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Introduction du chapitre 1

I. Biogéographies de Nolde

« La force qui pousse Nolde à créer semble venir des profondeurs de la Terre. Il est un paysan des grandes plaines nord-européennes et, pour nous latins, il est difficile de comprendre son art, […] l’esprit change, les paysages, la lumière imposent à l’homme un autre mode de vie et de pensée : la terre et l’eau s’interpénètrent, le vent ne trouve aucune résistance à travers ces espaces limités par l’horizon, le soleil est le grand dispensateur de la vie […]. Les vieilles religions des ancêtres et le Christianisme n’ont pas de limites bien définies, les unes n’ayant cédé souvent qu’en apparence la place aux autres. La Divinité et l’homme communient aux mêmes joies et aux mêmes souffrances. La nature n’est pas une chose dominée par l’homme ; elle est une réalité totale qui participe à la vie de l’homme. L’œuvre de Nolde nous fait pénétrer dans ce monde. C’est donc avec un esprit neuf qu’il est nécessaire de l’aborder, sans

méconnaître l’influence de Gauguin, de Van Gogh et de Munch. Il nous révèle un monde inconnu dominé souvent par des forces instinctives ; univers étrange, attirant et démonique, primitif et mystique, qui nous harponne au plus profond de nous-mêmes et nous montre la puissance de l’irrationnel sur le rationnel. »

Préface de Madeleine Rocher-Jauneau au catalogue de l’exposition Emil Nolde au Musée des Beaux-Arts de Lyon, 1969.

1 - Nolde, Flensburg, Saint-Gall (1867-1897)

Enfance, apprentissage et enseignements

Emil Hansen est né le 7 août 1867 à Nolde, près de Tondern, dans la région frontière du Schleswig-Holstein. Ce village nord-schleswigois était allemand de 1864 à 1920, suite à « la guerre des duchés » (de Schleswig et de Holstein), puis fut rattaché définitivement au Danemark lors du référendum organisé suite au traité de Versailles en 1920. Dès 1902 le peintre a utilisé le nom de son village pour signer ses toiles.

Nolde avait une mère allemande et un père nord-frison qui étaient paysans, mariés en 1857 par un pasteur danois. Leurs échanges de lettres pendant leurs sept ans de fiançailles étaient écrits par lui en allemand et par elle en danois. Le langage familier parlé à la maison était le bas danois (dialecte), mais pour les échanges commerciaux le bas allemand (dialecte) était privilégié. Depuis que le Schleswig était devenu une province prussienne en 1867, c’est le haut allemand (allemand littéraire) qui était enseigné à l’école. Seul le cours de religion restait en haut danois (Hülsewig-Johnen 2008, 65).

Avec ses quatre frères et sœurs, Nolde vivait à la ferme appartenant à la famille maternelle depuis neuf générations. « Vier Häuser und fünf Höfe mit 68 Bewohnern war der Bestand des Dorfes » (Nolde I, 12)15. La ferme comprenait des champs de seigle, des landes à pâturages pour les bœufs, et des prés pour les chevaux. Nolde contribuait avec les autres au travail agricole et aimait à s’allonger dans les champs pour regarder passer les nuages. « Was sollte ich während den vielen Stunden tun? Ich kullerte Purzellbäume, und ich übte das Kopfstehen, die Hände im Grase verkrallt, dann ging es gut. Die jungen Ochsen um mich herum waren mein erstauntes Publikum. Dann auch schaute ich zu den Wolken hinan wie sie wanderten und sich änderten, bis dann ich sinnend fühle, wie allein ich sei, mit mir selbst ganz allein, und leise Zukunftsträume, sich schwärmend regten. » (Nolde I, 28)16. Le soir à la veillée il écoutait les lectures de la bible ou les légendes locales. Cette vie à la fois simple et rude n’est pas à romancer mais Nolde n’en gardera avec du recul que de souvenirs chaleureux qui l’inviteront toujours à revenir et à peindre à mainte reprise ce morceau de

Heimat. « Zurückshauend liegen vor mir die Knabenjahre im heimatlichen Dorf wie ein

      

15 « Quatre maisons et cinq fermes avec 68 habitants, c’était tout pour le village » TEC

