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Chapitre 1 : Etude Bibliographique

4. Les biofilms

Dans l’environnement, les microorganismes se développent sous deux formes : une forme libre ou planctonique, et une forme sessile ou attachée à un support. Le mode de vie planctonique permet aux microorganismes de proliférer et de coloniser de nouvelles niches environnementales par adhésion à une surface. Cette forme planctonique n’est que transitoire puisque plus de 99% des cellules sont sous forme sessile [29]. L’immersion de n’importe quel type de matériau dans l’eau se traduit après un séjour de quelques semaines par l’apparition d’un gel visqueux en surface. Ce gel constitué de microorganismes enveloppés d’une matrice exopolymérique hautement hydratée, visqueuse et élastique, correspond à un biofilm, terme proposé par J.W. Costerton en 1978 [30]. Dans cet ensemble, les microorganismes ne représentent que 2 à 15 % du volume total, le reste correspond à une matrice exopolymérique constituée en majorité de sucres (entre 40 et 95 % de la masse de la matière sèche), mais aussi de lipides (< 1 - 40 %), de protéines (< 1 - 60 %), d’acides nucléiques extracellulaires (< 1 - 10%) et des matières minérales.

Un biofilm se caractérise par une structure hétérogène composée de régions denses, c’est-à-dire de microcolonies engluées dans une matrice, et de régions moins denses constituées de canaux d’eau qui relient les microcolonies entre elles et assurent le transfert des substrats et des produits du métabolisme. L’hétérogénéité de structure est due aussi à la présence de différentes espèces, procaryotes et eucaryotes, et de différentes sous-populations d’une même espèce. Ces différentes sous-populations sont engendrées par l’existence de micro-environnements dus aux gradients de substrats/métabolites entre la surface et la base de la matrice.

Le processus de formation d’un biofilm est composé de cinq étapes distinctes. Prenons comme exemple la formation d’un biofilm bactérien, celui de Pseudomonas aeruginosa (Figure 6).

Une étape préliminaire est l’établissement d’un film primaire conditionnant la surface et facilitant l’attachement des bactéries. C’est un phénomène rapide n’excédant pas quelques heures. Durant cette première phase, les molécules organiques et inorganiques présentes dans le milieu se déposent sur la surface. Cette accumulation de molécules à l’interface liquide/solide modifie les propriétés de surface du support et permet une concentration de nutriments.

Figure 6 : Etapes de formation d'un biofilm selon Costerton [31].

· Etape 1 : Adhésion réversible des micro-organismes sur la surface

Cette étape correspond au transport ou au déplacement des microorganismes vers une interface liquide/solide. Elle dépend de la composition du milieu (viscosité, force ionique) et des mouvements des microorganismes. Lorsque les forces de cisaillement sont nulles ou faibles (en condition statique ou en écoulement laminaire) les microorganismes peuvent s’approcher de la surface par différents mécanismes :

v Actifs : les cellules se déplacent grâce à des appareils locomoteurs comme les flagelles (structures fines de 10 µm de long) vers un support ou vers des substances nutritives. Il s’agit alors du chimiotactisme, c’est-à-dire du déplacement des cellules en réponse à un gradient de concentration de substrats. La motilité flagellaire n’est toutefois pas nécessaire pour l’attachement et l’adhésion d’un biofilm

v Passif : les cellules s’attachent au support par sédimentation qui est menée soit par un mouvement brownien soit par des mouvements de convection du milieu.

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osmolarité du milieu, température, propriétés de surface du matériau (charge, hydrophobicité, rugosité). Cette adhésion fait intervenir des interactions de faible énergie de type van der Waals, électrostatique, des interactions hydrophobes et acide-base de Lewis, dépendant de l’état de surface du support.

Pendant cette phase initiale, les bactéries subissent encore un mouvement brownien et peuvent se détacher facilement sous l’action de contraintes hydrodynamiques.

· Etape 2 : Adhésion irréversible et production de polymères extracellulaires

L’adhésion irréversible, quant à elle, correspond à une fixation active et spécifique des cellules sur une surface. Cette fixation est assurée par des structures d’adhésion et des molécules pariétales spécifiques. On peut ainsi citer les pili ou fimbriae de type I, les curli (chez les bactéries à Gram négatif), les structures pariétales particulières comme des capsules et du glycocalix (chez les bactéries à Gram positif et négatif). La fixation des cellules, au support et entre-elles, est renforcée d’une part par la synthèse de molécules de surface spécialisées, les exopolysaccharides, l’adhésine, le lipopolysaccharide A (pour les surfaces hydrophobes) et le lipopolysaccharide B (pour les surfaces hydrophiles) [32] et d’autre part par les interactions ioniques avec les groupements phosphate -PO42- et carboxyle –COO-. Cette matrice d’exopolymères peut représenter jusqu’à 75 – 95 % du volume d’un biofilm mature [33].

· Etape 3 et 4 : Maturation et croissance du biofilm

Dès que l’attachement au support devient irréversible, le biofilm entame une phase dite de maturation qui se traduit par des changements dans l’expression des gènes engendrant un changement marqué du phénotype des cellules par rapport à celui des formes planctoniques. Par exemple, au cours de la formation d’un biofilm d’Escherichia coli, l’expression de 22 % des gènes est stimulée et 16 % des gènes sont réprimés. Ces changements entrainent :

v une synthèse accrue des substances exopolymériques (exopolysaccharides),

v des variations dans l’expression des gènes impliqués dans le métabolisme énergétique qui s’explique par la répartition des cellules au sein du biofilm et la limitation de l’oxygène dans les zones les plus proches du support,

v dans la mobilité qui se traduit par une perte des flagelles,

v la mise en place de mécanismes d’adaptation et de défense / réponse générale au stress régulée par le facteur RpoS.

