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a2m, Loterie, Emzed et Nappe / Mauricio Meza

8.2 a2m : un traducteur précompositionnel

Parmi ces documents, la notice et la conduite ne sont réservés qu’à la préparation de l’interprétation, mais la partition et les panneaux restent pour le concert (soit 31 pages).

8.1.3 Quatre logiciels

La notice rédigée par Mauricio, très complète et jointe en annexe, dispense ce chapitre d’une analyse plus approfondie de cette pièce, d’autant qu’elle n’a pas encore pu être exécutée en concert faute de temps (cf. section 8.4 page 178). Ce chapitre se concentrera donc essentiellement sur les quatre logiciels et leur rôle dans le projet : a2m, Loterie, Emzed, et Nappe, dont le tableau 8.2 donne un premier aperçu.

composition a2m Génération de matériau précompositionnel pré-concert Loterie Tirage au sort juste avant A

A Emzed 5’00 Interprétation, clarinette enregistrée par le logiciel

tAB Emzed 3’00 Improvisation, clarinette et pédalier, Emzed obligé B Emzed 5’30 Interprétation, clarinette et pédalier

tBC Emzed 3’00 Improvisation, clarinette et pédalier, Emzed libre C E.+Nappe 4’30 Participation orale, enregistrée par le logiciel

tCD E.+Nappe 3’00 Improvisation, clarinette et pédalier D E.+Nappe 5’00 Improvisation, clarinette et pédalier

tDE E.+Nappe 2’00 Improvisation, clarinette et pédalier

E Nappe 3’00 Tacet, autonomie du logiciel vers un paroxysme

Coda Nappe 10” Arrêt automatique sur détection d’une série de gestes agres-sifs improvisés à la clarinette

Tab. 8.2 – Place musicale des 4 logiciels a2m, Loterie, Emzed et Nappe au cours de la

pièce

Les minutages indiqués dans ce tableau étant nécessairement approximatifs, on peut conclure que la pièce dure environ 35 minutes, avec une marge de plus ou moins 5 mi-nutes. Par ailleurs, cette durée conséquente peut justifier pour une large part le degré de complexité mis en œuvre dans ce projet, l’échafaudage d’une architecture structurée qui se renouvelle dans « la grande forme », ainsi que son caractère inachevé.

Enfin, il faut distinguer les deux logiciels performatifs1 que sont Emzed et Nappe des deux autres logiciels, a2m relevant de la Cao, et Loterie du petit utilitaire de tirage au sort.

8.2 a2m : un traducteur précompositionnel

Le logiciel a2m tient une place particulière dans ma thèse, parce qu’il figure comme le logiciel le plus proche du temps différé relativement aux autres logiciels développés au cours de ce doctorat (cf. figure 3.6 page 79). Il s’agit fondamentalement de traduire une dimension acoustique sur une dimension solfégique.

1. Cf. section5.4page109.

Chapitre 8. a2m, Loterie, Emzed et Nappe / Mauricio Meza

Fig. 8.1 – Capture de l’interface visuelle de a2m

Mauricio a utilisé a2m pour la partition de clarinette de Woes-war-sollichwer-den, et plus tard dans Cinq miniatures micro-tonales pour clavier Midi, puis dans Tamborita de

lejos pour saxophone soprano.

8.2.1 Un artisanat du détournement

En effet, a2m répond au souhait de Mauricio de produire du matériau précomposition-nel – ici des séquences monophoniques Midi – à partir de caractéristiques morphologiques d’un fichier audio (cf. annexe F page 327). Déjà, la fonction principale de a2m – la tra-duction – transparaît dans la structure de son nom, inspiré de certaines commandes unix de traduction2 où le « 2 » central signifie « to », c’est-à-dire « vers » : le nom « a2m » désigne ici une traduction « audio to material », c’est-à-dire une traduction « audio vers matériel » (précompositionnel). Voici d’ailleurs un extrait du cahier des charges :

2. On peut citer par exemple a2ps (pour « ascii to postscript »), csv2latex, latex2html, ou dos2unix.

8.2. a2m : un traducteur précompositionnel

Vers un moteur de traduction — Nous souhaitons développer un programme

de génération de matériau précompositionnel à travers un algorithme de mise en parallèle morphologique. Il s’agit donc d’analyser des « saillances » morphologiques dans un fichier son et de les repérer dans le temps afin d’y faire correspondre des couples « date relative » / « hauteur Midi », dans un format compatible avec l’objet detonate(durée en millisecondes ; Midi pitch).

