• Aucun résultat trouvé

Bilan de la politique économique et sociale de Blair

Chapitre I L’homme politique dans The Economist

1) Bilan de la politique économique et sociale de Blair

Le premier élément du bilan des années Blair peut être résumé par la formule suivante : « gouverner, c’est hériter »160. Cet héritage s’explique par trois phases. Il s’agit tout d’abord de l’héritage des gouvernements Thatcher. Depuis 1979 jusqu’à 1990, Thatcher entreprend de mettre en œuvre une politique ultralibérale, elle anéantit la résistance syndicale, privatise de nombreux services publics, vend une grande partie des logements sociaux afin d’encourager l’émergence du « capitalisme populaire »161

. L’arrivée de Margaret Thatcher au pouvoir entraîne de véritables bouleversements tant dans les politiques menées que dans les institutions162. Elle impose les mécanismes de marché et un pragmatisme total dans l’élaboration de la politique publique. Puisant dans les thèses et les valeurs victoriennes163, Thatcher défend un ensemble cohérent de principes et d’idées, à savoir : l’effort, l’individualisme, la loi et l’ordre, la liberté et la morale. Proche du néo-libéralisme rénové par Milton Friedman et Friedrich Von Hayk, elle milite en faveur d’un état modeste mais fort, d’un capitalisme dynamique et d’une société méritocratique164.

Le second héritage correspond aux échecs économiques et sociaux des précédents gouvernements travaillistes des années 1970, ainsi qu’à leur incapacité de conquérir le centre britannique « Middle England » ; enfin le troisième héritage découle de la dépendance du Parti travailliste au soutien financier des autorités locales d’Écosse et du Pays de Galles. Le second élément de ce bilan est une conséquence des réformes de l’état et de la constitution. La décentralisation (devolution) est accélérée en Irlande du Nord, au Pays de Galles et en Écosse. Elle est caractérisée par la création de parlements et de budgets séparés, par la démocratisation du gouvernement local ainsi que par la réforme de la Chambre des Lords ; en outre, le renforcement de l’intervention de l’État central devient plus important.

160 Partick Le Galès, « La nature politique du blairisme : les politiques publiques de Tony Blair », compte rendu du CEVIPOF (Centre de recherches politiques de Sciences Po), c’est l’unité mixte de recherches Sciences Po /CNRS, les lundi du CEVIPOF, 9 janvier 2006, 11.

161

Philippe Marlière, « Un néo-travaillisme très conservateur », Le Monde Diplomatique du 4 mai 2005, 25.

162 Patrick Le Galès, op. cit., 10

163 François-Charles Mougel, Royaume-Uni, les années Blair, Paris : La documentation française, 2005, 8.

164

La modernisation économique et sociale constitue une autre dimension de ce bilan. Le Royaume-Uni s’adapte à l’économie de marché. Pour les élites néo-travaillistes, il s’agit de stabiliser le cadre macro-économique en l’adaptant aux nouvelles règles du jeu mondial, considéré comme une contrainte absolue. Depuis son arrivée au pouvoir en mai 1997, Tony Blair s’emploie à mettre en œuvre un travaillisme moderne qui doit permettre au Royaume-Uni de relever les défis de la mondialisation. La stabilité politique qui s’est instaurée tout au long des trois mandats successifs du New Labour a permis au Royaume-Uni de se transformer en une des nations les plus dynamiques du continent européen. Or, comme le souligne le rapport de l’OCDE (Organisation de Coopération et de Développement Économique), le succès économique britannique commence aujourd’hui à montrer son double visage, il reste précaire, menacé par la conjoncture internationale.

En 2005, les Britanniques165 sont parvenus à un stade de développement inégalé, le PIB (produit intérieur brut) a crû de 20 % et a atteint 1742 milliards d’euros (contre 1623 en France). Le niveau de vie connait un accroissement de 20 % (soit 29 126 euros par habitant contre 26 875 en France). Le gouvernement crée 1,8 million d’emplois dont 560 000 dans les services publics. Pour caractériser la politique sociale de Tony Blair, il faut comprendre cette vision qui réside dans l’idée que le fonctionnement de l’économique166

est prépondérant, puisque pour pouvoir redistribuer de la richesse, il faut d’abord la créer. Parmi les éléments sociaux forts du bilan de Blair, il faut noter la création d’un salaire minimum en 1999, qui apparaît révolutionnaire en Grande-Bretagne. Si pour Thatcher le mot d’ordre était le « marché », celui de Tony Blair est plutôt « le choix ».

