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L'attachement à la personne du Dauphin

Dans le document L~DU~ON DE (Page 127-135)

LA COLLECTION AD USUM DELPIDNI

II. DANET ET « L'ESPRIT AD USUM DELPHINI »

1. L'attachement à la personne du Dauphin

ouvrages contemporains parfois explicitement cités. Ce dernier ou-vrage n'est pas sans intérêt; jugé sur nos critères scientifiques moder-nes (mais sont-ils valables en ce cas ?), il déçoit cependant un peu après la somme d'application qu'ont représentée les dictionnaires de langue antérieurs. Toutefois, comme j'essaierai de le montrer, il est aussi l'aboutissement du travail de dauphin de Danet, qu'on ne saurait examiner en faisant abstraction de la collection dans laquelle il s'in-sère.

qui cherche peut-êtreà«bloquer» la concurrence: paraît en 1673 éga-lement un dictionnaire anonyme,l'Officina Latinitatis,qui selon toute vraisemblance a eu aussi sa place dans la bibliothèque du Dauphin puisque la Bibliothèque nationale de Paris en conserve un exemplaire à ses armes. On comprend mieux, par ce détail, le ton acerbe des com-mentaires sur l'Officina,que Danet«démolit»àla suite de sa préface de la seconde édition de 1680 :iln'est pas impossible qu'il ait fallu quelque tempsàla collection pour imposer son«label », comme on di-rait aujourd'hui.

Dix ans après, la rédaction du dictionnaire latin-français est égale-ment motivée par les besoins du prince ou de son entourage, mais ceux-ci n'ont plus grand-choseàvoir avec la lecture formatrice des au-teurs qui avait cours en 1673. Le dictionnaire français-latin est dû, si l'on en croit la préface,àl'instigation de Montausier. Il semble même, àlire entre les lignes du récit de Danet, que la commande de l'ouvrage ait été faite en cours de route, sans avoir été véritablement prévue au départ dans le plan de la collection, s'il y en a réellement eu un, et sur-tout sans que Danet s'attendîtàune telle demande. Or, quoi qu'en dise l'épître, le dictionnaire français-latin n'est plus véritablement destiné aux études du Dauphin, marié, père de famille et un tant soit peu initié aux affaires de l'État. Il est destiné à un prince et surtout à sa chancel-lerie, qui ont àrédiger ou contrôler des traductions en latin de docu-ments officiels, lettres, traités, décrets ... Le caractère«diplomatique»

de l'ouvrage explique probablement le choix de certaines expressions dans les rubriques (BLOQUER entendu au sens exclusivement mili-taire de «bloquer une ville ou une avenue» par exemple), et l'entrée des noms propres comme KOPERSBERG, WALLONS : la paix de Nimègue, signée quatre ans plus tôt, et plus généralement l'activité po-litique de Louis XIV en Flandres et en Allemagne donnaient sans doute àces vocables du Nord de l'Europe une récurrence accrue dans les courriers de chancellerie. Que le dictionnaire vise aussi à être un outil pour la composition en latinàl'usage des étudiants s'ajouteàsa vocation diplomatique, mais une des motivations principales de Mon-tausier semble bien d'avoir voulu fournir àl'entourage du prince, ré-cemment initié aux affaires politiques, un instrument de travail sûr et commode pour la rédaction de ces «écrits qui doivent être essentielle-ment des traductions, parce qu'il s'agit de représenter exacteessentielle-ment en latin ce qui aura été dit ou écrit en français, commeilarrive souvent dans les négociations, dans les traités et dans les histoires»(1).

(1) Cf. dictionnaire français-latin. 1683, préface.

Les deux dictionnaires de 1691 et 1698, publiés tardivement, n'en restent pas moins attachés àla personne du Dauphin dont les attentes d'honnête homme peuvent alors rejoindre exactement celles du public mondain de la collection. Le dictionnaire latin-français notamment, présenté par Danet lui-même comme le perfectionnement enfin achevé du dictionnaire d'étude de 1673, peut tout àfait être lu comme un

« dictionnaire d'adulte », ce qu'est devenu le Dauphin, par contraste avec le premier dictionnaire de l'écolier. Dictionnaire de traduction, pour un lettré armé dans les deux langues et capable d'une lecture fine des auteurs,ilest un outil de culture, et non plus seulement un instru-ment d'apprentissage. Cette culture, loisir du jeune guerrier qui accom-pagne désormais son père dans ses camaccom-pagnes, trouve son complément dans le dictionnaire des Antiquités, ouvrage destiné à lui « délasser agréablement l'esprit pendant quelques-uns de ces heureux moments que la Paix (... ) va [lui] laisser libres»(1) - formule qui n'est peut-être pas que rhétorique dans l'esprit de Danet.

