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Chapitre IV : Les électeurs sont-ils prêts ?

3. Entre Bilal et Guillaume

Maintenant que nous avons pu démontrer que les Français sont prêts à voter pour des candidats issus de la diversité, il convient de déterminer si à compétences égales, une personne issue des minorités visibles a autant de chances d’être élue qu’une personne qui ne l’est pas. Il est assez difficile de prendre appui sur des analyses statistiques pour répondre à une telle question. Effectivement, il est impossible de trouver deux candidats dont les parcours sont similaires en tous points et dont la seule différence est leur origine ethnique. C’est donc sur une expérience que 37 Voir à ce sujet Vincent Geisser (1997), Ethnicité républicaine. Les élites d’origine maghrébine dans le système

nous prenons appui. La méthode expérimentale nous permet d’isoler la variable « origine ethnique » et d’évaluer son influence sur la propension de vote d’un échantillon représentatif de la société française.

Dans une étude publiée en 2006, Sylvain Brouard et Vincent Tiberj, ont tenté d’évaluer la proposition selon laquelle l’électorat français bloque la représentation de la diversité. Pour ce faire, les deux chercheurs ont mené une expérience qui consistait à tester le potentiel électoral de deux candidats imaginaires, identifiables, par leur patronyme, comme ethno-racialement différents. Ils ont proposé, à un échantillon représentatif de la société française, l’énoncé suivant :

« Voilà la description d’un candidat (UMP ou PS) à une élection. Jamais élu jusqu’à maintenant, il s’est beaucoup investi (dans les associations de son quartier ou dans son métier de médecin), (Guillaume Lachaise ou Bilal Yassine) veut être élu pour que les choses changent et qu’on écoute enfin les électeurs » (Brouard, Tiberj 2006 : 4).

Les chercheurs choisissent d’évaluer l’influence de deux variables différentes : l’étiquette partisane (UMP/PS) et le patronyme (Guillaume Lachaise/Bilal Yassine) du candidat, afin de pouvoir déterminer ce qui fait varier la propension de vote des électeurs38. Ces deux prénoms marquent implicitement l’origine ethnique des candidats. Ainsi, Bilal Yassine est identifiable comme issus de la diversité et Guillaume Lachaise comme d’ascendance française.

L’expérimentation menée veut rendre compte de deux dimensions relatives à la représentation de la diversité : d’une part, la qualité de représentation est approchée à partir de la question : « À votre avis, ce candidat peut-il comprendre vos problèmes ? », d’autre part, la

politique français, p. 167-190 et Rama Yade-Zimet (2007), Noirs de France, p. 127-130.

38 L’expérience originale prend également en considération la qualification sociale du candidat (militant associatif ou

propension des individus à voter pour les différents candidats est appréhendée par la question : « S’il était candidat dans votre localité, voteriez-vous pour lui ? ».

D’une part, pour ce qui est de la qualité de la représentation, les chercheurs commencent par seulement considérer la variable « patronyme », indifféremment de la couleur politique du candidat. À la question « À votre avis, ce candidat peut-il comprendre vos problèmes ? », 64% estiment que Guillaume Lachaise comprend leurs problèmes et 71% estiment que Bilal Yassine comprend leurs problèmes. Jusque-là, le candidat issu des minorités visibles ne semble pas sanctionné par l’électorat : « les effets d’un quelconque éloignement subjectif vis-à-vis de Bilal Yassine ne sont pas perceptibles. Il n’y a pas de manifestation particulière d’altérité associée à une candidature issue d’une minorité. Au contraire, la qualité de représentation progresse » (Brouard, Tiberj 2006 : 7).

Ils décident, ensuite, de considérer la deuxième variable — l’appartenance politique — pour déterminer comment interagissent les deux variables sur la qualité de représentation. Une nouvelle fois, la qualité de représentation de Bilal Yassine semble légèrement supérieure à celle de Guillaume Lachaise, et ce, quelle que soit la couleur politique des candidats : 70% des Français estiment que le Bilal Yassine UMP comprend leurs problèmes contre 66% pour le Guillaume Lachaise UMP. Avec l’hypothèse selon laquelle les candidats sont partisans du PS, la différence entre les deux candidats est plus importante : 73% estiment que le Bilal Yassine PS comprend leurs problèmes contre seulement 63% pour le Guillaume Lachaise PS (Brouard, Tiberj 2006 :10).

En somme, quelle que soit la configuration — sans couleur politique, les deux candidats UMP, les deux candidats PS — Bilal Yassine ne semble pas sanctionné pour ce qui est de sa

qualité de représentation. À vrai dire, sa qualité de représentation est même supérieure à celle de Guillaume Lachaise dans les trois cas de figure.

D’autre part, pour ce qui est de la propension de vote des électeurs, lorsque les candidats n’ont pas d’étiquette politique, 65% des électeurs estiment qu’ils voteraient pour Bilal Yassine contre 57% pour Guillaume Lachaise. Lorsque les deux candidats sont affiliés à l’UMP, le constat est à peu de choses près le même : 62% des Français estiment qu’ils voteraient pour Bilal Yassine contre 57% pour Guillaume Lachaise. Enfin, lorsque les candidats sont tous les deux au PS, la tendance se confirme : 68% des Français voteraient pour Bilal Yassine contre 56% pour Guillaume Lachaise. Une nouvelle fois, Bilal Yassine ne semble pas ostracisé en raison de son origine ethnique

En outre, l’appartenance politique, si elle n’a pas d’influence sur la qualité de la représentation, elle influence la propension de l’électorat à voter pour tel ou tel candidat. Lorsque le candidat est issu de l’UMP, Bilal Yassine devance Guillaume Lachaise de 5 points. Par contre, lorsque le candidat est PS, l’écart est de 12 points en faveur de Bilal Yassine. Il est à noter que l’écart entre les deux candidats, selon l’appartenance politique, ne décolle pas d’une différence de niveau initiale. Effectivement, qu’il soit UMP ou PS, Guillaume Lachaise recueille une proportion semblable des réponses en termes de compréhension et d’intention de vote.

Malgré quelques limites inhérentes à la méthode expérimentale, notamment le fait que l’expérience se déroule hors d’un contexte électoral, l’étude de Sylvain Brouard et Vincent Tiberj nous permet d’apporter deux éléments. D’une part, nous pouvons affirmer, aussi bien d’un point de vue qualitatif que quantitatif, que les électeurs ne discriminent pas le candidat issu de la diversité, et ce, qu’il soit affilié à l’UMP, au PS ou qu’il soit sans étiquette politique. D’autre

part, nous pouvons poser que, contrairement à ce qu’affirment les représentants politiques, le fait de présenter des candidats issus de la diversité ne leur fait pas perdre les élections. Bien au contraire, la représentation de la diversité semble profiter aux deux partis, bien qu’elle soit plus avantageuse pour le PS : « ainsi, pour les deux forces politiques les plus importantes du système politique français, la représentation de la diversité constitue plutôt une opportunité électorale qu’un fardeau. À l’avenir, l’absence de représentation des minorités visibles ne pourra plus que très difficilement être justifiée par la résistance de l’électorat » (Brouard, Tiberj 2006 : 22).