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Chapitre III : Perceptions, attitudes et enjeux relatifs au signalement

3.3 Le partage des responsabilités en matière de prévention de la radicalisation

3.3.1 Attitudes envers le CPRMV

De manière générale, les participants interrogés ont adopté soit une attitude positive, négative ou sceptique vis-à-vis du Centre, dès lors que ceux-ci avaient une connaissance suffisante pour avoir un point de vue sur cette initiative. Or, il s’est avéré que bon nombre de participants n’étaient pas au fait de la mission et du champ d’action du CPRMV. Ainsi, plusieurs des répondants ne connaissaient pas davantage que le nom de l’organisme, et ne savaient pas où ce dernier se positionnait dans le champ de la prévention, tel que le démontre le questionnement soulevé par [P4A] : « Mais attends, on parle de prévention, y’a plusieurs étapes. Moi je veux

savoir, ce qui m’intéresse, le Centre il est où dans la prévention ? ». Plus encore, il s’avère

que plusieurs répondants semblaient largement ignorer les activités menées par le Centre, bien qu’ils se soient informés via différents médias : « Bien c’est nouveau, et je le connais d’après

ce que je lis dans les journaux et ce qu’on entend à la télévision mais… oui c’est nouveau, on sait pas grand chose de ce qu’ils font » [P4M]. Quant à elle, une participante latino-

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américaine a mentionné qu’elle avait entendu parler de l’initiative dans les journaux, mais qu’elle ne comprenait toutefois pas très bien son champ d’action :

Juste dans le journal... donc je connais pas ni l’objectif, ni les actions ni… et… et s’il agit indépendamment, c’est quoi que ça veut dire parce que c’est une affaire délicate… dans le sens que nécessairement comme je te dis tantôt, il faut que la police soit au courant parce qu’y a des choses là-dedans qui rentrent dans la loi et qui dépassent la loi… - [P1LA]

En outre, [P1LA] a mis de l’avant que le fait de ne pas connaître l’action du Centre, combiné à la difficulté d’évaluer si des comportements propres à la radicalisation entraient dans un cadre criminel, la conduirait à préférer contacter la police plutôt qu’un organisme d’aide, de manière à s’assurer de ne pas être complice des actes de la personne en question. Si plusieurs participants ne connaissaient pas le Centre, d’autres se sont montrés particulièrement sceptiques par rapport à cette initiative. D’une part, plusieurs répondants ont avancé que le Centre n’avait pas suffisamment de ressources : « c’est un centre qui n’a pas vraiment de

ressources… dans le sens qu’ils ne seront pas outillés pour répondre à la demande actuelle »

[P6A], que son action était limitée : « Moi de ce que j’ai entendu c’est que c’est tout petit…

c’est très limité… » [P5Q] et qu’il n’y avait pas de protocole établi pour les signalements : « je sais que c’est tout nouveau aussi, il y a pas beaucoup de monde pour toute la société, il y a pas un protocole de procédures clairement établi, ou au moins on les connaît pas » [P3LA].

Par ailleurs, un participant a mis de l’avant qu’une des limites de l’action du Centre relevait des normes en matière de consentement pour les interventions : « Non mais le centre n’a pas

de ressources, il n’a pas de ressources…Il va pas forcer la fille, de rencontrer la fille. »

[P6A].

De plus, un participant musulman a mis de l’avant l’importance pour les organismes tels que le Centre de s’afficher davantage au niveau local : « les organismes de ça il y en a pas

beaucoup, et doivent s’afficher un peu plus. Pour que le citoyen, s’il a besoin d’aide, il pourrait avoir cette aide. » [P3M]. Un participant québécois a de plus ajouté qu’il était en

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Centre faut que ça continue, c’est bien, faut que ça grossisse, mais faut pas croire que ça va pas tout faire. » [P7Q].

D’autre part, des participants juifs ont partagé à la fois leur enthousiasme et leurs doutes quant au succès de cette initiative :

Le Centre de prévention c’est… si, ça suscite des espoirs quand même, est-ce que… je parle pour moi, mais là je pense que je parle pour tout le monde, on espère qu’il y ait un vrai travail qui se fasse et que ça soit un succès. […] Je mesurerais […] le succès de ce Centre en fonction de son attitude par rapport aux sources de radicalisation. Parce qu’on a besoin d’un centre comme ça et c’est bien que le Québec, que Montréal, qu’on soit en avant, parce que ça se passe dans le monde et ça se passe en Europe et ce qui se passe en Europe arrive souvent ici, mais voilà, j’espère que vraiment ils vont prendre en considération tous ces éléments qui font la radicalisation et pas se focaliser sur le profil. – [P4J]

Par ailleurs, ceux-ci distinguaient clairement l’action de la police de celle du Centre, et attribuaient un mandat très large à l’organisme :

En tant que membre d’une société élargie, en tant que citoyen québécois, y’a une chose pour laquelle on va appeler le SPVM, mais le Centre a un autre impératif qui est celui de soigner en profondeur la société, c’est une autre chose, c’est un autre mandat je pense. -[P1J]

