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4.1. La naissance des Balâri

Aucun document ne mentionne une date précisant la période à laquelle sont nés les Balâri. Ce que l’on peut affirmer, c’est qu’il est le dernier groupement ethnique créé dans ce qui sera la République du Congo. Il se constitue dans la deuxième moitié du

XIXème siècle de la réunion de membres des groupements Batéké et Bakongo. Comme

l’indique la Carte n°3 qui précise la distribution géographique des langues Kongo et du

Kituba, la zone où résident les Balâri est une zone tampon entre le monde des Bakongo et celui des Batéké. On ne trouve aucune mention de l’existence de ce groupement de personnes avant l’arrivée des missionnaires de la congrégation du Saint Esprit qui décident de fonder

la première paroisse catholique à Linzolo74 en septembre 1883 sous la responsabilité de

Monseigneur Prosper Augouard75et de son collègue le Père Hyppolite Carrie76. Linzolo est

le fief des Balâri. Karl Laman,77 auteur du dictionnaire kikongo-français, ne mentionne pas

ce groupement ethnique ni dans son dictionnaire, ni dans l’enquête préliminaire faite par lui sur le terrain entre 1891 et 1919, pour recueillir les données linguistiques nécessaires à la rédaction de son dictionnaire.

Avant la colonisation et avant l’arrivée des européens en terre africaine, les groupements ethniques se créaient ou disparaissaient au gré des besoins et des problèmes posés dans les régions. Ce système était souple et évolutif. Il se fige, en Afrique, et plus

74 Linzolo est une ville située à 20 km au sud de Brazzaville sur le plateau des cataractes. Elle est le siège dela plus ancienne mission catholique créée en République du Congo.

75 Mgr Prosper Philippe Augouard (Poitiers 1852-Paris 1921) est le second évêque responsable du Congo français et de l'Oubangui.

76 Père Hyppolite Carrie (1842-1904), fondateur et premier vicaire du vicariat apostolique de loango, en mai 1886 au Congo. Il reste 33 ans au Congo. La mission de Loango sedispute le titrede plus ancienne mission du Congo, avec celle de Linzolo. L'ancienne "préfecture apostolique du Congo", abandonnée par les Capucins depuis 1836, fut confiée à compter de 1865 à la Congrégation du Saint Esprit. Le révérend Père Carrie fonda une résidence à Loango le 25 août 1883. Sa résidence officielle était alors à la mission Saint-Jacques de Landana (au Cabinda, anciennement Cacongo) depuis 1873.

Les découpages politiques des vastes royaumes Kongo entre la Belgique, le Portugal et la France conditionnèrent les structures religieuses. Le Vicariat apostolique du Congo français fut ainsi fondé en 1886, dans le sillage de la Conférence de Berlin.

Devant l'étendue du territoire, il fut divisé en deux en 1890 : le vicariat du Bas-Congo français fut confié à Mgr Carrie, celui du Haut-Congo français à Mgr Augouard.

En 1907, il devient Vicariat de Loango (couvrant le Kouilou, toute la vallée du Niari, et une partie du Pool jusqu'en 1911). Enfin, la ville historique du Kouilou ayant perdu de son influence, il devient Vicariat de Pointe-Noire en 1949. Ces informations proviennent du site internet http://voyage-congo.over-blog.com/article-35754333.html

77 Karl Edward Laman (1867-1944) est un missinnaire protestant de l’église Covenant de Suède, fondée en 1878. Ethnographe et linguiste, il est resté au Congo entre 1891 et 1919.

particulièrement dans la région du fleuve Congo, avec l’arrivée des Portugais, la traite négrière et la colonisation française.

Les Balâri s’installent sur un territoire qui devient, au XIXème siècle,

l’enjeu de luttes de pouvoir entre la France et la Belgique comme nous l’avons souligné dans les paragraphes précédents. C’est à cet endroit que le fleuve Congo cesse d’être navigable. Il faut obligatoirement poursuivre son chemin par voie terrestre. Les marchands sont obligés d’avoir des relais pour poursuivre leurs activités commerciales vers l’atlantique et changer de mode de transport. Ils doivent impérativement marquer l’endroit leur présence, s’ils veulent faire des bénéfices commerciaux et surveiller les concurrents.

Les Batéké, propriétaires du territoire, sont une population bantoue de

grands guerriers. Ils sont installés dans ce qui sera la République du Congo depuis le XIIème

siècle. Le territoire de ce royaume est vaste. Il s’étend de l'ouest de la République démocratique du Congo au sud de la République du Congo et occupe également le sud-est du Gabon. Les souverains Batéké, connus sous le titre de « Makoko » sont élus par un collège de dignitaire. Le roi est choisi parmi les six branches royales du groupement ethnique Batéké. La fonction ne peut être refusée par la personne choisie par le collège de dignitaires. Cette pratique est toujours en vigueur aujourd’hui. Les six branches qui composent l’arbre

royal se prénomment : Empo, Essou, Ondzala, Impan, Inkoui et Onkossan.