Comme caractéristique acoustique à traduire, nous avons retenu la détection des pics d’amplitude, car les pics d’amplitude représentent des événements acoustiques auxquels peuvent correspondre de façon assez intuitive les événements musicaux que sont les notes. Techniquement, l’amplitude de chaque pic est mesurée par l’objet analyzer˜ de Tristan Jehan3, puis traduite en hauteur Midi (de 0 à 127), en reprenant les durées enregistrées entre les pics détectés.

Mauricio a utilisé a2m pour écrire la partition de clarinette de

Woes-war-sollichwer-den (cf. annexe E.2 page 308) : en particulier, il a analysé et traduit des extraits du

Dialogue de l’ombre double4. La référence à cette pièce peut se lire au moins à deux niveaux : celui de la relation intime entre la clarinette et son double électroacoustique, ici en temps réel (avec Emzed), ou celui du concept de dialogue, extrapolé jusqu’à l’aspect participatif et verbal évoqué précédemment (cf. section 8.1.1), avec toutefois pour cet aspect une influence plus directe de l’usage de la théâtralité dans les œuvres de Vinko Globokar.

Quoi qu’il en soit, Mauricio opère un rapprochement entre Woes-war-sollichwer-den et le Dialogue de l’ombre double par un détournement d’extraits métamorphosés avec a2m. . . De fait, il ne s’agit ni d’une simple transposition, ni d’une homothétie quelconque (sur les hauteurs ou sur les durées par exemple), mais bien d’un changement de structure, si important que les séquences d’origine deviennent immanquablement méconnaissables.

8.2.2 Analyse des pics d’amplitude

Après le chargement du fichier audio, un clic sur l’objet button annoté « Analyser » déclenche la lecture de la sélection audio (ajustable dans l’objet waveform˜) ainsi que l’analyse de ce signal en temps réel (technique) à travers l’objet analyzer˜5.

La notion de pic d’amplitude prend ici une définition rudimentaire mais pertinente par rapport à notre projet : une valeur d’amplitude renvoyée par analyzer˜ est un pic d’amplitude si elle constitue un sommet local d’ordre 2 parmi le flux des valeurs d’am-plitude, c’est-à-dire si elle est supérieure à ses voisins immédiats et qu’eux-mêmes sont

3. Ci-reproduits les droits de cet objet, tels qu’ils apparaissent dans Max/M sp : Analyzer˜ object version 1.3.1 by Tristan Jehan

copyright © 2001 Massachusetts Institute of Technology Pitch tracker based on Miller Puckette’s fiddle copyright © 1997-1999 Music Department UCSD.

4. Une des pièces mythiques de Pierre Boulez, pour clarinette et bande, réalisée à l’Ircam en 1984 et 1985 avec Andrew Gerso, et créée par Alain Damiens à la clarinette.

5. L’objet bonk˜ de Miller Puckette propose cette fonction de détection des pics d’amplitude, mais il n’était pas disponible sur notre plate-forme (macintel) au moment du développement, donc nous avons travaillé avec l’objet analyzer˜.

Chapitre 8. a2m, Loterie, Emzed et Nappe / Mauricio Meza

supérieurs à leurs autres voisins. Une seule inégalité stricte dans l’expression suffit à éviter les « plateaux » (signal constant). Ainsi, le test suivant applique la définition précédente au flux des valeurs d’amplitude :

if (($f1 <= $f2) && ($f2 < $f3) && ($f3 >= $f4) && ($f4 >= $f5)) then $f3

Cette définition simple détecte effectivement les pics qui nous intéressent, parce qu’elle ne suit pas le signal audionumérique à l’échelle de l’échantillon, ce qui donnerait probable-ment beaucoup trop de sommets locaux, mais qu’elle suit le flux des données produites par analyzer˜ à une période bien supérieure : 11.6 ms, correspondant aux 512 échantillons du pas d’analyse (hop size). Notre fenêtre d’analyse couvre finalement 2 560 échantillons au total, soit 58 ms à 44.1 kHz, une durée qui convient aux sons de clarinette analysés.

Par ailleurs, l’utilisation de l’objet analyzer˜ possède un autre intérêt, car les trois autres types de données qu’il produit sont déjà disponibles pour de futurs développements, en élargissant les possibilités de traduction à partir de la hauteur du signal (pitch), de la brillance (brightness), ou encore de l’inharmonicité (noisiness).

Enfin, deux seuils permettent de réduire le nombre de résultats donnés par la phase d’analyse des pics d’amplitude : un premier seuil sur leur niveau minimum (en dB) et un second sur l’écart temporel minimum entre deux pics consécutifs (en ms).