16 « Que pouvais-je faire pendant les longues heures ? Je roulais dans l’herbe, je m’entrainais au poirier, les mains enfoncées dans l’herbe, alors j’étais bien. Les jeunes bœufs tout autour de moi était mon public étonné. Alors aussi je regardais les nuages, comme ils avançaient et se transformaient. Jusqu’à ce que je sente, méditant, comme j’étais seul, seul avec moi-même, et comme de silencieux espaces du futur s’éveillaient avec passion » TEC

sonniger Frühlingsmorgen, mit vielem fröhlichem Kinderspiel, selten Licht und schön » (Nolde I, 12)17. La Heimat est un mot allemand souvent mal traduit en français par

„patrie“. Il est en fait plutôt utilisé en Allemagne pour parler de son attachement à son pays natal, une échelle régionale qui a souvent les dimensions de l’enfance : la ferme familiale, les embruns de la mer voisine, le dialecte… Pour moi, il est assez représentatif des relations à l’espace et spécifique au régionalisme allemand. Il serait intéressant de discuter de son sens par rapport au Landschaft, le paysage, nous y reviendrons.

Beaucoup d’historiens d’art s’accordent à dire que cette enfance à la fois pieuse, proche de la nature et ancrée dans le monde paysan, a donné à Nolde un regard tout à fait particulier sur le monde, qui se traduit par trois grands thèmes majeurs dans son œuvre que sont le paysage, la religion et la fantaisie humaine (Dufour-Kowalska 2007). Pour certains, l’émancipation de Nolde par rapport à ses origines est un miracle. Il y avait « peu d’espoir laissé à l’enfant qui, sans culture et sans livres, sinon ceux de l’école, s’obstine en ne sachant vraiment pourquoi, dans sa campagne complètement à l’écart, à essayer de reproduire au crayon sur des feuilles de papier le paysage qu’il a tous les jours devant lui, ainsi que les rêves et les fantasmagories qu’il suscite dans son imagination. […] Un passe-temps le sauve de l’étouffement sous une géographie monotone, dans la monotonie des jours : le dessin. » (Richard 2008, 8). La « communion avec les forces naturelles et la rudesse du mode de vie ont imprégné son enfance, déterminé sa vocation. Son univers moral et son imaginaire se sont construits à travers la piété naïve de sa famille. La foi protestante y était portée à l’accomplissement dans une lecture quotidienne de la Bible à voix haute. Le pittoresque des scènes sacrées entrait en lui à la manière des légendes qui couraient dans la contrée,

imbibant son être et nourrissant ses rêves. » (Richard 2008, 9). Il faut noter la distinction que semble faire ici Lionnel Richard entre le savoir issu des livres et de la culture

inaccessible à Nolde le fils de paysan, et la connaissance qui „imbibait“ Nolde dans ses pratiques quotidiennes. C’est une opposition que cette thèse cherchera à déconstruire. Lorsque Nolde s’occupait du troupeau ou lorsqu’il pouvait se réfugier dans son temps libre, Nolde essayait de peindre ce qu’il voyait avec ce qu’il trouvait : terre, betteraves, feuilles… jusqu’à ce qu’il reçut à l’adolescence sa première boîte de crayons. Après l’école élémentaire, Nolde devait travailler à la ferme avec sa famille. La négociation pour son émancipation dura des années avec son père.

A dix-sept ans il partit enfin se former comme sculpteur sur bois à Flensburg et travailla ensuite dans divers ateliers à Munich, Karlsruhe et Berlin. Il était le premier du village à

      

17 « En regardant en arrière, mes années de petit garçon au village de mon enfance m’apparaissent comme un matin d’été ensoleillé, avec beaucoup de joyeux jeux d’enfants, peu de lumière mais beau. » TEC

