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Augmenter la diversité génétique de départ ?

Chapitre 6 : Conclusions et perspectives

3. Comment obtenir et maintenir des souches d’intérêt ?

3.4. Augmenter la diversité génétique de départ ?

A première vue, il peut sembler extrêmement intéressant de disposer d’une population présentant une grande diversité génétique, au début d’une expérience d’évolution en laboratoire. Au sein d’une population polyclonale, les individus possèdent des génotypes légèrement différents qui présentent des potentiels évolutifs différents. En augmentant leur nombre, on augmente donc en théorie la possibilité d’avoir dans la population de départ un ou plusieurs individus au potentiel plus intéressant que les autres.

En pratique, les résultats sont contrastés. En effet, les analyses génomiques de l’expérience d’évolution sous stress thermique montrent que, sur les 12 souches de l’inoculum, l’immense majorité des cellules n’était plus représentée que par 2 souches lorsque les cycles de stress ont été mis en place. Toutes les autres avaient été éliminées pendant la stabilisation des turbidostats. En effet, les 12 souches de T. lutea mélangées dans les sélectiostats ont des origines différentes, elles n’avaient donc pas obligatoirement le même taux de croissance dans les conditions de stabilisation du turbidostat. La population des sélectiostats s’est donc enrichie en souches qui poussaient le mieux, tandis que les autres ont été lessivées. Ces résultats sont quand même à nuancer, parce que quelques marqueurs des 10 autres souches ont quand même été identifiés dans la population en cours d’évolution. Cela peut être dû à la présence en minorité des souches lessivées. Une autre possibilité, très spéculative, serait qu’un brassage génétique dû à un ou plusieurs cycles de reproduction sexuée s’est effectué. En effet, la reproduction sexuée a été montrée chez Tisochrysis

lutea (Carrier et al., 2014) et cela aurait pu permettre l’incorporation d’une partie du génotype des

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Conclusion

Ces trois ans de travaux ont permis de mettre en lumière plusieurs points. Tout d’abord, l’évolution dirigée en laboratoire est une technique qui fonctionne pour altérer le phénotype de Tisochrysis

lutea. En effet, il a été possible d’obtenir des populations dont les teneurs en lipides totaux étaient

deux fois et cinq fois plus importantes que la population de départ, sans diminuer leur taux de croissance. La méthode d’évolution en laboratoire a donc permis de multiplier par deux et par cinq la productivité lipidique des cellules. C’est un très bon résultat, comparativement aux travaux de Bougaran et al. (2012), Bonnefond (2015) et Bonnefond et al. (2017), qui ont chacun obtenu une multiplication par deux de la productivité lipidique de Tisochrysis lutea grâce à une approche de mutation-sélection ou une approche d’évolution en laboratoire par la température. De plus, l’accumulation que nous avons observée concerne toutes les classes lipidiques, contrairement à Bougaran et al. (2012) qui avaient principalement constaté une accumulation de lipides neutres. Ce résultat rend nos populations de T. lutea plus intéressantes d’un point de vue nutritionnel pour une utilisation potentielle en alimentation humaine ou animale, parce qu’elles sont plus riches en AGPI (dont les acides gras essentiels) qui se trouvent surtout dans les lipides polaires et peu dans les lipides neutres.

Deuxièmement, les protocoles d’évolution dirigée en laboratoire ne doivent pas permettre une trop bonne acclimatation des cultures à la pression de sélection choisie, sous peine de diminuer son efficacité. Il faut donc construire les protocoles de manière que les cellules s’acclimatent à des conditions moyennes (température, salinité, intensité lumineuse, etc…) qui différent nettement des valeurs appliquées pour stresser les cultures. On sort ainsi de leur zone d’acclimatation et la pression de sélection reste efficace. C’est aussi tout l’intérêt d’appliquer un signal de stress dynamique, en créneau, et non constant. De plus, il faut que l’accroissement de l’intensité du stress ne soit ni trop rapide ni trop lent pour que les cellules qui possèdent les caractéristiques d’intérêt aient le temps de croitre et de dominer la culture. Il semble plus efficace de baser l’augmentation du stress à la fois sur un état physiologique (taux de croissance, mesure de rendement quantique maximum, etc…) et sur un nombre minimum de générations. Il pourrait aussi être intéressant de ménager régulièrement des phases de récupération relativement courtes quand le taux de croissance est faible, afin de permettre la multiplication des cellules et aider la propagation du phénotype d’intérêt.

Troisièmement, il est nécessaire de choisir des critères relativement aisés à mesurer, et d’effectuer leur suivi régulier en conditions standards pour différencier les effets de l’acclimatation de celles de l’adaptation. Il sera nécessaire de mettre au point des proxis rapides et faciles à mesurer pour permettre la démocratisation de la technique d’évolution dirigée en laboratoire sur les microalgues et la production de souches d’intérêt industriel. En effet, le suivi actuel du profil en acides gras par exemple, nécessite des analyses biochimiques fines et chronophages qui compliquent l’utilisation en routine de cette méthode.

Enfin, il est nécessaire de développer les protocoles de conservation des phénotypes obtenus en bloquant l’évolution des populations ou des souches à la fin des expériences d’évolution. Les protocoles actuels de conservation en souchothèque ne sont pas optimaux puisqu’ils n’empêchent pas la perte des caractères acquis (Day & Fleck, 2015). Leur optimisation pourrait permettre de

118 réduire le risque de pertes. Le développement de protocoles de cryoconservations encore peu nombreux sur les microalgues, permettra d’ouvrir les possibilités de préservation des phénotypes et, à terme, devrait faciliter l’utilisation industrielle des souches produites par évolution dirigée en laboratoire.

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