En ce qui concerne la santé et l’éducation, Tony Blair a beaucoup investi. Par exemple, en matière d’éducation, les dépenses auront doublé en 10 ans (1997-2007). En ce qui concerne la santé, les investissements167 seront de l’ordre de 40 milliards d’euros entre 2003 eet 2008. La réussite économique des travaillistes supposait l’instauration d’un climat de confiance avec le patronat. En 1997, le New Labour était allé jusqu’à se proclamer parti des milieux d’affaires. Les financiers et les patrons, qui en Grande-Bretagne et ailleurs, détestent l’incertitude politique, estiment, depuis l’arrivée de Tony

165 François-Charles Mougel, op. cit., 141.

166 John Henley est le correspondant du quotidien britannique The Guardian.

Voir le site <http://www.cyberscopie.info/pages/art_entre/art40_entre.html>, consulté le 4 janvier 2004.

Blair, avoir le même interlocuteur. Pour eux, le New Labour adhère au principe de l’économie de l’offre ainsi qu’au jeu des marchés et au caractère incitatif et non interventionniste de l’état. Gordon Brown, le ministre des finances, fixe ses objectifs : réduire les prélèvements obligatoires, rétablir l’équilibre des finances publiques et en assurer l’excédent, poursuivre les privatisations, investir dans le secteur public. Gordon Brown joue à fond le jeu des entreprises pour maintenir la croissance sans augmenter les impôts. Le Chancelier de l’Échiquier, qui est un libéral en matière d’économie, pro-marché et antiprotectionniste, reste un défenseur des services publics et d’un interventionnisme précis. Il tisse une relation de confiance avec les milieux des financiers et le patronat. Grâce à la mise en place de crédits d’impôts, les revenus des 20 % des Britanniques les plus pauvres ont augmenté de 1 %. En 2005, le salaire minimal avait progressé de 40 % depuis 1999 (il atteint 4,85 livres l’heure soit 7 euros en termes de pouvoirs d’achat). Le parti Labour168

fait reculer le chômage en 2005, qui est de 4,7 % contre 10 % en France. En ce qui concerne le chômage des jeunes, le taux est de 11,5 % contre 20,8 % en France.

Malgré ce dynamisme et ce succès qui sont instaurés tout au long des trois mandats, nous pouvons parler du revers de la médaille comme le souligne le rapport de l’OCDE en 2005. Par exemple, les Britanniques attendent longtemps avant d’être opérés à l’hôpital, de même, il existe des problèmes avec les dentistes : l’hygiène des hôpitaux n’est pas toujours impeccable. Après dix ans de « partenariat public, privé » le système de santé britannique n’est pas aussi performant que celui de la France ou d’autres pays européens. Pour l’éducation, le bilan est plus positif qu’il ne l’était durant les années 1990. La discipline s’est améliorée, les classes sont moins chargées, cependant ce secteur reste sous-doté et une privatisation rampante s’y développe, où les enfants de riches restent dans les écoles privées à plusieurs milliers d’euros alors que la majorité des enfants ne bénéficient pas des mêmes chances d’éducation. Dans les domaines de la santé et de l’éducation, l’intervention poussée de l’État ne s’est pas accompagnée de gains de productivité169. En ce qui concerne le système des transports170 privatisé, il laisse à désirer, en particulier les chemins de fer. Tony Blair hérite d’un réseau mal entretenu

168 Jean Pierre Langellier, « Le secret de Tony Blair », in Politique Internationale, no 114, hiver 2006.

169 L’expansion, du 11 décembre 2006, voir le website <www.Lexpansion.com>, consulté le 5mars 2007.

dangereux et cher pour les usagers171. Son gouvernement commence la privatisation du contrôle aérien en 1999, l’accélération des prisons privées, la réduction drastique du parc de logements sociaux, le transfert des services municipaux vers le privé et la privatisation partielle du métro de Londres, en dépit de l’opposition des habitants et du maire. Les bonnes performances, depuis 1997, n’ont presque pas réduit les inégalités, la pauvreté et la précarité. Selon l’indicateur de pauvreté du PNUD172

(Programme des Nations Unies pour le Développement), le Royaume-Uni est en 15ème position dans une liste de 17 pays développés alors que la Suède, la Norvège et les Pays-Bas, qui ont moins de pauvres, occupent les premiers rangs. Selon l’Institute for Fiscal Studies173

les sept années de gouvernement travailliste ont laissé les inégalités globalement inchangées. L’une des raisons du maintien de ce niveau d’inégalité de revenus est l’insolente progression des revenus les plus élevés. Les 1 % des Britanniques les plus riches ont vu leur fortune doubler depuis l’arrivée de Tony Blair. L’autre raison est la précarité salariale et la proportion élevée des bas salaires. Sur un autre plan, le PNUD174 admet que le nombre d’enfants pauvres, qui était de 4,4 millions en 1998, a baissé d’un million. Nous pouvons noter aussi comme le souligne François-Charles Mougel175, que l’ère Blair a connu une première phase de réformes et d’élan entre 1997 et 2001, puis une période plus contrastée de consolidation entre 2001 et 2005. Avant de commencer l’étude de l’image de Blair, nous proposons ci-après de résumer le bilan de Tony Blair en le comparant avec la politique des conservateurs pendant la période Thatcher.