partir. Pourtant plus qu’une rébellion ou un désaveu, ce choix de formation apparaît aujourd’hui comme une liaison entre ce qu’il quitte et ce qu’il deviendra. « La formation et la pratique de Nolde comme dessinateur et sculpteur sur bois dans la cité de Flensburg représentent d’avantage qu’une rupture avec la paysannerie paternelle, elles traduisent un engagement au sein du riche patrimoine artisanal de sa province, qui est encore une forme d’enracinement dans son pays natal et sa culture propre. […] on ne soulignera jamais assez, cependant, les bienfaits pour le peintre de demain de cette première ‘carrière’, qui fut essentiellement l’apprentissage d’un ‘métier’, d’une pratique manuelle et visuelle avec toutes les qualités à la fois esthétiques et éthiques qu’elle exigeait […] le contact avec le bois, l’usage de l’outil, l’affrontement de la pensée et de la main avec un matériau résistant ouvriront la voie d’un art corporel, avec un privilège accordé au toucher […]. » (Dufour-Kowalska 2007, P28-29). Dufour-(Dufour-Kowalska souligne ici une pensée du faire à laquelle nous nous intéresserons autour des travaux de Tim Ingold (2017) pour nous interroger sur les apprentissages. Pour l’anecdote, et le repère chronologique, on peut noter ici aussi que l’un des derniers travaux de Nolde en tant qu’ébéniste à Flensburg au sein de l’atelier Bildhauer, furent quatre chouettes sculptées pour le bureau de Theodor Storm (Brugger et Reuther 1994), écrivain à Husum que nous avons mentionné en introduction.

En 1892, Nolde obtint une place comme enseignant des arts décoratifs et industriels à l’université de Saint-Gall en Suisse où il resta jusqu’en 1897. Il se fit parmi ses étudiants l’un de ses plus grands et rares amis : Hans Fehr. La haute montagne n’effrayait pas Nolde, il la parcourut sans cesse et devint même un fervent alpiniste. C’est là qu’il commença à peindre ses premières esquisses et aquarelles, en personnifiant les montagnes, leur donnant tantôt un air de bon gros géant, tantôt un air mystique (huile sur toile Bergriesen 1895-1896 « les géants des montagnes » ou das Matterhorn lächelt, 1896 « le Cervin (glacier) sourit »). Il en fit imprimer des cartes postales qui connurent un franc succès et lui permirent de gagner rapidement une certaine indépendance. Ces toiles, qualifiées de grotesques par le jury, ne lui donnèrent pourtant pas accès à l’académie des Beaux-Arts de Munich.

C’est à partir de ce moment-là, à trente ans, que Nolde s’engagea malgré tout dans sa vie d’artiste.

2 - Paris, Copenhague, Berlin et les étés à la mer (1898-1909)

L’artiste-paysan, la grande ville et le Pont

N’ayant pu intégrer l’école de Munich, Nolde rejoignit l’école privée de peinture de Adolf Hözels à Dachau avant de rejoindre l’académie Jullian à Paris en 1899. Son séjour parisien fut également propice à des travaux d’étude au Louvre. Gauguin et Van Gogh surtout, devinrent des sources d’inspiration. L’exposition au ‚salon des indépendants‘ en 1897 fut également l’occasion de découvrir Munch, un peintre norvégien, et par suite de se décider à rejoindre Copenhague. La culture impressionniste française influença beaucoup Nolde, mais il fut toujours convaincu de devoir mener ses propres expériences pour dépasser les modes, les tendances, et trouver sa propre expressivité. « Die Kunst eines Künstlers muss seine Kunst sein. Sie ist im Innerlichen ganz die seine. Im äußerlichen, glaube ich, ist sie jedem eine fortlaufende Kette kleiner Erfindungen, kleiner technischer Eigenerfindungen, in seinem Verhältnis zu Werkzeug, dem Material und der Farbe. Was er lernt, gilt nur wenig. Was selbst er findet, hat für ihn einen wirklichen Wert und gibt ihm die Steigerung der Lust zur Arbeit am Werk. » (Buchheim 1956, 317)18. Il y a là une extrapolation à faire de sa vie d’artiste à sa vie d’homme : découvrir par soi-même comment résoudre un problème, a bien plus de valeur d’apprentissage, de connaissance, que tout autre savoir qui pourrait être transmis tel quel. C’est une forme d’accomplissement.

A partir de 1901, Nolde retourne vers le Nord et passe ses étés à peindre, dans la ferme parentale, mais surtout dans un village de pêcheurs à Lild Strand, au Nord-Ouest du Jutland au Danemark. Il alterne ces périodes estivales avec la location d’un petit atelier à Copenhague. Lettre du 10 novembre 1900 écrite à Copenhague : « c’est beau, ici, c’est beau. Mais je n’ai pas un être humain à qui parler, tout le monde se moque de mon danois et dis que je parle comme dans la Bible, moi qui me donne pourtant tellement de mal. » (Sauerlandt 2008, 36).

