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La CBox / Mario Lorenzo

5.2 Deux attracteurs d’échange

En empruntant une métaphore dynamique de Pierre Boulez, le travail en collaboration à deux, sur un projet musical avec informatique, peut se comparer à une partie de ping-pong :

La collaboration de Pierre Boulez et de son assistant musical Andrew Gerzso, débutée, en 1980, avec Répons, s’apparente selon le compositeur à une partie de ping-pong. « Comme je ne vais pas journellement en studio, nous parlons longuement du projet. Pas dans l’abstrait mais à partir de mes réalisations antérieures. Je fais des propositions musicales qu’Andrew Gerzso, musicien, comprend. Il cherche et me propose une solution que j’étudie pour voir si elle correspond à ce que je veux ou s’il faut encore l’élargir. Et ainsi de suite7. »

Or pour le développement de la CBox, la « partie de ping-pong » entre Mario et moi ne s’est pas déroulée de la même façon que dans les précédents projets, celui de la K-Box par exemple. Le cahier des charges comportait des points de flottement quant à la finalité du logiciel. D’un point de vue « ontogénétique », on peut dire très schématique-ment qu’un conflit d’intérêts musicaux divergents a travaillé la CBox tout au long de son développement : d’un côté, Mario souhaitait toujours plus de fonctionnalités pour la composition, tandis que de l’autre, je cherchais à orienter l’utilisation de ce logiciel vers la performance musicale, vers la situation de concert. Aujourd’hui, avec le recul, on peut observer que loin de nuire au projet, cette opposition active a considérablement stimulé nos échanges, autour de débats régulièrement renouvellés par les avancées du logiciel, et

5. Le chapitre dont cette citation est issue, L’histoire naturelle de la circularité, reprend un précédent article de Varela au titre évocateur – The creative circle : sketches on the natural history of circularity [Varela, 1984].

6. Sous ces termes, on peut reconnaitre l’influence d’Adorno, mais le travail de micromontage qu’Adorno ne pouvait pas connaître leur donne une résonance toute particulière, une valeur renouvelée : « Tout ce qui peut apparaître en musique comme immédiat et naturel est déjà – pour parler le langage de la logique dialectique – médiatisé : résulte déjà d’une “thesis” ; le son isolé n’échappe pas à cette règle. » [Adorno, 1963, p. 319]

7. Propos recueillis par Pierre Gervasoni, dans un numéro hors-série du Monde de juin 2000, consacré au festival Agora.

5.3. Interactivités

que, en définitive, la divergence de nos intérêts a fonctionné à la manière de deux attrac-teurs étranges, favorisant le développement tantôt dans un sens, tantôt dans l’autre, vers une forme résultante singulière.

Les premiers effets de cette lutte entre les deux types d’usage visés sont apparus dès l’établissement du cahier des charges. En particulier, nous avons dû choisir entre la possibilité de programmer deux logiciels séparés et celle de programmer un seul logiciel qui intégrerait ces deux types de contraintes : après réflexion, il nous a semblé que l’intégration serait possible, car Max/M sp est certes un environnement orienté vers le temps réel, mais il permet aussi de programmer des fonctionnalités pour l’écriture.

Niveau Application Pôle

1. Paramètres Ajustement des paramètres C Tâtonnement paramétrique P 2. Préréglages Ajustement des préréglages C Improvisation de préréglages P Interprétation de préréglages P 3. Partition Organisation du rappel des préréglages C

Tab.5.1 – Les trois niveaux de contrôle de la CBox

En effet, comme le montre le tableau5.1, les deux pôles – composition (C) et perfor-mance (P) – ont été ménagés, à travers une architecture à trois niveaux informationnels et un interfaçage dédoublé, c’est-à-dire adapté aux deux usages visés sur chaque niveau (cf. section suivante pour une discussion sur la notion d’usage).

Finalement, après avoir été façonnée par un processus alternatif, la CBox répond effectivement aux deux exigences, elle est devenue « bicompétente » en quelque sorte, elle a pris un pli ou une forme « bipolaire », à la façon d’un aimant qui se retourne pour présenter son pôle nord ou son pôle sud selon la nature de ce qui entre dans son champ. . .

