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Le rôle de ces ATPases dans la ségrégation est plus difficile à évaluer. En effet, leur mutation ou leur délétion engendre des phénotypes différents suivant les bactéries. La mutation ou la délétion des ATPases de B. subtilis et du chromosome CI de V. cholerae n’induit qu’un faible défaut majeur de partition (Fogel and Waldor, 2006; Ireton et al., 1994). En revanche, un mutant de parA de CII induit un défaut de croissance majeur, appelé CHUB (Condensed nucleoïd, Hypertrophic, Undividing Bacteria), contrastant fortement avec celui du mutant parA1 (Yamaichi et al., 2007a). La délétion ou la mutation du gène parA de S.

coelicolor induit aussi un défaut majeur de ségrégation du chromosome et de division durant

la phase de sporulation (Jakimowicz et al., 2007). Le gène parA de C. crescentus est essentiel car il ne peut pas être délété.

Malgré ces différences de phénotype, les mutations ou les délétions des gènes parA entraînent toutes la perte de la localisation correcte des origines des chromosomes démontrant que les protéines ParA chromosomiques sont nécessaires aux déplacements des origines [B. subtilis : (Ireton et al., 1994) ; S. coelicolor : (Jakimowicz et al., 2007) ; C. crescentus : (Toro et al.,

Figure 47 : Modèle de ségrégation des chromosomes lors de la phase de sporulation de Streptomyces coelicolor.

A : l’hyphe aérienne pousse et l’ADN de plusieurs dizaines de chromosomes (bleu foncé) est complètement décondensé. Une hélice de ParA (rouge) se met en place à la pointe de l’hyphe. Les complexes ParB-parS (vert) sont petits et irréguliers. Image : Filaments de ParA visualisés par immunofluorescence au niveau de la pointe de l’hyphe.

B : La croissance de l’hyphe est stoppée. L’hélice de ParA est présente sur toute la longueur de l’hyphe.

C et D : Les complexes ParB-parS sont positionnés par ParA, et ce positionnement est dépendant de l’activité ATPase de ParA. Cette étape est concomitante avec la mise en place des anneaux de FtsZ (bleu ciel).

E : L’hélice de ParA disparaît. Les septums se ferment et l’ADN est condensé et ségrégé en nucléoïde dans chaque préspore.

(D’après Jackimowicz et al., 2007)

A

B

C

D

E

Positionnement ATP dépendant des complexes

La ségrégation des chromosomes bactériens 2008) ; V. cholerae : (Fogel and Waldor, 2006)]. Lorsque le phénotype de partition est faiblement affecté, cela signifie que d’autres mécanismes de ségrégation de l’ADN pourraient palier à l’absence d’un système par fonctionnel. Lorsque le défaut de ségrégation est fort, cela signifie que seul le système de type par prend en charge la ségrégation du chromosome, comme pour les plasmides, ou que cette prise en charge est spécifique à une étape de différenciation. L’exemple de la délétion de parA2 de CII de V. cholerae est particulièrement adapté. 70% des cellules présentent le phénotype CHUB. Elles sont plus grosses que les cellules sauvages et sont incapables de se diviser. Elles présentent aussi un nucléoïde condensé et désorganisé. Dans les 30% de cellules à l’aspect normal, la délétion entraîne la perte de localisation correcte des complexes ParB2-parS2, et donc des origines de CII, sans affecter la localisation des origines de CI. Cette perte de localisation entraîne, à la division suivante, la perte de CII et l’apparition du phénotype CHUB. Ces observations montrent que seul le système parABS est responsable de la ségrégation de CII. Ceci renforce aussi l’idée que le système de partition de CII est très proche d’un système plasmidique.

L’implication des protéines ParA dans la localisation des complexes de partition suggère qu’elles possèdent un comportement dynamique. Chez les ATPases plasmidiques, ce comportement nécessite un motif de fixation à l’ATP intact, mais aussi la présence d’ATP et du partenaire ParB (voir chapitre III.4.3.5.). Toutes les ATPases chromosomiques présentent un comportement dynamique qui requiert exactement les mêmes conditions que les ATPases plasmidiques. Ce comportement prend des formes différentes suivant les bactéries.

Chez S. coelicolor, la localisation de ParA par immunofluorescence a révélé que ParA s’accumulait à l’extrémité des jeunes hyphes sous la forme de filaments hélicoïdaux (figure 47). Cette structure ne semble pas affectée par la mutation dans le motif ATPase (Jakimowicz

et al., 2007). Lors de l’arrêt de la croissance de l’hyphe, les filaments de ParA occupent toute

la longueur de l’hyphe et permettent la localisation régulière des complexes de partition ParB-

parS (figure 47). Cette étape est inexistante dans un mutant ATPase de ParA. In vitro, ParA

dimérise en présence d’ATP et interagit avec ParB dont la fixation à l’ADN est stimulée. Il est probable que la mutation du motif ATPase entraîne un défaut de dimérisation. ParA ne pourrait plus interagir avec les complexes de partition dont la localisation précise serait perturbée in vivo. Il faut noter que ParA de S. coelicolor est l’unique exemple parmi les ATPases de type I à former des filaments visibles in vivo dans des conditions d’expression native.