C’est à cette période qu’il rencontre sa future femme, la comédienne Ada Vilstrup. A l’occasion de leur mariage en 1902, Emil Hansen adopte le nom de son village Nolde, qu’il donnera aussi à sa femme et avec lequel il signera toutes ses toiles. La raison première est que le nom ‘Hansen’ est extrêmement répandu et que Nolde souhaite se distinguer en tant

      

18 « L’œuvre d’un artiste doit être son œuvre. Elle est au fond entièrement la sienne. A l’extérieur elle est, je crois, une quête continue de petites découvertes, de ses propres petites découvertes techniques, dans sa relation à l’outil, à la matière et à la couleur. Ce qu’il apprend compte peu. Ce qu’il trouve lui-même a pour lui une véritable valeur et lui décuple l’envie de travailler à son œuvre » TEC.

qu’artiste. Mais Nolde a aussi exprimé leur souhait romantique (avec Ada), d’adopter ce nom (Reuther et Stiftung Seebüll Ada und Emil Nodle 2008 p13).19

Alors que Nolde s’engage pleinement dans sa vie d’artiste, sa peinture évolue vers le dessin fantastique autour d’étranges créatures, de la mer et de la nuit. Sa confrontation avec le violent climat du Nord du Jutland, lors de ses séjours répétés à la mer, semble marquer son humanité. Lettre du 21 août 1901 écrite à Lildstrand pr. Bjerget « Le terrain où peut pousser et fleurir l’art le plus élevé : un homme à la fois de nature et de culture, être divin et animal, être enfant et un géant, être naïf et raffiné, plein d’âme et plein de raison, passionné et sans passion, vie jaillissante et calme silencieux ». (Sauerlandt 2008, 41).

« Les mouettes sont des animaux.

Moi aussi, je suis un animal, mais je suis également un être humain. »

[Emil Nolde, Lettre du 10 juillet 1901 écrite à Lildstrand pr. Bjerget (Sauerlandt 2008, 38)]

« Bientôt chez l’homme de la campagne toutes les formes s’édifient et l’amour de la terre natale s’épanouit, l’amour de la mer, des fleurs, des animaux et des humains, encore plus fort qu’auparavant. Et au lieu d’une réponse aux problèmes théoriques de l’art, je cherchais un lien, au lieu de la destruction des formes – un rassemblement, au lieu des discussions sur les questions de goût et de technique – une expression plus profonde à travers les vastes surfaces et les couleurs fortes et saines. » (ML 211-212) (cité dans (Dufour-Kowalska 2007, 30)).

Il commence à exposer ses travaux et noue des liens avec quelques mécènes à Hambourg, Berlin et Dresde. Depuis 1905 à Dresde, un petit groupe d’étudiants en architecture cherche à réinventer les pratiques artistiques. Ernst Ludwig Kirchner, Fritz Bleyl, Erich Heckel et Karl Schmidt fondent leur projet autour de l’expérimentation, de la nouveauté et de Nietzsche. Ils le nomment die Brücke, ‘Le Pont’. Ainsi parlait Zarathoustra : « Ce qui est grand dans l’homme c’est qu’il est un pont et non un but : ce que l’on peut aimer dans l’homme, c’est qu’il est une transition et qu’il est un déclin. » (Jähner 1992, 15). Pour Heckel, die Brücke c’est « parce que le mot pouvait être compris de plusieurs manières, et que sans désigner de programme il menait en quelque sorte d’une rive à l’autre ». (Jähner 1992, 22).

      

19 On peut noter que le peintre contemporain, et un temps ami de Nolde, Karl Schmidt-Rottluff de la Brücke a opéré le même changement en 1905. Rottluff est aujourd’hui un quartier de Chemnitz en Saxe.

Les membres fondateurs de la Brücke voient les travaux de Nolde exposés dans la galerie Ernst Arnold à Dresde en 1905. Fascinés par ‘ses tempêtes de couleurs’, ils décident de lui écrire. Le groupe souhaite « s’élargir pour être plus percutant ». Lettre de Schmidt-Rotlluff à Nolde le 4 février 1906 « […] une des ambitions de la Brücke est d’attirer à elles tous les éléments révolutionnaires en fermentation. […] Nous avons voulu par-là vous exprimer notre reconnaissance pour vos tempêtes de couleur ». (Jähner 1992, 16).