5.3 Interactivités

L’exercice de l’étude de cas pourrait nous permettre d’éclaircir ou de généraliser cer-tains aspects des logiciels d’informatique musicale, par exemple à propos de l’interactivité. Ce terme dont la signification semble bien claire – un principe d’action réciproque – est cependant utile à la description de tant de situations, qu’il s’est fixé dans de nombreux discours incompatibles entre eux ; en quelque sorte, il bénéficie et pâtit d’une éloquence trop vaste. . . Il ne distingue en effet ni entre la nature des éléments en interaction – ob-jets, processus, humains – ni entre les échelles temporelles véritablement concernées. Yann Orlarey évoque ce double caractère indispensable et flou [Orlarey, 2006, p. 3] :

Bien entendu, c’est une banalité que de rappeler que nous interagissons en per-mance avec le monde qui nous entoure. Le monde « est » interactif. Mais la tech-nologie nous permet de changer ces interactions, d’en inventer de nouvelles, de les écrire, de les décrire et de les « mettre en œuvre ».

Chapitre 5. La CBox / Mario Lorenzo

Même en ne considérant que les aspects qui concernent le logiciel8, on peut discerner plusieurs niveaux d’interaction, dont un niveau technique et deux niveaux pratiques dans le cas de la CBox :

– une interaction intra-numérique, entre deux processus informatiques, que nous avons dénommée « circularité de type 2 » [Barkati et Lorenzo, 2005] ;

– un premier type d’interaction homme / machine, pour la composition, c’est-à-dire la spécification et l’enregistrement des paramètres et des différents fichiers (Midi, audio, ou de configuration) ;

– un second type d’interaction homme / machine, pour la performance musicale. Il nous semble important de distinguer ces deux dernières interactions même si elles partagent la même structure apparente du dialogue homme / machine, car nous pensons que c’est précisément cette inaptitude du terme « interaction » seul à discriminer entre ces deux usages – fondamentalement différents et majeurs en informatique musicale – que le couple d’expressions « temps réel » et « temps différé » a colonisé progressivement le champ pratique, depuis son champ d’origine, technique ; mais nous avons vu dans la première partie (cf. section 2.2 page 42) qu’à leur tour ces expressions recouvrent alors une polysémie à démêler, au fur et à mesure de leur expansion. Dès lors, comment trouver une terminologie adéquate pour désigner sans ambiguïté ces deux usages interactifs différents ? Car la question des usages reste tout à fait centrale, c’est elle qui détermine les choix de programmation, ce que confirme le statut de « l’Utilisateur » dans le vocabulaire des informaticiens9. . . et derrière cette figure commode de l’utilisateur, référentielle et « allative10», se retrouve la question de l’usage du logiciel, de sa finalité supposée (ou plutôt de l’espace de ses finalités supposées), de sa visée.

Autrement dit, l’interactivité ne concerne pas seulement l’instrumentiste, mais aussi le compositeur, et même d’une façon primordiale, comme le fait remarquer Tristan Murail :

La façon de concevoir l’interface utilisateur est primordiale : c’est presque plus important que le programme lui-même ! L’interface doit permettre d’interagir libre-ment et rapidelibre-ment avec la machine [...] [Murail, 1992]

Dans ce sens pratique de l’interface-utilisateur, l’interactivité dénote donc la souplesse des échanges homme / machine, conditionnant en dernière instance la créativité, au-delà de la création. Cette vision éloigne l’ergonomie de la superficialité de la cosmétique, précise leurs frontières, et, surtout, revient sur la primauté de la puissance « pure » en informa-tique – essentiellement la puissance de calcul et la capacité de stockage – en plébiscitant

8. J’écarte ici les aspects compositionnels de l’interaction comme « modalité interne à l’œuvre » décrits par Vaggione : « Je vais employer abondamment, dans ce qui suit, le mot “interaction”. Ce mot ne désigne pas seulement une flexibilité logicielle au niveau de l’interface-utilisateur, ni le fait d’un dépassement de la dichotomie temps réel/temps différé ; plus profondément, il fait référence à une inter-relation postulée entre divers paliers temporels et échelles de représentation. L’interaction correspond ici à une modalité interne à l’œuvre : une façon d’aborder la complexité du jeu de dimensions qui véhicule la composition musicale. » [Vaggione, 1998b, p. 171]