Suite à cette étape, la croissance des bactéries se caractérise par la formation d’un biofilm plus épais [34]. Lors de cette croissance, des micro-canaux se forment afin de permettre la circulation des substrats comme l’oxygène dissous et les micronutriments [35]. La structuration des biofilms est souvent contrôlée par des phénomènes de Quorum sensing1. Une fois le biofilm mature, son épaisseur se stabilise.

· Etape 5 : Détachement du biofilm

Lorsque l’épaisseur maximale du biofilm est atteinte ou lors de changements environnementaux comme une limitation en oxygène, le biofilm subit des phénomènes de dispersion, c’est-à-dire que les formes planctoniques sont relarguées dans le milieu extérieur et peuvent de nouveau coloniser de nouvelles surfaces. La libération des cellules à partir du biofilm peut se faire de plusieurs façons :

v De façon passive par érosion, par relargage (détachement massif et rapide de quantités importantes de cellules).

v De façon active due à des remaniements de l’expression de certains gènes spécifiques comme par exemple l’induction de répresseurs provoquant l’arrêt de la synthèse de matériaux constitutifs du biofilm (polysaccharides), ou l’expression d’enzymes dégradant la matrice.

L’expression des gènes responsables de la formation et de la dispersion du biofilm est contrôlée par des mécanismes de Quorum sensing.

Une fois formés, les biofilms peuvent néanmoins présenter un certains nombres d’aspects négatifs.

4.2. Les aspects négatifs des biofilms

1 Quorum sensing : capacité qu’a une bactérie à communiquer et à coordonner son comportement avec les autres bactéries d’une même colonie en utilisant des molécules de signalisation. Grâce au quorum sensing, les bactéries d’une même espèce coordonnent certains comportements ou actions entre elles, en fonction de leur nombre. Dans le cas des bactéries opportunistes, comme Pseudomonas aeruginosa, elles peuvent croître dans l’organisme hôte sans effets pathogènes jusqu’à ce qu’elles atteignent une certaine concentration. Ces bactéries deviennent alors agressives et leur nombre suffit à dépasser le système immunitaire hôte et à former un biofilm, entraînant la maladie.

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Les biofilms permettent aux microorganismes de se maintenir dans une niche écologique protégée et de résister ainsi à de nombreux stress environnementaux : pH, oxygène, dessiccation et composés antimicrobiens. Les biofilms sont identifiés comme la source de lourds problèmes industriels et de santé publique.

Dans le domaine médical, la formation de biofilms est source de nombreuses infections chez l’homme. Il est acquis que 65 % des infections bactériennes chez l’homme impliques des biofilms. Ces biofilms peuvent se former au niveau du matériel médical (seringues, cathéters, prothèses, implants…) ou sur des tissus biologiques (yeux, oreilles, poumons, dents…) [35]. Une des souches les plus étudiées dans le domaine médical est Pseudomonas aeruginosa qui est responsable, entre autres, d’infections pulmonaires chroniques chez les patients atteints de mucoviscidose.

En milieu industriel, et plus particulièrement dans le secteur des industries agroalimentaires, ces biofilms peuvent conduire à la dégradation des qualités organoleptiques des produits et au développement de toxi-infections alimentaires du fait de l’accumulation de pathogènes à la surface des équipements sur tous types de matériaux (métaux, polymères, ciments…). Ils engendrent également une diminution des flux des liquides par un encrassement des conduites ainsi qu’une diminution des capacités d’échange thermique par la formation de couche isolante dans les échangeurs thermiques.

En milieu marin, ils sont responsables de la corrosion des matériaux, du colmatage des canalisations, de l’augmentation significative du poids des navires et des bouées, de l’augmentation des forces de frottement des navires induisant une surconsommation de carburant et des émissions de CO2.

Enfin la formation de ces biofilms a un impact sur l’environnement puisque leur élimination nécessite l’utilisation de biocides et d’anti-adhésifs, composés nocifs et qui polluent l’eau et les sols.

Néanmoins, les biofilms ont aussi des aspects positifs et sont même nécessaires dans l’environnement.

4.3. Les aspects positifs des biofilms

Les biofilms jouent un rôle majeur dans le recyclage des nutriments dans les sols. Dans le cas de la biominéralisation des eaux issues des nappes souterraines, ils permettent la fixation de l’azote et du carbone [36].

Ils participent également à la dégradation de polluants par des réactions d’oxydo-réduction, c’est-à-dire à la transformation ou la neutralisation de matières organiques et inorganiques indésirables ou toxiques : on parle alors de bioremédiation [37]. A titre d’exemple, le perchlorate peut être réduit en eau et en chlore; les nitrates et les phosphates sont dégradés. Les biofilms peuvent également être mis à profit en catalysant des réactions d’oxydo-réduction lors de la dégradation de matière organique ou inorganique et ainsi permettre la production d’électricité. En effet, parmi ces biofilms, certains sont dits électroactifs, c’est-à-dire qu’ils sont capables de transférer les électrons à un substrat solide.