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Les cinq axes de la personnalité et les variables de sortie utilisées chez les Téléostéens

III.1. Les variations comportementales individuellement stables

III.1.3. Les cinq axes de la personnalité et les variables de sortie utilisées chez les Téléostéens

Des synthèses récentes sur la personnalité animale (Gosling, 2001 ; Réale et al, 2007)

ont souligné un manque de standardisation des méthodes utilisées pour quantifier les axes

comportementaux. De nombreuses mesures sont utilisées pour décrire un seul axe de

personnalité ou la même mesure est utilisée pour quantifier différents traits de la personnalité

(Conrad et al., 2011). De nouveau, ce manque d’homogénéité dans la littérature nécessite une

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synthèse des tests utilisés afin de les associer au bon axe de la personnalité. Nous allons donc

décrire les cinq axes de la personnalité : l’audace, l’exploration, l’activité, l’agressivité et la

sociabilité, et les illustrer à l’aide de tests couramment utilisés chez les Téléostéens.

a) L’audace

L’audace est l’un des deux axes les plus étudiés avec l’exploration. Il est une mesure

de la réaction d’un individu face à une situation perçue comme dangereuse, comme la

présence de prédateurs, par exemple (Réale et al., 2007). Il a été constaté que les variables

utilisées pour évaluer l’audace (Tableau 3) sont également utilisées pour évaluer d’autres

traits de personnalité (l’exploration, l’agressivité et l’activité). Par conséquent, Toms et al.

(2010) considèrent la mesure de réaction à la nouveauté comme le meilleur outil pour

caractériser l’audace. L’axe classiquement appelé « audace-timidité » (« boldness-shyness »)

a été référencé chez de nombreuses espèces, dont les Téléostéens (Conrad et al., 2011). Par

exemple, des différences individuelles stables lors de l’approche d’un individu vers un

potentiel prédateur pour acquérir de l’information concernant son niveau de dangerosité

(Pitcher et al., 1986) ont été montrées chez l’épinoche (Gasterosteus aculeatus ; Bell et al.,

2010), le poisson zèbre (Danio rerio ; Dugatkin et al., 2005), le guppy (Poecillia reticulata ;

Dugatkin, 1991) et le vairon (Phoxinus phoxinus ; Magurran, 1986). Il a été montré une

stabilité ontogénétique de l’audace variable entre les populations selon les ressources

alimentaires présentes dans l’habitat (Bell et Stamps, 2004) et selon le régime alimentaire

(Brown et al., 2005). Chez la perche, des individus classés comme timides (« shy »), en

présence de congénères timides vont devenir plus audacieux, et à l’inverse, les individus

classés comme audacieux (« bold ») vont avoir, en présence de congénères audacieux,

tendance à prendre moins de risques (Magnhagen et Staffan, 2005). Ces résultats démontrent

une certaine plasticité individuelle au sein de cet axe. Enfin, il est important de noter que les

individus audacieux modifient moins leurs comportements dans des contextes différents

contrairement aux individus timides (Magnhagen et Bunnefeld, 2009).

b) L’exploration

L’étude de l’exploration permet de classer les individus selon leurs réactions à la

nouveauté. Les variables de sortie utilisées pour évaluer l’exploration sont similaires à celles

utilisées pour l’audace (Tableau 3). Cependant, l’exploration se distingue de l’audace par le

fait que celle-ci peut être exprimée en l’absence de prédateur ou tout autre stimulus

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potentiellement dangereux. Des différences stables dans l’exploration ont été montrées, entre

autres, chez les Cichlidés, Cyprinidés, et les Salmonidés (Conrad et al., 2011). Les

conséquences de différences individuelles concernant cet axe de la personnalité peuvent avoir

des répercussions au niveau de la population. Chez le fondule barré (Rivulus hartii), la latence

pour sortir d’un refuge vers un nouvel environnement permet de prédire la dispersion des

individus dans le milieu naturel (Fraser et al., 2001). En effet, plus les individus explorent

rapidement leur nouvel environnement, plus ils vont se disperser rapidement dans le milieu

naturel.

c) L’activité

L’activité, souvent étudiée simultanément avec un autre axe (audace ou exploration),

est mesurée par la durée de mouvement d’un individu sur une période de temps et représente

par conséquent son niveau général d’activité (Réale et al., 2007). L’activité est désormais

considérée comme un axe à part entière de la personnalité (Réale et al., 2007) avec une

mesure de fréquence ou de quantité de mouvements dans un environnement sécurisé et

familier (Tableau 3). La variabilité comportementale interindividuelle a également été

démontrée au niveau de l’activité chez Sebates auriculatus (Lee et Berejikian, 2008) et chez

Pomacentrus spp qui ajustent leurs activités journalières en fonction de la température (Biro

et al., 2010). Par ailleurs, le niveau d’activité est souvent corrélé au niveau métabolique de

chaque individu, par exemple chez le saumon (Salmo salar ; Cutts et al, 1998), l’omble

chevalier (Salvelinus alpinus ; Cutts et al., 2001) ou encore le bar (Dicentrarchus labrax ;

Killen et al., 2011).

d) L’agressivité

Le comportement agressif apparaît dans une grande variété de contextes (compétition

alimentaire, défense d’un territoire, reproduction, défense du nid) et à différents stades de

développement (Conrad et al., 2011). Chez les Téléostéens, l’agressivité est mesurée le plus

souvent dans le cadre de la compétition alimentaire ou de la défense du territoire (Tableau 3).

L’agressivité a souvent été étudiée en relation avec les autres axes de la personnalité (Conrad

et al., 2011). Une stabilité de ce comportement à différents âges a été démontrée chez Lucania

goodei (McGhee et Travis, 2010) et l’ayu (Plecoglossus altivelis ; Katano et Iguchi 1996).