2. L'ouverture vers le monde

Que ces ouvrages suivent la personne du Dauphin de l'enfant à l'homme n'empêche en rien qu'ils soient également tournés vers le

«public ». D. Lopez parle à ce propos d'œuvres qui« ont été expéri-mentées par l'enseignement direct et prennent forme peu à peu, jusqu'à l'achèvement et jusqu'à la publication, qui intervient parfois longtemps après la fin du préceptorat» (2). Bien que demeuré obscur, le cas des Radiees me semble tout à fait accordé à cette situation : ce petit ou-vrage est le reflet d'une méthode pédagogique particulière, à l'origine de laquelle Danet est peut-être, et qui a consisté à demander au jeune Dauphin un apprentissage théorique du vocabulaire, mémorisé avant la lecture des textes et favorisé par le recours au classement par familles de mots (3). Mais, à la date de publication des Radiees, en 1677, le prince a seize ans et a largement dépassé le stade de ces rudiments : l'épître déclare d'ailleurs clairement que«cet ouvrage sera de plus un monument de l'application que vous avez apportée à la langue latine », pour que ce que, comme le dit la préface, « [Sa Majesté] a connu si utile à l'instruction de Monseigneur le Dauphin devînt commun à tous ses sujets ». Témoignage d'une pédagogie propre au prince que l'on

(1) Cf. dictionnaire des Antiquités, 1698, épître au Dauphin.

(2) D. Lopez, «Huet pédagogue»,art. cit.,p. 215.

(3) Cf. Radiees, 1677, préface: « L'on ne saurait sans doute proposer de plus illustre exemple sur ce point que Monseigneur le Dauphin, que l'on sait avoir été instruit à peu près en cette manière et avoir appris la signification précise des mots latins avant qu'on les lui montrât dans les auteurs».

diffuse après en avoir éprouvé la formule et l'efficacité, lesRadiees re-présentent bien ces publications issues du préceptorat, qui ne sont pas sans aléas puisque le manuel ne semble avoir eu aucun succès. La mé-thode destinée à une formation individuelle n'a pu, dans ce cas précis, être élargie à tous de manière profitable (1).

3. Évolution scientifique des ouvrages

La part que prend l'érudition dans les travaux de Danet ne peut qU'aller s'amplifiant au fur et à mesure que le Dauphin, en vieillissant, se confond avec le lettré pourvu d'humanités à qui est aussi destinée la collection. et avec lequel Montausier s'était en quelque sorte identi-fié (2). La mort de ce dernier, survenue en 1691, pèse peut-être aussi en ce sens, en dégageant l'érudit de la tutelle du«père fondateur »,et cet infléchissement est visible aussi dans les préfaces des dictionnai-res : suasoidictionnai-res en 1673 et 1677 sur la grandeur du latin et le bien-fondé de son apprentissage, elles deviennent, à partir de 1683, des réflexions plus techniques sur son activité de lexicographe. Ce changement recou-vre en fait l'évolution scientifique des ouvrages eux-mêmes, dont le contenu, à partir du noyau premier du dictionnaire de 1673, se modifie peu à peu par enrichissement et approfondissement de la réflexion sur chacune des deux langues.

En effet, le bloc des dictionnaires de 1673 et 1680, accompagnés des Radiees.forme bien un premier ensemble, pédagogique parce que relativement simple dans les contenus et les buts visés, mais cohérent surtout dans la manière dont le rapport des langues est envisagé. Ces ouvrages, pour être bilingues, n'en visent pas moins l'apprentissage du latin et sont avant tout des recueils latins. Il n'y a pas parité des

lan-gues, car la glose française est là pour faciliter la compréhension ou la mémorisation du mot latin, dont les exemples doivent montrer les dif-férents sens, sans s'attacher à une qualité particulière de l'expression française autre que la correction et la justesse. De plus, l'absence d' ap-pareil morphologique sur le français ne présuppose pas la maîtrise in-faillible de cette langue de la part des utilisateurs, mais éclaire la moindre importance de sa pratique dans le cadre de ces premières vi-sées lexicographiques : le dictionnaire est fait pour la lecture des au-teurs, ainsi que pour l'exercice parallèle qui lui est lié, la composition latine. Le latin est le but, le français est l'outil, àl'inverse de ce que pourrait laisser croire leur disposition comme « langue d'entrée» et

