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La base légale requise pour le recours au droit privé

B. Le droit privé n'autorise pas une liberté absolue

IV. La base légale requise pour le recours au droit privé

Nous avons vu que la création d'une entité décentralisée est subordonnée à l'existence d'une base légale formelle. Cette exigence vise avant tout l'octroi de la personnalité juridique à cette entité et la délégation de tâches publiques, afin de garantir, d'une part, que l'existence autonome d'une nouvelle entité de droit public ait une légitimité démocratique et, d'autre part, que le principe du paral-lélisme des formes soit respecté51 . De plus, le Tribunal fédéral exige que les questions essentielles relatives à l'organisation et à l'activité de l'entité décentralisée soient également réglées dans une loi formelle52 .

En conséquence, en principe, la loi qui crée une entité décentra-lisée détermine sa structure, son fmancement, les éléments essentiels de son mode de fonctionnement, les tâches publiques confiées à cette entité ainSI que, le cas échéant, leurs modalités d'exécution, les pouvoirs et la composition des principaux organes de l'entité en cause et les moyens de surveillance53 .

En revanche, à notre avis, le droit applicable au statut du person-nel n'est en principe pas un élément essentiel devant figurer dans la loi de décentralisation, sous réserve de deux exceptions: les tâches confiées à l'entité ne peuvent être exercées que par des personnes bénéficiant d'un statut de droit public et le transfert de membres du personnel d'une autre administration dont le statut est régi par un texte légal.

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ATF 10411978 la 4401445-446, Gaba/huler.

A1F 10411978 la 4401445·446, Gaba/huleT. Voir également B. KNAPP, pré·

cité. n° 2606; U. HAFEI..JN & G. MÜLLER. Grundr;sl des allgemeinen Verwal/ungsrech/, 3' éd., Zurich 1998, nO 1033-1034: P. MOOR, vol. Ill, précité, pp. 55·56.

B. KNAPP. «L'exécution de tâches publiques fédérales par des tiers», in Schweizerisches BwuJesverwaltungsrecht - Organisationsrecht, Bâle 1996, 12·23.

L'ÉVQUJTION DANS L'ADM1I\%TRA TlON DÉCENTRALISÉE 59 En effet, cette question devrait relever de l'autonomie d'orga-nisation de l'entité décentralisée. L'élément déterminant pour la col-lectivité qui crée cette entité est qu'elle remplisse de manière efficace les tâches qui lui sont confiées. La surveillance exercée par la collectivité permet de garantir ce point. La question de savoir si le personnel qui va effectuer une mission déterminée est soumis à un statut de droit public ou privé n'est pas pertinente.

La première exception à ce principe concerne des tâches dont la nature exigerait qu'elles soient obligatoirement accomplies par des agents bénéficiant d'un statut de droit public. A notre avis, il ne devrait s'agir que de fonctions d'autorité impliquant le recours à la force publique54.

En second lieu, si l'opération de décentralisation implique le transfert de fonctionnaires bénéficiant d'un statut de droit public, prévu par une loi cantonale ou fédérale, à une entité décentralisée, pour respecter le parallélisme des formes, il est nécessaire de prévoir dans la loi de décentralisation le principe et les conditions de la reprise de ces personnes par l'entité décentralisée. Ce transfert n'implique toutefois pas un droit au maintien d'un statut de droit public, dans la mesure où la décentralisation entraîne la suppression des fonctions55.

Tout au plus, l'adoption de dispositions transitoires peut s'avérer nécessaire pour assurer une transition entre deux régimes juridiques56.

Le législateur fédéral ou cantonal a donc la faculté de prévoir le droit applicable au statut du personnel d'une administration décentra-lisée. Sous réserve des deux exceptions que nous avons mentionnées, il n'a pas l'obligation de le faire. Il s'agit donc d'un choix qui répondra à des exigences politiques plutôt qu'à des contraintes juridi-ques. Dans la mesure où le législateur fédéral ou cantonal ne prévoit pas le droit applicable au statut du personnel, il appartiendra à l'entité décentralisée de fixer ce statut dans ses prescriptions autonomes, qui ne sont généralement pas soumises au contrôle politique du parlement ou du peuple par l'intermédiaire d'un éventuel référendum.

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Voir, par exemple, en matière d'amendes pour stationnement illégal, M. GAMMA. _Die Kontrolle des ruhenden Verkehrs durch Private., AlPIPJA 1999. p. 1233.

JAAC 61/1997, n' 58, p. 524.