Le territoire Batéké est subdivisé en chefferies autonomes. La capitale du pays change avec chaque élection de souverains. L’ancienne capitale devient alors un endroit sacré par la présence d’un tombeau royal. Les Batéké voient arriver les migrants Bakongo avec curiosité et ne manifeste aucune animosité face à leur installation.

Un regroupement s’effectue d’une part entre les groupements ethniques Bakongo et Basûndi qui ont une culture kongo et une langue à base kikongo, respectivement, le kisundi, et le kikongo, et d’autre part entre les groupes ethniques Bawuumu et Bafuumu qui sont d’origine Batéké et parlent des langues à base Téké. C’est le mixage d’une partie de ces populations qui est le fondement du groupement ethnique lâri.

L’installation de cette population à lieu autour de Linzolo pour des raisons pratiques. Tous les protagonistes qui partagent cette création habitent déjà dans la région ou à la périphérie de celle-ci. Ils se fixent donc sur un territoire de proximité qu’ils connaissent bien et qui leur est familier. C’est un endroit tranquille, à la campagne avec des terres fertiles qui permettent l’autarcie alimentaire, et stratégique, par la présence du fleuve

Congo à une distance peu éloignée et du Mpumbu si important pour le commerce de la région. L’endroit est idéal pour créer une nouvelle société, capable de se développer et de s’étendre.

4.2. La fondation de la paroisse de Saint Joseph de Linzolo, une sortie de l’anonymat pour les Balâri

« Les premiers contacts des populations de la région de Linzolo avec les missionnaires spiritains datent du deuxième passage de Pierre Savorgnan de Brazza à

Landana, en 1882 »78. Comme nous le précisons ultérieurement, la paroisse de Linzolo est

fondée au début du troisième trimestre de 1883 par le futur Monseigneur Augouard et le Père Hyppolite Carrie.

Photographie n°5, Mission catholique de Brazzaville, La première case des Pères spiritains à Linzolo en 1907, source BnF Gallica images.

Le développement continu de cette mission durant de nombreuses années, met en lumière l’existence des balâri et concoure à la connaissance de leurs coutumes et de leur langue. La situation géographique de la paroisse, proche de la future capitale Brazzaville, fait de cet endroit un lieu privilégié pour ceux qui voudront se rendre à la capitale.

Le 22 janvier 1884, un contrat qui acte la création de la paroisse par l’acquisition d’un vaste terrain, est signé officiellement avec les chefs locaux par les représentants spiritains. Les premières recrues éduquées avec les principes chrétiens sont des enfants, filles et garçons, anciens esclaves que l’église a rachetés.

En 1890, deux villages chrétiens ont été créés aux abords de Linzolo, Saint Paul et Saint Isidore. C’est là que viennent s’installer les enfants qui ont fini leur instruction. Beaucoup des habitants travaillent pour la mission qui ne cesse de croître. Les premiers enfants instruits à la mission sont des esclaves rachetés de divers groupes ethniques et qui possèdent donc diverses origines linguistiques et géographiques. La langue qui unifie tout le monde est le français.

La création de cette paroisse permet aux enfants, garçons et filles de recevoir de l’instruction et d’apprendre le français. En 1901 on constate que deux villages chrétiens de plus ont été créés Sainte Anne et Saint Antoine. La mission prend de l’importance grâce à l’arrivée du Père Alphonse Doppler en 1902. Il est le fondateur des tournées apostoliques. Cette nouvelle façon d’évangéliser les autochtones, en se rendant chez eux, rencontre un vif succès et permet un accroissement considérable de la population de la paroisse.

En 1912, la paroisse est rattachée au vicariat de Brazzaville. Le Père Côme Jaffré arrive à Linzolo en 1911 et consacre une bonne partie de son temps à l’étude de la langue des Balâri qu’il parle couramment. Il dirige la mission de 1914 à 1923. Il est le principal artisan de la sortie de l’anonymat du lâri par ses travaux linguistiques, il donne le goût, à certain de ses successeurs, de s’intéresser à l’étude de cette langue et de poursuivre et développer son œuvre linguistique et sociologique.

En 1923, le Père Kranitz lui succède à la tête de la mission. Il est aidé du Père Vincent Pourchasse. En 1926, arrive le Père Gaston Schaub qui poursuit avec passion l’œuvre linguistique de ses prédécesseurs jusqu’à son décès, à Brazzaville, en 1990.

