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2. Comment assurer une cohérence entre des modèles ayant des niveaux de détail différents ?

2.5 Assurer une cohérence par des outils de changement d'échelle

2.5.1

Génération de peuplements virtuels

Les modèles MADD que nous avons présentés plus haut nécessitent de connaître la position de chaque arbre dans le peuplement. En conséquence, comme nous l'avons déjà évoqué en introduction, ces modèles posent des difficultés d’utilisation car la cartographie d'un peuplement est une information coûteuse. Pour utiliser les modèles spatialisés, on a alors recours à des peuplements virtuels (Pretzsch, 1997 ; Kokkila et al., 2002 ; Pommerening, 2006) générés à l'aide de processus ponctuels (Tomppo, 1986 ; Stoyan et Penttinen, 2000 ; Comas et Mateu, 2007). Néanmoins, peu de travaux de ce type se sont attachés à ajuster des modèles de génération de peuplement sur des données réelles ou à évaluer le réalisme des structures générées (Goreaud et al., 2004 ; Ngo Bieng, 2007). En effet, si la structure spatiale a un rôle dans le fonctionnement de l'écosystème, il est nécessaire que le peuplement simulé ait des propriétés spatiales proches d'un peuplement réel. En particulier, dans le cas de peuplements mélangés, il faut non seulement respecter la répartition spatiale de chaque espèce mais également respecter les interactions spatiales entre espèces. Ainsi, Ngo Bieng (2007) a construit un modèle de structure basé sur les processus ponctuels permettant de simuler des peuplements mélangés chêne sessile-pin sylvestre (à partir d'une liste d'arbres ou de données sur les distributions en taille des arbres).

Ce modèle de structure peut être considéré comme un outil de changement d'échelle (ou changement de niveau de description) permettant le passage de données non spatialisées à des données spatialisées. Le couplage entre le modèle de structure et le MADD peut alors être

considéré comme une forme de modèle intermédiaire entre un modèle individus-centré non spatialisé et un modèle de croissance spatialement explicite.

2.5.2

Construction d'un modèle basé sur des distributions de voisinage

La cartographie d’un peuplement est en fait une information très riche et qui est bien souvent sous-utilisée dans les modèles spatialement explicites décrivant les processus écologiques. On peut donc poser la question : ne peut-on pas se contenter d'une information moins coûteuse ? Ainsi, les modèles obtenus dans le paragraphe 2.4.3 en simplifiant un modèle spatialement explicite intègrent une partie de l'information spatiale qui ne nécessite pas une cartographie complète du peuplement. Ces modèles peuvent donc être considérés comme intermédiaires entre les modèles spatialisés et les modèles non spatialisés. Cependant, ils intègrent une information spatiale moyenne et ne prennent donc pas en compte la variabilité de cette information dans le peuplement. Or, cette variabilité peut avoir un rôle important dans la survie d'une espèce et sur la coexistence des espèces (Vieilledent, 2009). Phillips et al. (2004) proposent de modéliser des distributions d’indices de compétition pour pouvoir utiliser un modèle de croissance spatialisé. Chaque arbre a alors un indice de compétition attribué de manière aléatoire mais respectant des distributions normales dont les paramètres dépendent de l’espèce et de la taille du sujet. Cependant, pour que cette approche reste pertinente (pour tenir compte en particulier du processus de croissance), Phillips et al. (2004) modélisent également l’évolution dans le temps des paramètres de ces distributions.

Dans le même esprit, nous proposons de construire un modèle qui utilise des distributions de nombre de voisins dans un disque de rayon R pour reconstruire l'environnement local des arbres du peuplement. On appellera ces distributions des "distributions de voisinage". Pour cela, nous nous plaçons dans le cas général d'un modèle arbre dépendant des distances utilisant des indices de compétition locaux pour prédire la croissance :

(

, ,

)

i i i dy f y IC Site dt = 

où ICi correspond à un ou plusieurs indices de compétition locaux. Pour calculer les indices

de compétition locaux, il est nécessaire de connaître explicitement le voisinage de chaque arbre, et généralement on utilise pour cela une cartographie du peuplement. Le modèle que nous proposons ici utilise des distributions de voisinage à la place de cette cartographie pour reconstruire le voisinage des arbres. Les voisinages reconstruits permettent ensuite le calcul des indices de compétition locaux qui sont utilisés dans le modèle de croissance. L'avantage de cette méthode est qu'elle ne nécessite pas de modéliser l'évolution de la distribution au

cours du temps. En effet, comme nous le verrons, chaque arbre du voisinage est lui-même un arbre du peuplement soumis au processus de croissance. En revanche, les individus n'ont pas de position explicite, le modèle ainsi construit est intermédiaire entre un modèle arbre indépendant des distances et un modèle arbre dépendant des distances.