8.2.3 Paramétrage de la traduction

On a vu que l’analyse des pics d’amplitude constitue le cœur du moteur de traduction – soit la partie automatique du travail. Cependant, le résultat de cette analyse nécessite la plupart du temps un travail supplémentaire pour devenir exploitable – soit la partie humaine, incarnée par les possibilités de paramétrage proposées par a2m.

Fig. 8.2 – Interface de traduction de a2m

La fonction de traduction de la liste des pics d’amplitude vers la liste des hauteurs Midiest assurée par l’objet zmap, qui fait correspondre de façon linéaire un intervalle fini en entrée avec un intervalle fini en sortie :

Soient : i l’intensité d’un pic d’amplitude définie pour des nombres « flottants » sur un intervalle Di = [−96., 30.] au plus large, n la hauteur d’une note Midi définie pour des 174

8.2. a2m : un traducteur précompositionnel

nombres entiers sur un intervalle Dn = [0, 127] au plus large, et t une fonction de traduc-tion qui associe à tout i de Di une unique note n appartenant à Dntelle que n = t(i). Les quatre bornes imin, imax, nmin et nmax permettent de régler la mise en correspondance de l’intensité des pics d’amplitude avec la hauteur des notes Midi, c’est-à-dire de régler la fonction de traduction elle-même, telle que :

t:

[imin, imax] −→ [nmin, nmax]

i 7−→ n

Pour l’intervalle d’entrée [imin, imax], a2m propose trois modes de spécification, enre-gistrables dans le fichier de préréglages :

– Auto (0), qui récupère automatiquement les valeurs d’intensité minimum et maxi-mum parmi l’ensemble des pics retenus par la phase d’analyse ; ce mode minimise automatiquement l’intervalle d’entrée pour la traduction ;

– Init (1), qui initialise les deux bornes à leur valeur limite, soit -96 dB et +30 dB ; – Perso (2), qui permet de personnaliser la valeur de chaque borne, à l’intérieur du

domaine [−96., 30.] toutefois.

Par ailleurs, si une valeur d’entrée sort de l’intervalle Di, alors l’objet zmap ramène n à l’intérieur de Dn (à nmin ou nmax).

Pour l’intervalle de sortie [nmin, nmax], a2m propose deux représentations : les hauteurs sont spécifiables à la fois sous forme de notation anglo-saxonne (plus intuitive, cf. figure8.2

page ci-contre), et sous forme de numéro Midi (celle qui est effectivement enregistrée dans le fichier de préréglages).

Fig. 8.3 – Paramètres de a2m

Au total, a2m comporte sept paramètres enregistrables, présentés sur la figure 8.3), ainsi que plusieurs commodités pour la traduction :

– trois modes de spécification pour l’intervalle de l’intensité des pics en entrée ; – deux bornes minimum et maximum pour l’intensité des pics en entrée ; – deux bornes minimum et maximum pour l’ambitus des notes en sortie ; – une valeur de transposition, en demi-tons ;

– un facteur de dilatation temporelle ; – un panneau de gestion des préréglages ;

– une visualisation synthétique de toutes les notes produites (nslider) ;

– la possibilité de visualiser et d’écouter la séquence Midi produite, avec l’objet detonate (cf. partie inférieure de la figure 8.1 page 172).

Chapitre 8. a2m, Loterie, Emzed et Nappe / Mauricio Meza

8.2.4 Présentations du résultat Midi

Pour que la partie humaine soit efficace avec le logiciel, il faut permettre des corrections « au jugé » sur le résultat, si possible en le présentant sous plusieurs formes ; il s’agit d’exploiter en quelque sorte le « savoir » des sensations et des émotions dans le cycle perception/action. À la suite de ce principe, a2m peut présenter à l’utilisateur deux formes visuelles et une forme sonore du résultat Midi :

– l’agrégat synthétique des différentes notes sur quatre portées (objet nslider) qui donne immédiatement une vision d’ensemble de la répartition des hauteurs vertica-lement ;

– la fenêtre en rouleau de piano de l’objet detonate, qui montre la ligne mélodique déployée dans le temps horizontalement ;

– le bouton « Jouer », qui permet d’écouter la séquence Midi6, avec une onde carrée pour s’approcher grossièrement du timbre de la clarinette (objet rect˜).

* * *

Le logiciel a2m a permis à Mauricio de générer du matériau précompositionnel – des séquences mélodiques Midi – à partir d’extraits audionumériques du Dialogue de l’ombre

double de Pierre Boulez, en traduisant une dimension acoustique vers une dimension

solfégique. Cette traduction paramétrable métamorphose ainsi littéralement ces extraits détournés, qui deviennent méconnaissables.

8.3 Loterie : une ouverture pour l’œuvre ouverte