«langue de sortie ». Cette disposition reste la même dans la refonte de 1680 : les modifications du contenu dévoilent plutôt l'avancement des lectures de Danet, l'accroissement de son fonds d'exemples et, parfois, son goût érudit pour la«curiosité» auquel il ne lâchera bride que plus tard. Ces enrichissements sont d'ailleurs tout à son honneur: Danet s'y montre à la pointe de l'actualité scientifique, intégrant par exemple, dans sa réédition, de«savantes notes» comme celles deC.Perrault sur le texte de Vitruve, dont la nouvelle traduction a paru pour la première fois en 1673, c'est-à-dire sans doute trop tard pour que Danet puisse en tirer parti dans sa première édition(l).

Ledictionnaire français-latin de 1683 marque pour sa part un tour-nant dans l'œuvre de Danet, en ce qu'il l'oblige à accorder une atten-tion accrue au français. Furetière le considère comme un dicatten-tionnaire de français où«ilest vrai qu'il y a du latin », ce qui est sans doute une vision un peu excessive des choses (2). Cependant, si j'ose dire, il est vrai qu'il y a du français dans ce dictionnaire latin: si certains élé-ments apparaissent comme le retournement d'exemples pris au diction-naire latin-français de 1673, beaucoup d'autres sont nouveaux et seront pour certains retournés à leur tour dans le dictionnaire de 1691. L'ap-parition, dans ce dernier, par exemple, d'un lemme METHODUS, ab-sent en 1673-1680, est sans aucun doute due au retournement de l'article METHODE du dictionnaire français-latin de 1683 : Danet est ici parti de la langue française, où le motméthodea incontestablement une assise plus large que le raremethoduslatin, et c'est ce travail sur le français qui enrichit ensuite le dictionnaire français-latin. Un autre

ar-(1) Voir notamment le lemme ASAROTA où Danet cite explicitement «les savantes notesde Monsieur Perrault sur Vitruve».

(2) Furetière, Factum 1, 1685 : « On a expédié aussi des privilèges pour l'impression de deux dictionnaires, l'un de l'abbé Danet, qui est imprimé et se vend publiquement, l'autre du père***,qui s'imprime chez Pralard Libraire;ilest vrai qu'il y a du latinàces deux derniers, mais cela ne change pas la nature du dictionnaire».

gument est fourni par les articles qui relèvent plus de la syntaxe que de la morphologie ou de la lexicographie. L'article SI, par exemple, fait le tour des emplois du si latin, à partir d'exemples français qui sont sou-vent des traductions préalables de Térence lesquelles sont redonnées ensuite dans le texte original de cet auteur. Cette coutume, on l'a vu, est répandue dans tout le dictionnaire et est peut-être liée à la pratique fréquente de la rétroversion comme exercice scolaire. Mais les règles générales qui sont illustrées par ces exemples présentent l'usage fran-çais, qui sert de trame à l'exposé: en réunissant les emplois du si hypo-thétique, traduit par si latin, et du si interrogatif indirect, traduit par an, Danet s'essaie réellement à une analyse du français, même si les ambi-guïtés de son exemplification ou de son expression grammaticale tra-hissent tout le poids qu'a encore le latin dans cette analyse (1). Il n'est donc pas vrai que le dictionnaire de 1683 soit un dictionnaire français où il y aurait, par surcroît, du latin, mais ce n'est plus un dictionnaire latin où il y a, par commodité, du français.

Cette attention au français perdure dans le dictionnaire latin-fran-çais de 1691. La langue-fille y a sa part affirmée face à la langue-mère, tant par la présence d'un appareil morphologique que par le soin mis à traduire les exemples, à souligner la diversité des métaphores ou des fi-gures de style. Le dictionnaire de 1691 n'est plus une simple aide à la lecture du latin, mais un ouvrage réellement destiné à«traduire le La-tin en François» (2). Cette traduction, élégante et sachant rendre les fi-nesses de la langue d'origine, est d'ailleurs tout autre chose qu'un exercice de débutant : elle requiert une bonne connaissance des deux langues, et est plus le fait d'un lettré avancé que d'un écolier. Les élé-ments pédagogiques simples qui continuent cependant d'être fournis dans ce dictionnaire sont destinés à rendre l'ouvrage utilisable à tous les niveaux et à éviter que l'écolier, comme le dit Danet dans la pré-face, ne traduise mulier uiua par une femme vif, faute d'avoir trouvé dans son manuel le féminin de l'adjectif. Cette universalité du public est peut-être, d'ailleurs, une utopie, tant le dictionnaire de 1691 ne