En 1934, la mission a cinquante ans, voici le bilan qu’en tire Monseigneur Firmin Guichard, successeur de Monseigneur Augouard :

« Les résultats obtenus sont consolants, puisque, depuis sa fondation, Linzolo a enregistré 15437 baptêmes. Actuellement, elle compte 8500 chrétiens vivants, 800 familles chrétiennes et plus de 200 élèves dans ses écoles. Dans les environs, l’Evangile est annoncé à 1500 catéchumènes par 55

catéchistes et ils sont rares les vieux païens qui ne demandent pas le baptême au moment de la mort ».79

De 1921 à la veille de l’indépendance, la mission doit faire face, comme

toutes les autres instances du pays à la crise provoquée par le ngounzisme80 et le

matsouanisme81. Cette crise politique, qui va modifier pour toujours le visage du Congo et

79 Ernoult, Jean, ibidem p.73.

80 Mouvement religieux initié par Simon Kibangou originaire de R.D.C.

81 Mouvement laïque initié par Matsua André Grenard fondateur de l’Association Amicale des Originaires de l’A.E.F.

la place du groupement ethnique lâri dans l’histoire de celui-ci, est expliquée au paragraphe 5.1. de cet ouvrage. Mais comme le fait remarquer la Père Gaston Schaub en 1938 :

« J’ai peur que vos lecteurs, entendant parler de cette agitation congolaise, s’imaginent que notre travail d’évangélisation est détruit ou entamé. Croire cela serait une grave erreur. Les palabres politiques ne nous empêchent pas de poursuivre notre œuvre et d’y apporter des progrès. […] Quant aux trublions, meneurs, orateurs quêteurs, prometteurs de miracles et faiseurs de prophéties, nous les laissons à leurs aventures : l’aventure finit toujours par s’épuiser d’elle-même et, après-tout, il faut bien que nos

chrétientés aient, comme la sainte Eglise l’a éprouvé plus d’une fois, leur crise de croissance. »82

Linzolo possède un avantage certain, une seule langue autochtone y est parlée le lâri. Tous les congolais qui arrivent dans la région, quelle que soit leur provenance doivent l’apprendre. Six stations pratiquent cette langue Kibuende, Kindamba, Mindouli, Voka, Linzolo et la moitié sud de Brazzaville.

En 1964, le catéchiste Victor Malanda, originaire d’un village proche de Linzolo, est l’initiateur du mouvement de la Croix Koma pour lutter contre les pratiques de la sorcellerie. D'inspiration chrétienne, celui-ci proscrit l'adultère, la transe, la sorcellerie et les fétiches. Bien que s'appuyant largement sur les cultures et traditions locales, il se donne comme objectif de convertir les “Sorciers“ en “Chrétiens“. D’où la place centrale de la croix dans les rites de désensorcellement et de guérison qu’il organise. Son audience et son succès sont important. Mais son mouvement s’essouffle et fini par disparaître.

En 1986, le clergé spiritain laisse place au clergé diocésain. En 1988 est créé le diocèse de Kinkala.

La mise en service de la mission de Linzolo permet de faire sortir de l’anonymat un groupement ethnique, les balâri et une langue qui unifie tout un territoire, le lâri. Grâce au travail de ces religieux, le catéchisme est traduit dans la langue locale, une grammaire et des lexiques sont créés et permettent à plusieurs générations de prêtres de travailler à l’évangélisation des autochtones dans leur langue maternelle. Ces travaux, qui nous sont parvenus partiellement ou dans leur totalité, permettent de créer une base de travail solide pour proposer une étude linguistique portant sur le vocabulaire et son utilisation. La création de la paroisse de Saint Joseph de Linzolo devient un tremplin du groupement lâri, pour conquérir le monde culturellement et linguistiquement.

4.3. La fondation de Brazzaville, l’ouverture d’un monde nouveau pour les Balâri

La fondation de Brazzaville par Pierre Savorgnan de Brazza joue un rôle fondamental dans l’histoire des Balâri et oriente leur histoire de façon durable. Par le traité de protectorat signé avec le Makoko Iloo, roi des Batéké, en 1880, l’explorateur français, au nom de la France, obtient des terres près de la rivière Mfoa, qu’il destine au développement commercial de son pays d’adoption la France.

Ces terres sont à un point de rencontre stratégique économiquement, entre les « gens du fleuve » et ceux qui vont vers l’Océan par la voie terrestre. Elles sont proches du fleuve Congo et de l’endroit où il ne devient plus navigable, obligeant les commerçants à changer de moyen de transport. A cet endroit, ils doivent obligatoirement quitter les voies maritimes pour emprunter les voix terrestres qui permettent de continuer le commerce vers l’océan Atlantique et Pointe Noire. Ce territoire est donc depuis toujours un lieu d’échange et de transit de tous les commerçants de la région et de tous les voyageurs qu’elle que soit leur provenance. Pierre Savorgnan de Brazza a donc obtenu au nom de la France un lieu hautement stratégique.

