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Nous avons pu voir que la naissance de deux familles de relevé est profondément liée à la complexité des objets d’étude, dont la traduction graphique en deux dimensions pose de nombreuses difficultés, particulièrement depuis le recul vis-à-vis des parois. En l’absence de méthode satisfaisante pour la saisie du support, la morphologie des parois, souvent tortueuses, impose des arbitrages difficiles entre la justesse géométrique et l’expression graphique des figures relevées.

La reconnaissance d’un travail de composition et incidemment, d’un lien profond entre les figures et leur support pose aussi la question de l’exhaustivité du relevé : où l’observateur doit-il arrêter son intérêt ? Où s’arrête l’œuvre ? Dans le cas du relevé plastique, le parti pris est celui de se concentrer sur la figure, considérant la paroi comme un support illustratif, voire un décor. Dans le cas du relevé technique, il s’agit de relever la plus grande quantité d’éléments possible. Mais la recherche d’exhaustivité dans un relevé pose alors une contrainte supplémentaire, car elle suppose un travail de codification graphique. De fait, s’il était possible de tout relever sans exception, une représentation réaliste serait problématique, car le relevé n’apporterait alors aucun élément de compréhension supplémentaire que l’objet réel lui-même :

« On peut en tirer la leçon que, sans réduction, un modèle redoublant totalement la réalité n’apporte aucune connaissance. » (Boudon, 1987)

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Par conséquent, nous pouvons comprendre que la sélection des éléments signifiants est un élément clé du relevé, ainsi que leur hiérarchisation au sein d’une représentation graphique codifiée. En cela, nous pouvons faire le rapprochement entre le relevé d’art pariétal et le relevé du bâti tel que théorisé par Saint- Aubin. Dans les deux cas, le relevé comporte bien trois moments interreliés :

- La description, c’est-à-dire le moment de la sélection des éléments et de la mesure. C’est une étape décisive concernant la question de la précision géométrique, mais aussi de l’exhaustivité. - La figuration, c’est-à-dire le moment de l’interprétation des éléments sélectionnés, leur hiérarchisation en vue de leur codification graphique. Il conditionne les possibilités d’enrichissement ultérieur et le potentiel d’interrogation du document résultant.

- La représentation, c’est-à-dire la transcription graphique des éléments interprétés en un document intelligible communicable.

Les différentes approches du relevé se distinguent alors entre elles par la pondération accordée à l’importance de ces trois moments. Par exemple, dans le cas du relevé analytique plastique, la figuration et la représentation priment largement sur la description. Dans le cas du relevé analytique technique, la description est au contraire le moment le plus important. Cette pondération a une incidence notable sur les caractéristiques du document produit.

Afin d’offrir une vision synthétique des spécificités des différentes approches du relevé, nous avons décomposé les trois moments de Saint-Aubin en différents aspects intimement liés à leurs définitions et cités de manière récurrente dans l’état de l’art. Cela nous permet de constituer des critères pour représenter schématiquement et comparer les approches et mieux comprendre ce qui les lie ou les distingue. Nous conserverons ces mêmes critères tout au long de ce travail.

Ainsi, nous avons pu constater que, dans le cas du relevé analytique plastique, l’accent mis sur la figuration et la représentation bénéficie à la codification graphique et l’intelligibilité du document, mais nuit à son potentiel d’interrogation et à ses possibilités d’enrichissement ultérieur (Figure 17). Dans le cas du relevé analytique technique, l’accent mis sur la description bénéficie au potentiel d’interrogation, mais nuit nettement à l’intelligibilité du document. Le choix de minimiser la figuration élargit en outre les possibilités d’exploitation ultérieures (enrichissement, modifications).

Figure 17 : Comparaison des deux familles de relevé selon différents critères liés aux trois moments de Saint-Aubin. Il apparaît clairement que les deux approches ne répondent pas aux mêmes besoins. Illustration : auteur.

Relevé numérique d’art pariétal : définition d’une approche innovante combinant propriétés géométriques, visuelles et sémantiques au sein d’un environnement de réalité mixte

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Cet état de l’art nous montre clairement que le relevé demande systématiquement des arbitrages de la part du ou des releveur(s). Cela impose notamment certains efforts en termes de traçabilité pour assurer l’acceptabilité du relevé en tant que document scientifique. Airvaux et al., (1991) rappellent que la finalité du relevé est de rendre intelligible la complexité des œuvres pariétales, et qu’à ce titre, il doit impérativement répondre aux exigences suivantes :

- Fiabilité : L'image doit être une projection parfaite de la réalité sans altérations dimensionnelles ;

- Exhaustivité : Le relevé doit être le plus exhaustif possible, car l'absence d'un trop grand nombre d’informations peut être déterminante et conduire à une interprétation erronée ; - Offrir la possibilité d'un traitement analytique de façon à isoler les représentations par

affinités morphologiques ou directionnelles, et à en faciliter ainsi l'étude ;

- Permettre une mise en relation entre la morphologie du support et la disposition des figures sur celui-ci ;

- Rapidité d'exécution : Toutes les techniques existantes évoquées précédemment sont très chronophages. D’après les auteurs, le facteur temps est capital dans la mesure où il existe un grand nombre d'œuvres paléolithiques qui doivent être confrontées les unes aux autres pour progresser dans les interprétations. Nous pourrions appuyer ce propos en mentionnant que les nécessités de préservation des grottes ornées imposent aujourd’hui une gestion fine des temps d’accès aux sites, qui sont globalement assez courts.

Concernant l’ensemble de ces critères, qui rejoignent partiellement ceux que nous avons pu établir, les outils numériques ont de nombreux éléments de réponse à apporter. En effet, comme nous le verrons dans les chapitres suivants, le domaine de la numérisation 3D basée sur la réalité constitue pour le relevé une avancée considérable. La capacité à mémoriser l’objet d’étude dans ses aspects formels offre de nombreuses possibilités de traitement et d’extraction d’informations. Les outils de visualisation de données 3D offrent une liberté précieuse en termes de projection géométrique – point qui constituait, comme nous l’avons vu précédemment, l’une des problématiques majeures du relevé d’art pariétal indirect. À propos de la possibilité d’un traitement analytique, nous verrons que les travaux concernant les systèmes d’information constituent des solutions avantageuses, en particulier par leur capacité à mettre en relation des ressources hétérogènes et par le biais des structurations multicouches qui favorisent l’analyse de la corrélation des informations. Enfin, concernant la mise en relation entre la morphologie du support et la disposition des figures, nous verrons que les travaux du domaine de la réalité mixte offrent des perspectives intéressantes qui permettent d’aller bien plus loin dans la contextualisation, en autorisant l’hybridation d’environnements réels et virtuels.

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