(1) La manière notamment dont Danet présente lesiinterrogatif indirect revèle que sa description est encore souvent faite selon les critères du latin:«Si après les verbes qui signifient doute, incertitude et après les verbes qu'on appelle impersonnels,reJert, interest,s'exprime d'ordinaire en latin paran. num, utrum. ne,avec le subjonctif».Il est très difficile de démêler sireJertetinterestsont des exemples de verbes impersonnels, auquel cas la description parle en fait du latin, ou si elle parle du français, faisant de reJertetinterestdes équivalents d'expressions comme«il importe ».

(2) Cf. dictionnaire latin-français 1691, préface: après avoir cité une liste de dictionnaires antérieurs, monolingues ou bilingues, Danet ajoute: « Ces derniers dictionnaires dont j'ai parlé jusques ici peuvent bien servir pour apprendre la langue latine, mais non pas pour traduire le latin en français»

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semble pas un ouvrage pédagogique suffisamment complet pour être utilisé par l'honnête homme, mais bien un ouvrage pour l'honnête homme suffisamment appareillé pour pouvoir être utilisé par l'écolier, s'il se sent le courage de manipuler un si gros volume.

Cet écoulement du temps, la présence d'une nouvelle génération d'apprentis latinistes et de «jeunes princes»,les fils du Dauphin, au moment où s'achève le travail voulu par Montausier, nous amènent à essayer de replacer, en manière de conclusion, les dictionnaires de Danet dans une perspective plus large, celle de la pédagogie du latin en cette fin duXVIIe siècle. On sait par Bossuet que son illustre élève a acquis le latin essentiellement par le thème, entendu au sens large de composition en latin écrite ou orale, et non au sens moderne de traduc-tion rigoureuse d'un texte français. Cette pédagogie n'a rien que de très traditionnel, puisque, héritée des siècles précédents, la composition la-tine reste l'épreuve reine des classes les plus élevées longtemps encore auXVIIIe siècle. Mais on sait par ailleurs que le français, au cours du XVIIe siècle, gagne du terrain dans l'enseignement: comme l'ont mon-tré Marie-Madeleine Compère et Dolorès Pralon-Julia, les explications préliminaires en français des textes latins étudiés se répandent dans tous les types de collèges, et, à la fin du siècle et au début du suivant, la version acquiert droit de cité comme exerciceàpart entière, sortant des classes élémentaires où elle était d'abord confinée pour aller vers les classes les plus élevées(1). C'est dans ce mouvement que peut se si-tuer aussi l'œuvre lexicographique de Danet, quelles que soient les conditions particulières qui l'ont attachéeàla personne du Grand Dau-phin : d'un dictionnaire d'aide à la lecture des auteurs, où le latin est primordial, en 1673, on passe vingt ans plus tardàun dictionnaire réel-lement pensé pour la traduction, dont la réflexion est centrée sur le pas-sage d'une langueàl'autre. Qu'il ait ou non réalisé ses visées d'êtreà la fois pratique pour l'écolier et l'homme cultivé, pour les «jeunes princes» et leur père, seule une enquête bien plus approfondie pourrait le dire, qui préciserait aussi les méthodes de documentation, de compi-lation et de traduction de Danet. Mais la démarche de l'auteur me

sem-(1) Cf. M.-M. Compère et D. Pralon-Julia.Peiformances scolaires de collégiens sous l'Ancien Régime,INRP, Sorbonne, 1992, pp. 53 sq. et 127 sq. Voir notamment les analyses de laRatiodu Père Jouvancy, éditée dans les dernières années du siècle, et les tableaux p. 58 concernantl'lnterpretatio gallica,où on voit l'exercice, dans le même collège du Plessis, être réservé aux classes de sixième, cinquième et quatrième en 1685, et pratiqué dans toutes les classes en 1700.

ble prendre en compte la pédagogie du temps, et ses modifications sur deux décennies, et en rendre compte tout à la fois.

Martine FURNO Université Stendhal (Grenoble III)

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