9. Pierre Lévy justifie qu’il s’agit d’une abstraction, non sans humour : « Dans les milieux de l’infor-matique, on annonce toujours avec emphase que le fameux “utilisateur” du logiciel est un personnage capital. [...] Personne n’a jamais rencontré l’utilisateur des informaticiens, parce que les utilisateurs de la plupart des logiciels sont légions. » [Lévy, 1992, p. 17]

10. Nous importons le nom donné en linguistique au cas de la déclinaison qui dans certaines langues sert à indiquer ce vers quoi tend une action (notion opposée à celle de l’ablatif), pour désigner ici ce vers quoi

tend une programmation (en tant qu’action).

5.4. Performativité

en quelque sorte la forme plutôt que le fond11. Je ne crois pas que cette vigueur de la forme traduise une quelconque escroquerie en faisant passer le fond au second plan, mais sim-plement que l’informatique, et plus généralement les nouvelles technologies, sont arrivées à un stade de leur évolution qui leur permet d’envisager de s’adapter plus sérieusement à l’humain – à sa perception, son fonctionnement, son corps, sa manualité et sa cognition. Ce changement de paradigme – l’ergonomie contre la puissance – réaffirme donc l’humain dans son rapport avec la machine et appelle davantage de finesse quant à la définition des usages, pour vouloir y répondre de façon la plus adaptée possible. L’ergonomie devient ainsi un critère décisif vis-à-vis de la programmation, permettant d’appréhender la

qua-lité des interactions homme / machine, leur quantité étant déjà comprise dans la notion

d’interactivité.

Ainsi, nous tenterons de distinguer dans les sections suivantes les notions de performatif et de compositionnel dans le souci d’affiner une grille d’analyse des usages pour les logiciels musicaux.

5.4 Performativité

Au sein d’un logiciel mixte comme la CBox, en vue de la programmation, la question devient la suivante : quels sont les usages visés et quelles propriétés doit acquérir le logiciel pour pouvoir répondre à ces usages ?

Nous avons dénombré deux usages essentiels – la composition et la performance. Ceux-ci correspondent respectivement à la figure du compositeur et à celle de l’interprète (ces figures constituant deux profils d’utilisateur différents du point de vue du programmeur, sachant que dans les faits ces rôles peuvent évidemment se fondre en une seule personne ou se distribuer sur plus de deux) et appellent deux propriétés à implémenter dans le logiciel : la composabilité et la performabilité. Si le terme « composabilité » est relativement univoque12, le choix de celui de « performabilité » demande quelques explications (qui devraient incidemment éclaircir la notion d’interactivité).

D’abord, notons que Miller Puckette, mathématicien et programmeur, indiquait déjà des termes proches dans un article de 2004 : A divide between ‘compositional’ and

‘perfor-mative’ aspects of Pd. Les guillemets sont de l’auteur et dénotent sans doute un certain

flou, d’autant que ces termes ne seront pas directement éclaircis dans l’article, néanmoins les deux catégories sont clairement posées.

Ensuite, relevons que le compositeur Agostino Di Scipio, à l’occasion du travail sur son projet Ecosistemico Udibile, a proposé récemment un éclaircissement de la signification de la performance :

11. Le succès récent des ordinateurs à bas coût, utilisant des éléments moins puissants, est un phénomène en rupture avec les anciens schémas et illustre en tant que tel le recul de la puissance comme critère dominant. Parallèlement, la récente fortune de l’ergonomie peut être illustrée par les investissements dans l’innovation qui font effectivement le succès radical de certains appareils plutôt que des concurrents plus puissants (comme une molette ergonomique sur des baladeurs numériques).

12. cf. Entre le décomposé et l’incomposable [Courtot, 1993], L’espace composable : sur quelques catégories

opératoires dans la musique électroacoustique [Vaggione, 1998a] et Espaces composables - essais sur la musique et la pensée musicale d’Horacio Vaggione [Solomos et al., 2007].

Chapitre 5. La CBox / Mario Lorenzo

« Forme », on le sait, est clôture, distinction, perception de la différence.

