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Plus le bénéficiaire est engagé dans l’épicerie, plus il va s’approprier cette structure et son

PARTIE 3. DISCUSSIONS

1. Plus le bénéficiaire est engagé dans l’épicerie, plus il va s’approprier cette structure et son

L’épicerie sociale et solidaire qui fait l’objet de notre étude s’attache à la mise à disposition d’un mode d’approvisionnement aux personnes en situation d’insécurité alimentaire « pour raisons financières » (Boquier et al., 2015) moins stigmatisant que les dispositifs d’aide alimentaire en mobilisant une forme de solidarité basée sur l’entraide (Artis et al., 2014).

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L’intérêt d’X c’est de proposer un espace de course quasi classique qui permet à chacun de s’approprier plus facilement sa consommation. Du fait que ça soit plus petit, que le choix des produits soit pas le même, qu’il y ait une tarification solidaire, même si la tarification solidaire elle est pas forcément moins cher sur tout parfois, ça fait plaisir de voir que des gens accordent de l’attention à nos revenus, qu’en tant de précaires ya des espaces pour nous pour faire nos courses, pas réservé aux plus riches. (PP)

Nous allons maintenant nous interroger sur l’impact des modalités de ce mode d’approvisionnement sur les comportements d’achat des bénéficiaires et sur leur engagement dans l’association X.

L’étude approfondie du score de fidélité a montré à l’inverse de l’engagement que la construction de la fidélité à X se caractérisait par l’accroissement de ses achats à X. Ainsi H1 serait validé sous la forme suivante :

Plus le bénéficiaire est fidèle à une structure, plus il va effectuer ses achats dans cette structure.

1.1. La fidélité à une structure et à son mode d’approvisionnement

Ce mémoire considère la fidélité à l’épicerie au regard de l’achat de produits responsables, fruits et légumes inclus. Puisque 64% des adhérents auraient vu leur consommation de produits responsables augmenter depuis X65, une autre hypothèse a été

formulée au cours de la présentation des résultats :

Plus le bénéficiaire est fidèle à l’épicerie, plus il adopte un comportement d’achat responsable à l’épicerie.

Logiquement, ce lien supposerait qu’un habitué d’un lieu testerait tous les produits de l’offre disponible, ce qui pourrait se traduire à terme par la consommation de produits responsables. Les résultats de l’étude ont révélé l’influence de la fidélité sur le comportement d’achat dans la structure sans pour autant qu’ils s’orientent nécessairement vers une consommation plus durable.

92 1.1.1. Un espace de choix attrayant pour les bénéficiaires

Ce travail a montré que la fidélité à X dépendait principalement d’un critère pratique – la proximité du lieu d’achat – mais également de l’attractivité de son offre. En effet, les ménages les plus modestes sont généralement limités par des contraintes de mobilité et privilégient les commerces de proximité dont l’offre disponible peut être restreinte (Barrey et

al., 2012). Dans le cas de X, les adhérents fidèles à X paraissent au contraire satisfaits de

l’offre dans son ensemble qui est complète et globalement moins chère, à tel point que des gens en dehors du quartier sont fidèles à l’épicerie.

L’attrait pour X s’explique en partie par l’élargissement de l’espace de choix des consommateurs (Dubuisson-Quellier, 2008) grâce au mode d’approvisionnement adopté par X dont l’intérêt est de mettre à disposition « un seul endroit pour faire tes courses où ya tout

ça. C’est que ça soit tout concentré, t’as du bio et du local à un même endroit voilà » (PP) et

à des prix concurrençant les grandes surfaces.

Par ailleurs, certains bénéficiaires sont fidèles seulement envers certains produits de l’épicerie. Beaucoup se rendent à X pour les produits de ramasse mais également pour les produits responsables, notamment pour les fruits et légumes. Ce constat met en évidence la préférence de certains bénéficiaires de ce type de structures plutôt que des systèmes d’approvisionnement alternatifs qui leur semblent moins accessibles (Mundler, 2013).

L’épicerie propose donc un nouvel espace de choix créé pour dépasser les contraintes socioéconomiques traditionnelles des ménages défavorisés et améliorer leur marge de manœuvre en termes de choix alimentaires. Les bénéficiaires sont alors capables de moduler leur comportement d’achat : ils ont le choix soit de mettre un point d’orgue à leurs préférences alimentaires grâce à des produits moins chers, soit de bousculer leurs habitudes face à l’élargissement de leur espace de choix.

1.1.2. La fidélité, facteur de diversification des achats alimentaires

L’épicerie favorise la transformation des comportements d’achat à travers son projet social. En instaurant un cadre convivial au magasin, l’épicerie construit une relation de confiance avec ses adhérents qui seront alors plus aptes au changement en vertu d’un principe

93 de réciprocité qui s’installe (Anzalone, Barraud-Didier et Henninger, 2012 ; Servet, 2013). La confiance à l’épicerie est renforcée par l’accompagnement informel rendu par l’équipe de salariés et de bénévoles qui favorise le dialogue et l’écoute. En effet, certains bénéficiaires qui n’avaient jamais envisagé de consommer biologique ou local ont suivi les conseils des salariés ou bénévoles ou ont participé à des ateliers qui leur ont permis de découvrir des produits du magasin, notamment les fruits et légumes (Birlouez, 2009b). La diversification est néanmoins favorisée principalement par les prix plus accessibles qui permettent de substituer le critère de la qualité au critère du prix dans l’ordre de priorité des bénéficiaires (Dubuisson- Quellier, 2008).