Ces terres sont administrées dans les premières années par un seul

homme, le Sergent Malamine Camara83.et ses aides de camp.

Brazzaville naît officiellement en 1884. La ville telle que nous, européens la concevons et la connaissons est une structure inconnue dans cette partie de l’Afrique à la

fin du XIXème siècle. La création de Brazzaville bouleverse les habitudes des habitants du

pays. Les deux premiers quartiers créés et peuplés d’habitants Africains sont Poto-poto et

Bacongo. Ces terres ne sont qu’a trente kilomètres de Linzolo, le fief des balâri. « Dans la

langue lâri, les régions de Mfoa et de Mpila étaient connues sous le nom de Mavula, qui se

83 Le Sergent Malamine Camara est un sergent de l’armée coloniale d’origine sénégalaise recruté dans les années 1870. C’est un homme clé de l’expension de la colonisation dans le bassin du Congo et dans l’histoire de Brazzaville. Dans la ville de Dakar, en janvier 1880, il se porte volontaire pour participer à une expédition menée par l'explorateur franco-italien Pierre Savorgnan de Brazza pour mener à bien une exploration de la côte du Gabon au fleuve Congo. En octobre 1880, il est chargé par l’explorateur de fonder une antenne à Mfoa, qui est le site de l'actuelle Brazzaville sur la rive droite du fleuve Congo.Il reste là dix-huit mois durant, avec trois hommes, sans renforts supplémentaires en hommes et en nourriture de la part des français. Il en profite pour nouer de bonnes relations de voisinage avec les chefs et la population Batéké. En mai 1882, il est rappelé au Gabon. Avant de quitter les lieux, le sergent visite tous les chefs Batéké locaux et leur soutient que son absence n’est que temporaire et qu’il va revenir dans un avenir proche. Il les exhorte à rester fidèles à la France lors de son absence. A son retour avec Pierre Savorgnan de Brazza c’est une foule acquise à sa cause qu’il trouve. Avant de partir pour la côte, en 1884, Brazza laisse Chavannes en charge du nouvel avant-poste permanent Brazzaville; Malamine sert comme aide-de-camp de Chavannes et contribue à l'approvisionnement du poste en vivres. Le 1er février 1885, lors d'une cérémonie à Brazzaville, Malamine Camara a reçoit la Médaille militaire. Il rentre chez lui en 1885 et décède de maladie, à l’hopital de l’île de Gorée, en janvier 1886.

traduit par (l'endroit pour devenir riche). Cependant cette acception, Mavula, est anachronique : en 1880 le site de Brazzaville était de peuplement Batéké. Les premiers témoins s'accordent sur le nom de Nkuna pour désigner la rive nord du fleuve où s'élèvera la future capitale ».84

Le quartier de Poto-poto est multi-ethnique. Il est peuplé d’habitants provenant de différentes régions du Congo et d’autres pays africains. Les gens viennent là principalement pour trouver du travail et s’enrichir rapidement.

Le quartier de Bacongo est lui beaucoup plus homogène dans son peuplement avec une population plus stable. Comme son nom l’indique, il est principalement peuplé de gens d’origine Kongo parlant une langue à base kikongo. Ces gens viennent des campagnes alentours. Ils viennent en ville pour trouver du travail, pour suivre un parent, ou pour aller à l’école. Ils gardent un point d’attache à la campagne et y retournent la semaine de travail terminée. Leur alimentation provient principalement de leur famille à la campagne. Souvent lorsqu’ils vieillissent, ils retournent à la campagne, dans leur famille.

Le quartier blanc est peuplé d’expatriés qui ne se mélangent pas avec les populations des quartiers africains. Le nombre d’habitants croit rapidement et de façon anarchique au départ. Tous les quartiers construit par la suite jusqu’à l’indépendance sont des extensions des trois quartiers d’origine. Il se dessine dans la ville une séparation entre le nord de la ville cosmopolite, peuplé de gens venant du nord du pays et d’horizons variés et le sud de la ville composé au sud-ouest de populations Bakongo et au sud-est de populations blanches expatriées. Cette répartition géographique à son importance pour la suite de l’histoire de la République du Congo.

Les Balâri sont parmi les premiers autochtones à s’installer en ville dans le quartier de Bacongo. Leur motivation est quadruple, s’élever socialement et avoir la possibilité d’acquérir des moyens pour construire une maison en ville ou dans leur village d’origine, acquérir de l’instruction, fuir une famille parfois envahissante qui impose de lourdes contraintes coutumières et fuir le travail des champs à la campagne. Cette nouvelle organisation qu’est la ville semble offrir de nouvelles opportunités sociales et économiques.

5 Les vecteurs de l’expansion linguistique des Balâri au