Ainsi, il semble que plusieurs participants se soient montrés sceptiques vis-à-vis du Centre, sans toutefois nécessairement se positionner contre l’initiative. Certains participants ont quant à eux démontré une attitude plus négative, notamment certains participants musulmans qui se sont montrés très critiques face aux actions du Centre. D’abord, ceux-ci lui ont reproché son absence d’implication au niveau local :

[…] le Centre aussi n’a pas fait, n’est pas présent sur le terrain […] non… je sais pas où, mais moi j’ai rien vu... c’est, il y a beaucoup plus d’activités à l’international qu’à Montréal. À mon avis c’est la démarche, la démarche globalement est une démarche de marketing international, loin du terrain. – [P5M]

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De plus, les participants ont critiqué le fait que la communauté ne soit pas consultée ni impliquée dans les stratégies de prévention : « […] est-ce qu’ils sont allés dans les mosquées,

est-ce qu’ils ont contacté des mosquées ou des organismes non religieux ? […] on nous a pas contactés » [P5M] et que le Centre n’informe pas assez la population de ses activités : « Ils informent pas les gens assez sur leurs activités, sur ce qu’ils font et tout, et c’est dommage. Le citoyen doit voir plus, à mon avis, plus de publicité, dans les médias sur ces organismes-là, faut savoir que ça existe. » [P3M]. De même, un participant a mis de l’avant le fait que l’on

connaît mal l’action et l’efficacité du Centre en ce qui a trait aux interventions : « je sais par

exemple qu’au Centre, il y a des intervenants qui sont là et qui auraient agis auprès d’individus en situation de radicalisation, mais après, on sait pas vraiment ce qu’ils font et si ça marche... y faudrait peut-être qu’il y ait des statistiques là-dessus… » [P4M].

Certains répondants ont également mentionné que le Centre avait, selon eux, mal débuté en étant associé à la police, et tendaient à remettre en cause son indépendance vis-à-vis de celle- ci : « d’ailleurs le Centre de prévention, son directeur y faisait partie de la police et c’est plus

un organisme qui fait partie de la police qu’un organisme social » [P3M]. Qui plus est, les

déclarations médiatiques concernant les transferts de cas de radicalisation à la police semblent avoir renforcé le doute quant à l’indépendance du Centre à la police : « […] quand le directeur

il dit que j’ai reçu 700 appels, que j’ai traité 100 cas et que j’ai mis 12 cas à la police, ok, donc vous êtes un bureau de la police ! C’est des erreurs très graves. » [P5M]. Ces

déclarations pourraient également affecter le lien de confiance de la population avec le Centre, selon [P3M] : « Maintenant, comment le citoyen va percevoir ça… Est-ce que le citoyen qui

sait qu’il y a un centre de prévention de la radicalisation, s’il sait que, bin il est géré par des policiers, est-ce qu’il va y aller ? Je sais pas ? Est-ce qu’il va avoir confiance ? Je sais pas…

».

Bien que plusieurs critiques aient été adressées au Centre par certains participants, notamment quant à l’implication des communautés, à l’indépendance de l’organisme avec la police et relativement au lien de confiance avec la population, il s’avère néanmoins que d’autres ont, à l’inverse, manifesté une attitude positive face à cette nouvelle initiative. Ainsi, une

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participante musulmane a avancé qu’il s’agissait d’un organisme important, et qu’un travail sérieux semblait être fait :

[…] je pense qu’ils sont à l’écoute, et c’est ce qui est important. Ils sont pas là pour juger ou pour réprimer voilà, et ça je pense que c’est une bonne chose. Vraiment je leur fais confiance. […] je pense qu’ils sont quand même… je pense qu’ils sont sérieux, qu’ils font bien leur travail. [P1M]

Une participante latino-américaine [P2LA] a quant à elle affirmé l’importance qu’il y ait un organisme de la sorte, qui ne soit pas un « centre de discrimination », puisque cela offre une alternative à la police où les citoyens peuvent aller. En effet, selon la participante, la police serait parfois mal outillée pour ce genre de situation, et le centre offrirait alors à la population du soutien et de l’intervention selon le cas. En outre, un participant québécois [P9Q] a partagé qu’il aurait personnellement tendance à contacter le Centre pour un cas ayant l’apparence d’une forme d’extrémisme religieux, en mentionnant que la possibilité de faire un signalement de façon anonyme pourrait inciter à faire appel à son expertise.

Enfin, les participants ont manifesté différentes attitudes vis-à-vis du Centre, certains se montrant plus positifs, d’autres plus négatifs ou sceptiques, tandis que la plupart des répondants n’avaient pas les connaissances nécessaires afin de se prononcer sur cette nouvelle initiative. Si les attitudes peuvent s’avérer être, pour certains, des éléments déterminants de la volonté de contacter le CPRMV, les participants ont néanmoins invoqué une panoplie d’enjeux qui pourraient également influencer leur décision de contacter une ressource particulière dans un cas de radicalisation.