L’épicerie constitue donc un lieu propice aux changements en direction d’une alimentation plus équilibrée des bénéficiaires pour qui l’accès est généralement limité (Hébel et Tavoularis, 2017). Cette transition ne s’arrime néanmoins que très relativement à une consommation plus durable. Ce constat est d’autant plus frappant chez les autres bénéficiaires engagés dans l’épicerie pour qui la consommation de produits responsables est instable. L’étude a mis en évidence la difficulté de mener simultanément les deux objectifs d’un accès à l’alimentation des personnes en précarité alimentaire intermédiaire et la mobilisation d’un comportement plus responsable (Darot et Noel, 2016).

1.2. Un projet axé sur le lien social par l’alimentation

Ce travail a montré que l’engagement à l’épicerie se détachait de l’acte d’achat. Pourtant, cet engagement se fonde sur la même relation de confiance à l’origine de la fidélité, potentielle source de changement. L’engagement est en effet dirigé vers un autre objectif que la durabilité de la consommation : la promotion du lien social à travers la consommation alimentaire (Darot et Noel, 2016).

1.2.1. Un engagement au service du lien social

Les résultats de l’étude rendent compte de la représentation particulière de l’engagement que portent les bénéficiaires de l’épicerie qui n’a qu’un impact relatif sur leur comportement d’achat à l’épicerie. Cet engagement n’est pas associé aux enjeux

94 socioéconomiques de l’association comme ce travail l’avait supposé mais principalement aux enjeux sociaux et notamment à l’objectif de promotion du lien social. En effet, l’enquête a permis de démontrer que les enquêtés dont l’engagement présentait un score supérieur ou égal à 1, la fidélité mise à part, étaient motivés par l’envie d’aider et de régler les problèmes d’organisation en vertu d’un principe de solidarité mutuelle.

Cet engagement se fonde en effet sur la construction d’une confiance interpersonnelle entre la structure et les bénéficiaires qui est facilitée par la « confiance affective » envers l’équipe et les adhérents (Anzalone, Barraud-Didier et Henninger, 2012). Cette forme de confiance renforce les liens et mène progressivement à l’engagement. Au contraire, les bénéficiaires qui basent leur relation à la structure sur une « confiance cognitive » vont plutôt chercher à satisfaire leur intérêt personnel (Ibid.) ; leur relation est donc plus instable mais peut se transformer en fidélité si la confiance se dirige vers certains types de produits.

La confiance pourrait également être source de transformation des comportements d’achat vers une consommation plus durable à travers le lien social mais l’association ne cherche pas à transmettre les bonnes pratiques nécessaires en la matière et se contente de l’inclure dans l’offre disponible. Seuls les fruits et légumes sont privilégiés par leur proximité à la caisse et donc aux salariés. Ce fonctionnement donne lieu à des comportements d’achat responsable volatiles.

1.2.2. Un comportement d’achat responsable à la carte

La consommation responsable dans un lieu d’achat ne signifie pas l’abandon des autres comportements d’achat ailleurs et inversement. L’enquête a donné lieu à une nouvelle hypothèse :

Quand les achats alimentaires sont minoritairement effectués à l’épicerie, la part de produits responsables est plus grande.

Ce lien suppose qu’une des caractéristiques reconnues de l’épicerie est son offre de produits responsables, dont elle fait la promotion, parce qu’elle sélectionne des produits attractifs ou encore parce qu’elle multiplie les actions de sensibilisation menées à l’épicerie. Ainsi, le bénéficiaire va privilégier ce type d’achats à X mais les autres circuits continuent à être utilisés pour des achats moins responsables.

95 L’inverse a également été envisagé au cours de l’étude :

Quand les achats alimentaires sont majoritairement effectués à l’épicerie, la part de produits responsables diminue.

Cela suppose que le bénéficiaire diversifie son approvisionnement. Ce cas a été repéré parmi les bénéficiaires fidèles mais ne les concerne pas tous.

L’enquête met donc en lumière des quantités variables de produits responsables au cours de l’année 2016 pour chaque bénéficiaire. La volatilité d’un comportement d’achat responsable à X peut d’abord s’expliquer par l’offre qui est fluctuante chez X car les produits de ramasse et les fruits et légumes dépendent des collectes et des saisons. Elle peut ensuite provenir de l’absence d’actions relative à l’objectif de promotions des produits biologiques et locaux en direction des bénéficiaires qui ne disposent alors pas des ressources socioéconomiques suffisantes pour les découvrir de lui-même (Dubuisson, Gojard et Veron, 2016).

Une telle volatilité des comportements d’achat s’explique par d’autres facteurs que l’engagement qui constituent de solides résistances aux transformations des comportements de consommation alimentaire chez les bénéficiaires.

2. La résistance des déterminants socioéconomiques des comportements d’achat