La protéine ParA de C. crescentus possède aussi une localisation dynamique et dépendante du cycle cellulaire : bipolaire dans les cellules prêtes à se diviser et diffuse dans les jeunes

Figure 48 : Modèle de ségrégation des chromosomes de Caulobacter crescentus.

A : Dans la cellule à flagelle, la protéine ParA (cercle blanc) est diffuse dans la cellule, et la protéine ParB (cercle gris) est localisée au pôle où se trouve le flagelle.

B : La cellule à flagelle se différencie en cellule à pédoncule. ParB est déplacée par ParA entraînant une copie du chromosome en direction du pôle opposé.

C : Dans une cellule prête à se diviser (pointillés : septum en cours de formation), ParB et ParA ont une localisation polaire.

D : lorsque les deux copies du chromosome sont ségrégées le septum se ferme. (D’après Mohl et al.,2001).

A

B

C

D

C

A

B

Figure 49 : Modèle de ségrégation du chromosome I de Vibrio cholerae.

A : Le complexe ParB-parS (vert) fixé à l’origine de réplication nouvellement répliquée est prise en charge par un polymère de ParA (orange), ancré à l’autre pôle par une protéine ou une structure encore inconnue.

B et C : La dépolymérisation de ParA permettrait de « tracter » l’origine du chromosome en cours de réplication vers le pôle opposé.

La ségrégation des chromosomes bactériens cellules à flagelle (Mohl and Gober, 1997). Cette localisation pourrait correspondre au déplacement des complexes ParB-parS par ParA (figure 48). ParB régule la fonction ATPase de ParA en favorisant l’échange de nucléotides plutôt qu’en stimulant son activité d’hydrolyse. Suivant le nucléotide fixé, ParA présente des activités différentes. La forme ParA-ATP entraîne le décrochage de ParB à parS et donc influence la formation ou la stabilité du complexe de partition, comme cela a été démontré pour les ATPases plasmidiques (Easter and Gober, 2002).

Lors de la ségrégation de CI de V. cholerae, ParA1 est nécessaire à la localisation au pôle des complexes ParB1-parS. En contexte sauvage, la localisation de ParB1 est légèrement plus polaire que celle de oriC1. Ce phénomène disparaît dans le mutant parA. Dans les cellules n’ayant pas répliqué leur génome, ParA1 et ParB1 colocalisent au niveau de l’ancien pôle. Après la réplication des origines, celle qui migre vers le nouveau pôle se trouve au bout d’un amas de parA1, localisé entre le focus de ParB1 et le nouveau pôle. Dans les cellules en septation, les deux foci de ParB1 sont polaires et ParA1 est localisée de manière diffuse au centre de la cellule (Fogel and Waldor, 2006). Les auteurs proposent un modèle de « tracking » des origines vers les pôles. ParA1 formerait des polymères s’ancrant au complexe ParB1-parS1 et aux pôles de la cellule. La dépolymérisation des multiples filaments de ParA1 au niveau du complexe de partition permettrait le déplacement de l’origine vers le nouveau pôle (figure 49). Ce modèle implique la présence d’une ou plusieurs protéines polaires ancrant ParA1. Jusqu’à présent, aucun candidat n’a été identifié. Bien que ce modèle soit encore spéculatif, il parait clair que le comportement dynamique de ParA1 est au centre de la ségrégation des origines du chromosome I.

L’étude la plus exhaustive des propriétés dynamiques des ATPases concerne la protéine Soj. Chez B. subtilis, les premières études de la localisation de Soj dans la cellule ont montré qu’elle colocalise avec les parties polaires du nucléoïde sous forme d’un amas oscillant d’une extrémité à l’autre (Marston and Errington, 1999; Quisel et al., 1999). Dans un mutant spo0J, Soj est statique et recouvre l’ensemble du nucléoïde. Ce comportement est très similaire à celui observé pour ParA de pB171 ou SopA de F (voir chapitre III.4.3.5.). Ces études réalisées dans des conditions de surproduction de Soj-GFP ont été en partie nuancées par les travaux de Murray et Errington dans lesquels Soj-GFP, exprimée sous son promoteur natif, semble être localisée en foci discrets dans le cytoplasme en début de cycle cellulaire et proche du septum de division lors de sa formation (Murray and Errington, 2008). Bien que le déplacement de l’amas de Soj ne soit plus visible, la protéine présente une localisation

A

Figure 50 : Structure de Soj de Thermus thermophilus.

A : Soj-ADP est sous forme monomérique. Vert : hélice ; Jaune : feuillet β ; structure en « atome » : ADP ; boule grise : Mg2+.

