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CHAPITRE 1 : ETAT DE L’ART

1.3 L ES LIPIDES NUCLEOTIDES ( OU NUCLEOLIPIDES )

1.3.3. b) Calorimétrie à titration isotherme (ITC)

En alternative à ces nombreuses techniques complémentaires permettant de mesurer de manière quantitative une interaction de manière imparfaite, une technique particulièrement performante présente suffisamment d’avantages aux différents inconvénients listés précédemment pour susciter un intérêt dans la mesure d’interactions faibles impliquées dans ce type de systèmes. Il s‘agit de la calorimétrie à titration isotherme, appelée ITC (en anglais, « Isothermal Titration Calorimetry »). Le principe de fonctionnement de l’appareil et les détails liés à la détection et au traitement du signal seront développés

dans le chapitre suivant. L’ITC est une méthode puissante de caractérisation capable de mesurer avec précision la chaleur libérée ou absorbée par l’interaction entre deux espèces. Dans un premier temps, une simple lecture de cette chaleur permet d’estimer l’intensité de l’interaction. Dans un second temps, le traitement du signal à l’aide d’un modèle adapté permet de déterminer davantage d’informations concernant l’interaction, notamment les constantes thermodynamiques, comme les constantes d’association (ou de dissociation), l’enthalpie de mélange et la stœchiométrie de l’interaction.

L’avantage notable de cette méthode est qu’elle est extrêmement sensible, et donc capable de détecter des variations de chaleur de l’ordre du centième de la µcal/mol. Parmi l’ensemble des constantes tirées de l’interprétation des données, il est également possible de déduire beaucoup plus d’informations que grâce aux techniques traditionnelles, notamment le mode d’interaction selon lequel les deux espèces chimiques se présentent l’une à l’autre. Les quelques difficultés techniques viennent du fait que cette technique souffre des inconvénients de ses avantages. En effet, la très grande sensibilité de cet appareillage implique que la mesure puisse être perturbée en cas d’écart trop important de la température extérieure, ou bien en cas de la présence d’une impureté ou d’une bulle d’air résiduelle, ou encore d’une instabilité électrique. Quant aux avantages de l’ITC par rapport aux autres techniques, il est important de citer que c’est une méthode permettant de rendre possible la mesure directe de l’interaction en volume. On conserve ainsi la mobilité et la dynamique liée à la phase liquide, plutôt que de figer les molécules ou les objets supramoléculaires sur un substrat solide. L’interaction mise en évidence et mesurée est donc une interaction effective. Il n’y a pas de limitation liée au poids moléculaire des espèces chimiques en présence. De plus, l’intérêt particulier de cette technique vis-à-vis des systèmes biologiques vient du fait que les échantillons sur lesquels la mesure est réalisée peuvent contenir des espèces sous leur forme native. Il n’y a donc aucun besoin de modifier le système afin de le préparer à la caractérisation, ce qui est particulièrement pertinent pour l’utilisation de macromolécules biologiques possédant une structure complexe. Enfin, cette technique est « non destructive » et elle permet donc de récupérer le système après l’expérience, afin de poursuivre des études ultérieures sur le même échantillon.

L’ITC est donc une technique de choix pour les systèmes biologiques, ce qui justifie son utilisation majoritaire dans le domaine de la pharmacologie et de la biochimie. Il s’agit, en effet, d’une méthode de pointe pour la caractérisation de complexes hautement spécifiques du type enzyme/substrat ou pour évaluer l’affinité de différentes molécules ligand pour un récepteur donné pouvant être, typiquement, une macromolécule. Le fait que cette technique permette la détection d’une simple chaleur d’interaction la rend toute indiquée pour des systèmes aussi complexes que des protéines ou des macromolécules. L’interaction mise en jeu par de tels systèmes pourrait être étudiée grâce à une technique d’analyse chimique puissante, telle que la RMN, mais présenterait l’inconvénient majeur d’être relativement fastidieuse à interpréter.

La calorimétrie à titration isotherme permet une mesure d’interactions faibles, mais en général non spécifiques, notamment lorsqu’il s’agit de complexes entre petites molécules. En effet, les espèces chargées s’associant notamment en raison de l’interaction

électrostatique, la chaleur impliquée dans ce processus est plus intense devant celle impliquée dans des interactions faibles plus spécifiques telles que l’interaction hydrogène. Turnbull et Daranas ont montré qu’il était possible d’utiliser l’ITC pour étudier des interactions faibles, voire même de très faible intensité 53.