Pour d’autres espèces comme le cichlidé à tête de lion (Steatocranus casuarius), les

comportements observés lors d’une interaction agressive ne sont pas stables à 4-5,5 mois mais

le sont à 12 mois (Budaev et al., 1999). Par ailleurs, chez l’épinoche, l’agressivité seule ne

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semble pas stable dans le temps mais la corrélation entre l’agressivité et l’audace apparaît

comme stable dans le temps (Bell et Stamps, 2004).

e) La sociabilité

La sociabilité est une réaction individuelle face à un congénère différente de celle de

l’agressivité (qui est un axe à part entière de la personnalité) (Tableau 3). La sociabilité est

souvent étudiée dans un contexte de formation de « shoal » (Krause et al., 2000). Le

comportement d’un individu dans la formation de ce groupe de poissons est analysé. Un

individu ayant tendance à rester dans le groupe sera considéré comme social et à l’inverse un

individu ayant tendance à s’éloigner du groupe sera considéré comme asocial (Krause et al.,

2000).

Tableau 3. Variables utilisées pour évaluer les cinq axes de la personnalité.

Axe de la

personnalité

Variables utilisées pour évaluer l’axe chez

les Téléostéens Bibliographie

Audace

Latence à approcher un nouvel objet

Latence à manger une nouvelle nourriture

Latence à explorer un nouvel environnement

Temps d’émergence d’un abri vers un

environnement familier

Inspection d’un prédateur

Frost et al., 2007 ;

Sundström et al., 2004 ;

Fraser et al., 2001 ;

Brown et al., 2005 ;

Dugatkin et al., 2005

Exploration

Latence à approcher un nouvel objet

Latence à manger une nouvelle nourriture

Latence à explorer un nouvel environnement

Réale et al., 2007 ;

Conrad et al., 2011

Activité Distance parcourue

Durée de mouvement sur une période donnée

Ferrari et al., 2014 ;

Colchen et al., 2017

Agressivité

Latence avant la première attaque ou poursuite

Nombre d’attaques ou de poursuites

Latence avant un combat

Nombre de combats

Benus et al., 1992 ;

Verbeeck et al., 1996 ;

Bell et Stamps, 2004 ;

Carere et al., 2005 ;

Reyes-Tomassini, 2009

Sociabilité Nombre de comportements d’attraction

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Chez les Téléostéens, les dispositifs utilisés pour étudier ces cinq axes de la

personnalité sont généralement des adaptations des dispositifs développés chez les

mammifères. Le Tableau 4 regroupe les dispositifs classiquement utilisés chez les

Téléostéens pour chacun des axes et la Figure 10 les illustre. Ce tableau permet de mettre en

évidence qu’un même dispositif peut être utilisé pour caractériser plusieurs axes de la

personnalité.

Tableau 4. Dispositifs utilisés pour caractériser chacun des axes de la personnalité.

1. Audace ; 2. Exploration ; 3. Agressivité ; 4. Sociabilité ; 5. Activité

Tests 1 2 3 4 5 Bibliographie

Test en open-field x x x Adriaenssens et al., 2012 ; Ferrari et al., 2014

Labyrinthe en T x x Vignet et al., 2013 Péan et al., 2013

Labyrinthe en croix x x x Pasquet et al., 2015

Labyrinthe en Z x x x Ferrari, 2014

Interaction

dyadique x x Sundström et al., 2004

Test du miroir x Adriaenssens et al., 2012 Höjesjö et al., 2011 ;

; Chervet et al., 2011

Test de contention x x Castanheira et al., 2013 ; Ferrari et al., 2014

Test de fuite x x x Millot et al., 2009

Test de l'objet

nouveau x x x x

Sundström et al., 2004 ;

Chervet et al., 2011 ;

Höjesjö et al., 2011 ;

Adriaenssens et al., 2012

; Castanheira et al., 2013

; Pasquet et al., 2015

Test de reprise de

l’exploitation des

ressources

alimentaires

x Castanheira et al., 2013

Test d'exploration x Chervet et al., 2011

Test d'attraction

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Pour conclure, la variabilité comportementale individuellement stable a été

démontrée de nombreuses fois chez les Téléostéens. Malgré la diversité des termes

utilisés, tous permettent de définir des variations comportementales individuelles ou

populationnelles. Au regard de la littérature dans ce domaine, nous émettons

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l’hypothèse que le cannibalisme pourrait être lié à ces variations individuelles. En effet,

nous avons vu, dans la partie précédente de cette introduction, qu’un cannibale possède

des aptitudes particulières lui permettant de chasser et tuer ces proies. Nous pouvons

supposer que ces aptitudes seraient directement liées aux variations individuelles

comportementales, et donc plus précisément à la personnalité. Nous supposons qu’un

individu téméraire, agressif aurait plus tendance à être un cannibale tandis qu’un

individu peu téméraire, non agressif et social serait non-cannibale. Le statut de

cannibale pourrait donc correspondre à une personnalité différente d’un non-cannibale.

Par ailleurs, nous avons proposé l’hypothèse de la mise en place de l’ichtyophagie

précoce chez certains individus comme hypothèse alternative à celle de la personnalité.

Chez une espèce piscivore, tous les individus seraient donc potentiellement cannibales,

du fait que tous deviennent piscivores à un moment donné. L’ichtyophagie est un

comportement prédateur particulier qui nécessite des ajustements comportementaux de

la part du prédateur au cours de son développement. Par conséquent, nous détaillerons

la prédation et le comportement prédateur dans le règne animal et plus précisément

chez les Téléostéens. Puis, nous nous proposons de souligner l’existence d’une variabilité

individuelle dans la mise en place de l’ichtyophagie, au sein d’une même population.