B : dimère de Soj D44A. Ce mutant d’hydrolyse de l’ATP est « bloqué » sous sa forme dimérique. Structure en « atome »: ATP

(D’après Leonard et al., 2005)

La ségrégation des chromosomes bactériens différente durant le cycle cellulaire nécessitant aussi la présence de Spo0J et d’un motif de fixation à l’ATP intact.

Les analyses biochimiques et structurales de la protéine homologue Soj de Thermus

thermophilus ont permis de mieux comprendre le comportement dynamique de Soj ainsi

l’interaction avec le nucléoïde (Leonard et al., 2005). L’apoprotéine et la forme ADP de Soj sont sous forme monomérique alors que la fixation d’ATP entraîne la formation d’un dimère (figure 50). In vitro, Soj est alors capable de se fixer à l’ADN non spécifique de manière coopérative et former un nucléofilament de manière ATP dépendante ; ce qui se traduirait in

vivo par sa localisation sur l’ensemble du nucléoïde, observée dans un mutant spo0J (Marston

and Errington, 1999). Le changement d’état d’oligomérisation implique la fixation de nucléotides différents. L’activité ATPase de Soj pourrait jouer un rôle primordial dans la régulation de ses fonctions. Soj présente exactement les mêmes caractéristiques que les ATPases plasmidiques : une faible activité hydrolytique basale stimulée par la présence de Spo0J et parS (d’un facteur 10 en présence des deux). L’hydrolyse de l’ATP entraînerait la dissociation active du dimère et son décrochage de l’ADN. La dimérisation ATP dépendante ferait office de « switch » moléculaire permettant de réguler les interactions de Soj avec l’ADN. Ces observations sont cohérentes avec le comportement dynamique de Soj bien qu’elles n’expliquent pas le rôle de Soj dans la ségrégation de l’ADN. Par analogie avec les systèmes plasmidiques, Lee et Grossman suggèrent que Soj-ATP interagirait, via son interaction avec Spo0J, avec complexes nucléoprotéiques responsables de la cohésion des origines sœurs. L’hydrolyse de l’ATP, stimulée au contact de Spo0J-parS, déstabiliserait (directement ou indirectement) les complexes de partition permettant enfin leur séparation et leur migration (Lee and Grossman, 2006).

Bien que Leonard et collaborateur aient démontré que le dimère Soj-ATP soit capable de se fixer à l’ADN, aucun motif connu de fixation à l’ADN n’a été révélé dans sa structure. Hester et Lutkenhaus ont alors entrepris la recherche dans Soj d’un domaine d’interaction à l’ADN non spécifique composé de résidus chargés positivement et conservés dans la famille des ParA chromosomiques. Les auteurs ont ainsi identifié deux résidus, R189 et R218, nécessaires à la fixation de Soj à l’ADN et donc au nucléoïde. La mutation de chacun des deux résidus est responsable d’un défaut de stabilité d’un plasmide à bas nombre de copie, dont le système de partition a été remplacé par un module Soj-Spo0J-parS. Ceci suggère que la fixation de Soj à l’ADN est nécessaire à la ségrégation de l’ADN plasmidique (Hester and Lutkenhaus, 2007). Bien que pertinents, ces résultats ne déterminent pas clairement l’implication de la fixation à l’ADN non spécifique de Soj dans la ségrégation du chromosome bactérien. En effet, l’impact

La ségrégation des chromosomes bactériens des mutations des résidus R189 et R218 sur la ségrégation du chromosome n’a pas été testé. Le travail de l’équipe de Lutkenhaus a été effectué en même temps que mon travail de thèse sur l’implication de l’ADN dans la partition du plasmide F. Les conclusions des deux études seront donc discutées plus en détail dans la discussion finale de ma thèse.

Au final, les ATPases chromosomiques possèdent des caractéristiques similaires à leurs homologues plasmidiques. Elles sont capables de reconnaître les complexes de partition et possèdent un comportement dynamique dépendant de l’ATP, nécessaire à la localisation correcte des régions origines durant le cycle cellulaire.

IV.3.3 Les partenaires spécifiques des systèmes de partition

chromosomiques

L’inactivation des systèmes parABS chromosomiques induit des phénotypes différents suivant les modèles bactériens. Bien que ces systèmes soient rarement essentiels à la survie d’une bactérie, leur inactivation induit des défauts de ségrégation mais aussi de division, de différenciation cellulaire ou de réplication. Deux raisons non exclusives expliquent cet effet pleïotropique :

- les défauts de division et de différenciation cellulaires sont les conséquences d’un défaut initial de ségrégation.

- Les systèmes parABS chromosomiques ne sont pas uniquement impliqués dans les mécanismes de ségrégation (comme cela est le cas pour les systèmes plasmidiques) mais interagissent avec d’autres systèmes intégrés aux autres processus cellulaires. Certains exemples de ces interactions des systèmes parABS vont être décrits dans ce paragraphe.