« Formance » est prédisposition à la clôture, à la distinction, à la différence percep-tible.

« Performance » est le processus dans lequel la clôture a lieu, la conclusion qui consiste à clore le temps avec le lieu. [Di Scipio, 2008, p. 244]

Enfin, nous proposons les définitions suivantes :

Définition (Performable). Est « performable » tout logiciel ou dispositif pouvant être joué musicalement, notamment en situation de concert.

Propriété (Performabilité). La « performabilité » sanctionne le caractère « performable » d’un logiciel ou d’un dispositif.

À la lecture de ces définitions, on peut se demander si le substantif « jouabilité » n’eût pas été plus simple ou plus judicieux que « performabilité », étant donné la pré-sence du verbe jouer, d’autant qu’une référence potentielle au jeu instrumental semble le rapprocher du champ musical. Cependant, deux raisons s’y opposent. D’une part, le terme « jouabilité » désigne déjà en informatique une autre idée : le degré de confort et de rapidité d’utilisation d’un jeu vidéo, et, pour le coup, nous éloigne de la musique. D’autre part, contrairement à notre idée de la « performabilité », cette notion vidéoludique de « jouabilité » se place en fait au-delà du statut (prédicatif) d’un logiciel pour indiquer un

degré (relatif)13.

Le point le plus délicat consiste à qualifier les types d’interactivités alors en jeu : comme pour le couple composabilité / performabilité, on comprend clairement l’expression « interactivité compositionnelle » pour désigner la partie de l’interface-utilisateur destinée à l’activité de composition et sans doute moins clairement l’expression « interactivité

performative » pour désigner la partie de l’interface-utilisateur destinée à la performance

musicale. En effet, la notion de « performatif » a déjà été développée dans un autre domaine, celui de la linguistique, par plusieurs auteurs – en particulier par Austin14 et Chomsky15 – dans des sens différents entre eux et différents de celui que nous proposons. Cependant, on peut considérer, d’une part, qu’un mot déjà polysémique supporte mieux un sens supplémentaire qu’un mot monosémique et, d’autre part, qu’on peut affilier ce nouveau sens métamusical au sens linguistique chomskien en substituant l’idée de la mise en acte du langage par celle de la mise en acte du programme, en premier lieu parce qu’il s’agit dans les deux cas de l’actualisation de compétences (linguistiques dans un cas et informatiques dans l’autre) et en second lieu parce que ces deux notions partagent la propriété de l’irréversibilité dans cette actualisation (comme le temps réel pratique

13. Formulé autrement : dire d’un logiciel qu’il est « non-jouable » aurait plus difficilement une signification (un jeu est toujours « jouable », même mal) que de dire qu’un logiciel est « non-performable » (un logiciel de Cmao n’émet pas forcément du son par exemple).

14. John Langshaw Austin a développé la notion de performatif, distinguée de la notion de constatif, dans son ouvrage Quand dire, c’est faire (l’édition originale How to do things with words date de 1962). Elle caractérise certaines expressions qui font littéralement ce qu’elles énoncent, « Je vous marie » (prononcée dans la situation qui convient) constituant un exemple canonique.

15. Dans sa théorie de la grammaire générative transformationnelle, Noam Chomsky a développé la notion de performance comme activité linguistique réelle d’un sujet, à distinguer de la compétence comme savoir implicite de la langue, notamment dans son ouvrage Aspects de la théorie syntaxique (l’édition originale

Aspects of the theory of syntax date de 1965).

5.4. Performativité

défini dans la première partie à la section 2.2 page 42). Incidemment, on peut noter que l’interprétation musicale peut elle aussi se comprendre assez bien à partir cette analyse chomskienne – entre compétence et performance –, ainsi que l’improvisation.

Définition (Performatif). Est « performative » toute interactivité susceptible d’être uti-lisée musicalement en direct, notamment en situation de concert.

Propriété (Performativité). La « performativité » désigne la qualité « performative » d’une interactivité.