La loi fédérale sur l'entreprise de télécommunication a expressément prévu à son article 25 que le statut de droit public dont bénéficiaient les fonctionnaires de TElECOMIPIT deviendrait un régime de droit privé en 2001 à l'issue d'une période transitoire de 4 ans.

La tentation de «privatiser» la fonction publique résulte des diffi-cultés de gestion liées à un statut de droit public souvent trop rigide.

Même si le principe de la garantie de l'emploi n'est pas inscrit dans de nombreux statuts cantonaux ou communaux du personnel, elle résulte des difficultés pratiques importantes de licencier un fonction-naire. Ces obstacles dissuadent le plus souvent les responsables du personnel d'utiliser la fenêtre étroite du licenciement pour faute grave et créent en pratique une garantie d'emploi, avec ses corollaires légaux et administratifs.

L'administration décentralisée offre des conditions plus favora-bles pour une réfonne du statut du personnel. Dans la mesure où la l'approbation du parlement et éventuellement du peuple atténue les réactions souvent exacerbées face à une modification d'un statut de droit public existant depuis de nombreuses années.

Mais ce recours au droit privé n'est pas la panacée. Dans la mesure où l'administration décentralisée exerce des tâches publiques, elle reste liée par les principes constitutionnels régissant le droit admi-nistratif, notamment les principes de la légalité et de l'égalité de trai-tement. De plus, dans la mesure l'administration décentralisée introduirait dans ses contrats de droit privé des contraintes caractéris-tiques du droit public, il est fort probable qu'une juridiction adminis-trative, saisie d'un recours ou d'une action d'un agent public, qualifie la relation de travail de contrat de droit public en dépit d'une base légale matérielle prévoyant l'application du droit privé.

La fuite vers le droit privé n'est probablement pas la meilleure solution pour une administration qui tenterait d'assouplir les contraintes d'un statut du personnel trop rigide. Le droit public offre autant de souplesse que le droit privé tout en respectant la spécificité de l'Etat.

Il serait parfaitement concevable d'avoir un statut de droit public calqué sur un modèle de droit privé, avec notamment un régime de licenciement comme une politique salariale souples. Ce statut pourrait

L'ÉVOLUTION DANS L' ADMINlS'ffiA TION D~LISÉE 61 alors abroger le régime des sanctions disciplinaires. Une telle appro-che aboutirait à une forme de «privatisation» douce du statut de la fonction publique. Les agents bénéficieraient d'un régime contractuel de droit public mais seraient soumis quasiment aux mêmes règles que les employés du secteur privé, sous réserve de la question du contentieux.

Dans cette perspective, il est clair qu'au delà de la question d'une éventuelle «privatisation>. de la fonction publique, l'obstacle majeur à une réforme n'est pas juridique mais politique. Le droit public pour-rait être l'outil d'une réforme. Tout dépend de la volonté de l'initier puis de la mener jusqu'à son terme.

LE CONTENTIEUX

par

GABRIEL AUBERT

Professeur à l'Université de Genève

1.

INTRODUCTION

Il était une fois un gardien affecté à la surveillance nocturne d'une banque. Pendant son service, il s'endormit. Un surveillant (chargé de surveiller les surveillants), le surprit dans son sommeil. Il fut licencié sur-le-champ. Le gardien voulut contester cette décision.

A la sieste succéda le cauchemar. Le gardien saisit d'abord la juridiction des prud'hommes, qui déclara sa demande irrecevable, car il faisait partie du personnel régulier d'un établissement de droit public; or, selon la loi en vigueur à l'époque, le personnel régulier de tels établissements n'était pas justiciable deS'lribunaux du travaiP. Il saisit alors le Tribunal administratif, qui se déclara lui aussi incompé-tent, parce que les rapports de travail relevaient du droit privé. Il en fut donc réduit à se tourner vers le Tribunal de première instance, qui a la plénitude de juridiction2.

Cette brève histoire illustre les incertitudes affectant parfois le contentieux de la fonction publique, lequel n'a pas partout atteint le stade souhaitable de cohérence et de simplicité.

2

Ce critère a é~ abandonné; aujourd'hui. la loi genevoise sur la juridiction des prud'hommes exclut de la compétence de cette juridiction les contestations relatives à des rapports de travail de droit pohlic (art. 1 al. 2 lit. cLIP.

RSiGE E 3 10).

RDAF 1986. p. 388.

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II.

LES VOIES TRADITIONNELLES DU CONTENTIEUX