171 Philippe Auclair, Le Royaume enchanté de Tony Blair, Paris : Fayard, 2006.

172 PNUD (Programme des Nations Unies pour le Développement), rapport de 2004, 3.

173 Institute for Fiscal Studies, Londres, 2005.

174

PNUD, op. cit., 4.

Tableau 11

Comparaison du programme économique et social des Conservateurs et des Travaillistes

Thèmes Conservateurs Travaillistes

Économie -Poursuite de la réduction des dépenses publiques -Objectif : supprimer tout déficit public

-Privatisations des derniers services publics (le métro de Londres)

Encouragement du capitalisme populaire

-Taxe exceptionnelle sur les bénéfices des ex services publics privatisés

-Aides à l’embauche des chômeurs de longue durée

Éducation - Liberté accrue pour les établissements scolaires -Choix plus grand pour les parents -Amélioration du niveau des écoles -Priorité numéro un de Tony Blair -Augmentation du budget de l’éducation

-Réduction des effectifs par classe

Europe -Pas de signature du chapitre social européen -Rejet d’une Europe fédérale

-Non à la monnaie unique

-Signature du chapitre social européen -Référendum sur la monnaie unique -Accroîssement du rôle de Londres en Europe Fisc -Allègement des impôts

pour les ménages si un des membres du couple cesse de travailler

-Baisse de la principale tranche d’impôts de 23 à 20%

-Pas d’augmentation des taux d’imposition -Baisse de la TVA sur le fioul

-Réduction du taux le plus bas de l’impôt.

Justice -Sanctions plus rapides pour les jeunes délinquants -Peines minimales

obligatoires pour les récidivistes

-Vidéo surveillance dans les villes

-Procédure accélérée contre les jeunes délinquants -Interdiction de toutes les armes de poing

-Réforme du parquet

Social -Responsabilité financière des syndicats pour les préjudices provoqués par les grèves (ex-services publics)

-Début de privatisation des caisses de retraite

universelle

-Augmentation des ressources du NHS

-Instauration d’un salaire minimum (non chiffré) -Obligation de reconnaître les syndicats dans les entreprises

-Indexation des retraites les plus basses

-Augmentation des dépenses de santé

-Création d’un organisme indépendant de contrôle des aliments

Adapté et résumé d’un article sur « la Grande-Bretagne : Vie et institutions politiques ». Voir le site <http://www2.ac-lyon.fr/etab/lycees/lyc-42/fmauriac/document.html>, consulté le 12 mars 2007.

Nous percevons dans cette comparaison du programme économique et social des conservateurs et des travaillistes la volonté du nouveau Parti travailliste de promouvoir une politique sociale et économique différente de celle de ses prédécesseurs. Sur le plan économique, Blair souhaite imposer une taxe sur les bénéfices des services publics privatisés, et une aide à l’embauche des chômeurs de longue durée. Le Premier ministre n’annonce pas une hausse de la TVA et encourage la réduction du taux le plus bas de l’impôt. Il instaure un salaire minimum, et appelle à augmenter les dépenses de santé. Sur le plan éducatif, il donne la priorité à l’augmentation du budget de l’éducation en réduisant les effectifs des classes. Tony Blair s’occupe également de la justice en combattant la criminalité et la délinquance juvénile. Quant à sa politique européenne, il signe le traité du chapitre social européen et promet le référendum sur l’euro. Manifestement, la nouvelle politique de Tony Blair rompt avec les idées anciennes des travaillistes de dépenses publiques et de nationalisation. Le Premier ministre adhère au principe de privatisation, et à l’esprit du marché. Nous pensons que, bien que le bilan économique soit positif, il est nettement mitigé, car sur le plan social, les inégalités se sont accrues. Si Tony Blair a obtenu des résultats flatteurs en termes de croissance et de chômage, il n’a pas réussi à réduire les inégalités et n’a pas lutté contre la désindustrialisation. Or, comme Tony Blair a remporté trois élections législatives consécutives, l’histoire jugera son action. Nous n’anticipons pas sur les années suivantes, et contentons-nous d’étudier l’image de ce bilan de Tony Blair à travers The Economist.