felis en plus de vecteurs efficaces. Aucune transmission sexuelle entre puces mâles et puces femelles n'a été observée pour R. felis et la transmission horizontale via l'ingestion de matières fécales ou d'œufs par des larves de puces n'a pas été prouvée (Wedincamp et Foil, 2002). La transmission horizontale via un repas de sang partagé entre puces a été démontrée avec des taux d’infection des puces initialement non infectées, allant de 3,3 à 40 % (Hirunkanokpun et al., 2011).

Malgré la destruction des cellules épithéliales de l’intestin moyen lors de leur réplication, les rickettsies semblent causer peu de dommages à leur vecteur. En effet, les puces sont infectées à vie et leurs traits de vie ne semble pas altérés. Cela peut s’expliquer par le fait que les cellules épithéliales sont remplacées à un rythme suffisamment rapide pour contrer les effets néfastes de l’infection (Valbuena et Walker, 2009).

Les rickettsies, selon les espèces, peuvent être transmises à l’Homme et autres vertébrés par divers moyens. Tout d’abord, R. felis serait transmise via la piqûre d’un arthropode infecté. En effet, R. felis a été détectée dans les glandes salivaires de puces C. felis infectées ce qui suggère que la sécrétion de salive infectieuse pendant l’alimentation est un mode possible de transmission aux hôtes

40

mammifères (Macaluso et al., 2008). Une séroconversion a été observée chez des chats exposés à des puces contaminées par R. felis et l’ADN de cette rickettsie a été amplifiée dans le sang de ces hôtes (Wedincamp et Foil, 2000). Pour R. typhi, le mécanisme le plus efficace semble être l’inoculation de déjections contaminées par voie cutanée ou conjonctivale (Azad et Beard, 1998). En effet, une personne peut se contaminer elle-même via ses mains souillées de déjections de puces infectées en se frottant les yeux et s’inoculer directement les bactéries dans la conjonctive oculaire (Ghosn et Bossi, 2005). Cependant, comme R. felis est retrouvée dans les déjections de puce, une transmission par inoculation de ces dernières est envisageable suite à une griffure ou à une morsure accidentelle (Reif et al., 2011). De même, il semblerait que R. typhi soit transmise, dans une moindre mesure, par régurgitation des bactéries au moment de la piqûre (Azad, 1990 ; Eisen et Gage, 2012). L’infection par inhalation de suspensions aériennes contenant des matières fécales de puces infectées a également été décrite (Eisen et Gage, 2012).