Parmi le spectre très large d’interactions faibles pouvant être étudiées par la technique d’ITC, on peut mesurer les interactions entre des espèces aussi variées que des protéines, des ligands, des lipides, des acides nucléiques, des nanoparticules, des peptides, des polymères, ou encore des complexes anticorps/antigène. En outre, sur l’ensemble de ces systèmes, la technique d’ITC ne permet pas simplement de mesurer une interaction mais elle peut également, au choix, mesurer l’activité biologique d’une cible, procéder à des études structurales de systèmes macromoléculaires ou supramoléculaires complexes, confirmer les bons candidats en termes d’interaction avec un récepteur à la suite d’un screening, renseigner sur la thermodynamique de phénomènes physico-chimiques ayant lieu au sein de la cellule de mesure, caractériser divers types de mécanismes d’action, mais également permettre une étude cinétique de différents phénomènes 54.

L’interaction de petites molécules avec un acide nucléique est un sujet récurrent dans la littérature. Buurma et Haq décrivent l’étude par ITC de ce type d’interaction en proposant une approche permettant de construire un modèle « sur mesure » pour une interaction complexe impliquant plusieurs équilibres, chaque équilibre aboutissant à la formation de différents complexes de stœchiométries différentes 55. Concernant les dérivés d’acide nucléique de manière générale, quelques études par ITC ont déjà été menées à ce sujet. Varghese et al. ont notamment mesuré la force de l’interaction de différentes bases azotées et nucléosides avec du graphène. Puisque ce type d’interaction est essentiellement gouvernée par l’interaction aromatique, indirectement, ceci a permis de classer chaque motif par ordre décroissant d’aromaticité, soit G > A > C ~ T 56.

Par ailleurs, on peut trouver des références décrivant l’interaction de lipides cationiques avec un acide nucléique. Ces études sont généralement réalisées dans un objectif général de vectorisation. De manière générale, il a été montré que la complexation de lipides cationiques et d’acide nucléique était relativement faible, même en vertu de la charge positive portée par le lipide, et engendrait une faible signature enthalpique endothermique. Les auteurs ont donc écrit le processus comme étant globalement gouverné par l’entropie, en raison des réarrangements importants des molécules d’eau, et de la forte cohésion des lipides entre eux grâce à l’effet hydrophobe 5758596061626364.

L’interaction entre acides nucléiques a toujours été une problématique forte depuis la structure hypothétique proposée par Watson et Crick en 1953. L’ITC est une technique adéquate pour pouvoir, non seulement, estimer la force des interactions entre motifs nucléotide suivant le type de base en présence, mais également l’interaction entre un acide nucléique ligand et n’importe quel type de macromolécule réceptrice de type protéine. L’intérêt biologique immédiat de ce type de mesure, en plus de l’aspect fondamental, est d’estimer l’affinité, voire la spécificité, d’un récepteur macromoléculaire pour un tel ligand en vue d’une potentielle activité biologique recherchée. Il est même envisageable, grâce au

système de régulation en température, de mesurer la chaleur échangée lors de la dénaturation d’une telle espèce macromoléculaire, et donc de pouvoir remonter aux propriétés thermodynamiques et morphologiques de la structure secondaire d’un acide nucléique 65.

L’ITC est donc une technique de choix pour permettre d’obtenir différents niveaux d’informations, essentiellement d’origine thermodynamique, tels que la mesure des constantes thermodynamiques, la mise en évidence des interactions faibles spécifiques (interaction hydrogène), la mise en évidence des phénomènes d’origine entropique (réarrangement conformationnel, interactions hydrophobes), mais également d’origine cinétique. De plus, cette technique se montre parfaitement adaptée pour étudier non seulement la force d’interactions faibles et spécifiques, de type acide nucléique-acide nucléique, mais également le mode d’interaction associé à la structure et à l’orientation des molécules interagissant, par exemple dans le cas d’une interaction entre un auto-assemblage et un acide nucléique, dans l’objectif de caractériser la composante liée à chaque type d’interaction en présence.

1.3.3.c) Etude de l’interaction entre nucléolipides anioniques et acides nucléiques