Pour acquérir cette qualité performative, un logiciel doit répondre aux exigences des échelles temporelles impliquées lors de la performance ainsi qu’à celles de la contrainte d’irréversibilité de la performance. Typiquement, il s’agit de déployer des mécanismes de contrôle (déclenchement, régulation), de rétrocontrôle (affichage des valeurs impor-tantes, arrêt d’urgence) et d’anticipation (prévisualisation, compteurs), dans une échelle temporelle intégrable dans le temps de la performance, c’est-à-dire dans le temps de l’ins-trumentiste en situation d’interprétation ou d’improvisation. Pour définir cette échelle temporelle propre, nous nous appuyons sur la catégorie de la note telle que l’envisage Horacio Vaggione comme niveau de référence entre macrotemps et microtemps :

Il me semble cependant pertinent de faire une distinction générale, en deçà des micromondes postulés dans des œuvres particulières, entre deux grands domaines opératoires : le macro-temps (qui englobe toutes les échelles possibles s’étalant vers le « grand », à partir de celle de la note) et le micro-temps (qui englobe toutes les échelles possibles s’étalant vers le « petit », en-dessous de celle de la note). La catégorie de note (dans sa signification conventionnelle) est ici postulée comme niveau de référence, comme ligne d’horizon entre macro-temps et micro-temps, afin de cerner intuitivement l’enjeu de cette distinction.

En effet, c’est principalement cette échelle qui permet d’orienter les développements du logiciel vers une interactivité performative. Notons pour finir que la notion de

perfor-mativité permet de formuler une hypothèse à propos de la différence entre « le direct »

et « le live » : car il n’y a pas nécessairement performance dans le premier, qui reste malgré tout attaché à la retransmission d’émissions (donc à une modalité de communi-cation synchronisée mais délocalisée), alors que dans le second, l’idée de performance est prépondérante, comme on la retrouve dans l’idée du « spectacle vivant » (c’est-à-dire, à l’origine, sans écran interposé, localisée, dans un ici-ensemble – quitte à devoir ré-imaginer la situation de concert pour les albums dits « live »). On peut supposer que cette idée de la performativité permet d’expliquer en partie la persistance de l’expression « live

elec-tronic » dans les pays anglo-saxons comme dans les pays francophones (où l’expression

« musique électronique en temps réel », plus lourde, reste toutefois employée).

Chapitre 5. La CBox / Mario Lorenzo

5.5 Composabilité

Pour un logiciel d’informatique musicale, les modalités d’interaction ne se réduisent pas à la performabilité, bien que le raccourci soit souvent employé sous les intitulés métony-miques « dispositif interactif » ou « musique interactive ». Comme nous l’avons mentionné précédemment avec la remarque de Tristan Murail (cf. section 5.3 page 107), l’interface-utilisateur intéresse tout autant l’usage compositionnel que l’usage performatif, à des niveaux différents cependant. En outre, une partie importante des problématiques de la Cmao peut se condenser en cette qualité particulière de l’interaction homme / machine – la composabilité.

La composabilité se distingue constitutivement de la performabilité dans son rapport au temps, car l’un des intérêts majeurs de la composition – c’est d’ailleurs un de ses fondements – réside précisément dans la décorrélation entre le temps de l’écriture et celui de l’exécution musicale. Ainsi, le travail d’écriture devient possible à condition de quitter l’irréversibilité du temps de la performance : c’est-à-dire à condition de bénéficier de la

possibilité du retour telle que nous l’avons présentée dans la première partie, pour montrer

le rapport entre la composition et le temps différé comme catégorie (cf. section 1.3.3

page 32), en différant la performance.

Premièrement, l’enregistrement, au sens le plus large, représente le vecteur fondamen-tal du processus qui permet de différer l’actualisation de la musique portée par l’écrit au sens large – par de l’inscrit –, qu’il s’agisse d’une partition manuscrite, d’une bande magnétique ou d’un disque dur (des compétences complémentaires idoines, humaines, mécaniques ou informatiques doivent ensuite assurer l’actualisation musicale, soit respec-tivement l’interprétation, la transduction et la traduction pour ces trois cas particuliers). Ainsi, plus un logiciel possédera de compétence pour l’enregistrement et la gestion de fichiers, plus il pourra être qualifié de composable.

Deuxièmement, la prise en compte de la décorrélation temporelle libre propre à l’écri-ture implique au niveau logiciel, d’une part l’abandon de la contrainte forte sur la latence