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PARTIE I: Le dispositif agroforestier français, Mise en contexte et présentation de

1. L’agroforesterie en tant que dispositif spatial

1.2. Des barrières économiques et techniques

Malgré la volonté affichée par les définitions de l’agroforesterie de conjuguer production économique et préservation de l’environnement, l’agroforesterie se heurte à des barrières économiques et techniques. Il s’agit notamment des coûts de plantation (Valdivia et al., 2012 ; Brodt et al., 2009), mais également des coûts d’entretien (Périchon, 2003). Des aides peuvent alors favoriser l’adoption en prenant en charge tout ou partie des coûts de plantation et d’entretien.

Mais le problème des coûts n’explique que partiellement la faible adoption de cette pratique par les agriculteurs. Sur le plan technique, les systèmes agroforestiers peuvent occasionner des gênes, que ce soit en termes d’encombrement de l’espace agricole, de concurrence vis-à-vis des cultures associées ou des craintes relatives à la propagation de ravageurs et de plantes non désirées au sein des cultures (Brodt et al., 2009). Des formations peuvent apporter des réponses pour concevoir des systèmes agroforestiers qui optimisent les complémentarités entre les arbres et les activités agricoles et minimisent les concurrences. Ces formations peuvent également intervenir sur l’évolution des représentations agricoles, de manière à relativiser les problèmes liés aux arbres. Il s’agit par exemple de mettre en exergue l’effet brise-vent pour compenser les pertes de rendement au pied des arbres ou de souligner les possibilités de protection

de tolérer faune ravageuse et flore messicole jusqu’à certains seuils. C’est pourquoi l’importance de l’accompagnement et la formation technique, ainsi que le développement de sites pilotes de démonstration est soulignée par certains travaux (Garbatch et Long, 2016 ; Faulkner et al., 2014 ; Brodt et al., 2009) et que des actions de sensibilisation s’appuyant sur ces outils sont mises en œuvre parallèlement aux programmes de soutien à la plantation et à l’entretien des systèmes agroforestiers.

Cette remarque nous amène à pointer une autre barrière qui, cette fois, est relative au manque d’information concernant l’intérêt économique de l’agroforesterie. En Europe, Liagre et al. (2005) ont mis en évidence l’intérêt des agriculteurs pour l’agroforesterie intraparcellaire. Selon cette étude, un tiers des agriculteurs seraient intéressés. Mais l’intérêt est présenté sous conditions. Il conviendrait notamment d’en savoir davantage sur les performances agronomiques des systèmes agroforestiers, d’obtenir des garanties sur les résultats économiques (niveau d’investissement, évolution de la trésorerie, prix des bois, etc.) et de pouvoir visiter des sites sur lesquels les agriculteurs pourraient constater par eux-mêmes l’intérêt de l’agroforesterie sur la qualité et la quantité des récoltes agricoles.

Ce manque d’information économique se traduit en France par un plus faible engagement des agriculteurs bien qu’ils soient favorables aux politiques de replantation (Le Vaillant et al., 2007). Au Royaume-Uni, malgré la reconnaissance des services environnementaux, les inquiétudes quant au retour sur investissement affectent les taux d’adoption de l’agroforesterie. Le manque de certitude concernant la viabilité économique de l’agroforesterie est ainsi la barrière la plus importante à franchir pour l’adoption de l’agroforesterie (Meyer, 2012). De la même façon aux USA, le fait que l’information soit limitée en agroforesterie crée une incertitude qui joue en défaveur de l’adoption de l’agroforesterie (Strong et Jacobson, 2005). Or, l’incertitude est renforcée par le caractère différé, donc peu tangible, des revenus générés par les productions sylvicoles des arbres nouvellement plantés.

D’un point de vue plus général concernant l’innovation, pour adopter une nouvelle pratique agricole, les agriculteurs doivent être au courant de l’innovation en question, connaître sa faisabilité et sa valeur, lui trouver un intérêt qui réponde aux objectifs poursuivis sur l’exploitation (Prokopy et al., 2008). L’accès à l’information concernant l’agroforesterie, ainsi qu’aux programmes d’aides et aux réseaux techniques, la

connaissance des marchés en lien avec les produits agroforestiers, font des coûts de transaction un aspect clé de la compréhension des barrières à l’adoption (Valdivia et al., 2012).

Sur le plan technique de la gestion sylvicole proprement dite, c’est-à-dire la conduite des arbres, le manque d’expérience en gestion sylvicole pose problème (Meyer, 2012 ; Valdivia et al., 2012). Lorsque les agriculteurs possèdent néanmoins une expérience en gestion sylvicole, il peut y avoir un décalage entre les préconisations de gestion des conseillers techniques et la pratique des agriculteurs. En Bretagne, les préconisations des conseillers issus du monde forestier, reposant notamment sur une évaluation visuelle des arbres, des tailles de formation et élagages pour former des billes de pied, divergent de l’expérience des agriculteurs qui traditionnellement exploitaient, et parfois exploitent toujours, les arbres sous forme d’émondes ou en cépées (Javelle, 2007). Thenail et al. (2006) évoquent ainsi les « tâtonnements » concernant la gestion des haies nouvelles dans le bocage et l’absence d’un entretien organisé.

L’organisation de l’entretien serait alors une clé de la réussite des plantations et de leur maintien dans le temps (Lamarche, 2003). L’externalisation de la gestion et des travaux sylvicoles, en raison du manque d’expérience des agriculteurs ou du peu de temps qu’ils ont à consacrer à cette activité, ainsi que la nécessité d’inscrire cette activité dans la filière bois locale, joueraient alors en faveur de l’adoption de l’agroforesterie (Ibid.). Toutefois, la nature des essences plantées et la qualité des bois produits ne s’y prête pas toujours, comme le soulignent Montembault (2007) mais également Javelle (2007), qui rapportent des propos d’agriculteurs indiquant que les essences des haies plantées récemment « ça ne vaut rien », c’est du « bourrage », de la « crasse ». Le problème de la gestion des systèmes agroforestiers au-delà de leur plantation est également souligné par Lovell et Sullivan (2006) au sujet des ripisylves. La gestion et la valorisation des peuplements sont alors présentées comme un enjeu auquel des réponses seraient à apporter.

Ainsi, les facteurs économiques et techniques posent de nombreux problèmes pour le développement de l’agroforesterie. Une délégation de la gestion et des travaux sylvicoles serait un moyen pour contourner ces problèmes. Toutefois, d’autres facteurs culturels et sociaux entravent le développement de l’agroforesterie, se traduisant par la mise en

évidence de différentes « catégories » d’agriculteurs en fonction de leur relation à l’agroforesterie.