Nolde fit partie du groupe pendant un an et demi, puis le quitta à cause de désaccords personnels et artistiques, avec des peintres plus jeunes que lui d’une génération (20 ans). Nolde le paysan n’a pas l’âme rebelle de ces jeunes fils de la bourgeoisie (Hülsewig-Johnen 2008, 8). Si cette période a permis à Nolde de retrouver ses compétences d’ébéniste en s’essayant à la sculpture et la gravure sur bois, il se distingue expressément des autres membres du groupe, par ses figures magiques et par sa relation à la nature. « Nolde

unterscheidet sich von den eigentlichen Brücke-Malern dadurch, dass er viel weniger als sie auf die Sichtbarkeit der Dinge angewiesen ist. Er vermag Gedachtes ins Bild zu bringen, selbst aus dem Gegenständlichen erschafft er durch völlige Umwandlung‚ magische Eigenwesen. »20 (Buchheim 1956, 322). Ses séjours à Dresde et à Berlin produisent des « Peintures féroces presque caricaturales de la grande ville », « mais c’est malgré tout la vie à la campagne, dans sa simplicité et sa modestie, et le contact quotidien avec la nature qui restent pour lui synonyme d’accomplissement et d’inspiration artistique. […] ». « Nolde a trouvé dans les paysages du Nord son thème majeur, qui allait aussi devenir pour lui le support essentiel de l’expression de son sentiment du monde. La crainte respectueuse qu’il éprouve devant la force et la beauté de la nature, la dimension transcendante, panthéiste qu’il y reconnaissait ont été le moteur de sa création. » (Moeller et al. 2012, 169) .

Les années suivantes Ada et Emil Nolde vivent entre Berlin et l’île d’Alsen en mer baltique, pour des raisons de santé mais aussi financières. A Berlin, Ada peut travailler dans des cabarets et à Alsen, soigner ses problèmes respiratoires. Ils profitent ainsi l’hiver de l’ambiance des années folles qui émerge dans la capitale allemande, et l’été du calme et de l’air frais de la mer. Les peintures de Nolde à cette époque reflètent ce contraste. De très nombreux portraits de la vie berlinoise débridée d’un côté, des paysages de nature et de leur vie simple de l’autre ( voir notamment Ada : Frühling im Zimmer ,1904, « le printemps dans la chambre »). Lettre du 27 janvier 1902 écrite à Berlin « Me revoilà en errance ici, tout me répugne. Cette mégalopole ! Personne n’est proche de mon cœur, je suis plus solitaire que jamais. Ces rues droites, longues, embrumées, tout ce public misérable – je

      

20 « Nolde se distingue des peintres de la Brücke proprement dits, en ce sens qu’il est beaucoup moins astreint à la visibilité des choses. Il est capable d’apporter des pensées dans l’image, il crée à partir du subjectif même, par des transformations complètes, des êtres magiques » TEC.

n’aime pas être ici. […] j’aspire à la vie pure de la nature. Au rayon de soleil, au vent d’ouest qui envoie les vagues fouetter la terre. Nuages d’orage. Je veux que les embruns me balaient le visage, je veux avoir des vêtements trempés jusqu’à ce qu’ils en dégoulinent. Gel. Froid mordant. Des glaçons pendant depuis la moustache, devant la bouche. […] Je ne peux pas être ici, je ne supporte pas cet air torride […] J’aspire à de l’herbe haute et au sable de la dune, j’aspire à y être couché, à rêver, à dormir, -dormir jusqu’à ce que je meure. » (Sauerlandt 2008, 44).

Ainsi les dix premières années de sa vie d’artiste sont caractérisées par le mouvement et l’expérimentation. Il nous faut souligner ici le goût de Nolde pour le faire soi-même, l’importance qu’il accorde à un apprentissage incorporé, à la quête individuelle, loin des tendances de la nouvelle capitale. De même, son besoin de toujours retourner vers la mer est omniprésent. Il se sent différent des autres artistes, il cherche l’inspiration dans sa relation à la nature, loin des institutions dans lesquelles il n’arrive pas à s’inscrire.

Pour comprendre ses explorations spirituelles, qui vont de pair avec sa quête de sens de la