2.5.2.1 Distributions de voisinage : définition et intérêt

Si nous comptons le nombre de voisins dans un disque de rayon R pour plusieurs arbres d'un peuplement, nous obtenons en général plusieurs valeurs. Pour rendre compte de cette variabilité, on peut utiliser une distribution du nombre de voisins (comme on utilise une distribution de la circonférence des arbres dans les modèles par classes de taille). Dans un peuplement mélangé, plusieurs distributions doivent être définies en fonction de l'espèce de l'arbre sujet et de l'espèce des arbres voisins (figure 2.1). Nous noterons ces distributions Dss,ns

où ss est l'espèce de l'arbre sujet et ns l'espèce des arbres voisins. Dss,ns(x) est alors la

probabilité qu'un arbre de l'espèce ss ait x arbres de l'espèce ns dans son voisinage.

0 0.02 0.04 0.06 0.08 0.1 0.12 0.14 0.16 0 5 10 15 20 25 30 35 40

Nombre de voisins à une distance < 10m

F q u en ce

suj. = chêne ; vois. = chêne suj. = pin ; vois. = chêne suj. = chêne ; vois. = pin suj. = pin ; vois. = pin

Figure 2.1 : Exemple de 4 distributions de voisinage dans un peuplement mélangé chêne sessile – pin sylvestre (dispositif D49). suj. = espèce de l'arbre sujet ; vois. = espèce des arbres voisins. Les distributions ont été obtenues à partir de l'ensemble des arbres du dispositif.

Il existe un lien direct entre certaines caractéristiques de ces distributions et certaines statistiques utilisées pour caractériser la structure spatiale d’un peuplement. En effet, dans un peuplement mélangé, la structure spatiale interspécifique entre deux espèces peut être caractérisée à l'aide de la fonction Intertype (Lotwick et Silverman, 1982) définie de la façon suivante :

( )

(

)

, ' ' ' '

nsKss ns r E Nombre d arbres de l espèce ns à une distance r d un arbre de l espèce ss

λ

ns est la densité de l'espèce ns, E est l'espérance et r le rayon du disque centré sur l'arbre

sujet. Si on note

µ

ss,ns l'espérance de la distribution Dss,ns alors on a :

( )

, ,

nsKss ns R ss ns

λ =µ

On peut montrer que Kss ns,

( )

r =Kns ss,

( )

r (Lotwick et Silverman, 1982). Ainsi, si ss ns,

µ

ss,ns/

λ

ns caractérise les interactions spatiales entre les deux espèces à une distance inférieure à

R. Si ss = ns, alors Kss ss,

( )

r est la fonction de Ripley (Ripley, 1977) et

µ

ss,ss/

λ

ss caractérise la

structure spatiale d'une espèce à une distance inférieure à R.

Les distributions de voisinage permettent également de rendre compte de la variabilité des voisinages. La figure 2.2 représente trois exemples de distributions du nombre de voisins dans trois peuplements virtuels de même densité caractérisés par des distributions spatiales différentes (les structures spatiales ont été caractérisées à l’aide de la fonction de Ripley, données non présentées). Cette figure montre que les trois peuplements ont, comme on pouvait s’y attendre, des valeurs moyennes différentes mais qu'ils ont également des variabilités très différentes. Le peuplement caractérisé par une structure régulière (semis de points en répulsion) présente une très faible variabilité alors que le peuplement caractérisé par une structure agrégée présente une très forte variabilité. Dans le premier cas, la moyenne de la distribution peut permettre d’obtenir un bon estimateur de la compétition locale alors que, dans le second cas, la moyenne n’a pas beaucoup de sens. Les distributions de voisinage permettent donc de rendre compte des différences de structures spatiales entre peuplements mais également de la variabilité des voisinages dans le peuplement.

0 0.05 0.1 0.15 0.2 0.25 0.3 0 10 20 30 40 50 60 70

Nombre de voisins à une distance < 10m

F q u en ce Agrégation Régularité Aléatoire

Figure 2.2 : Distribution des fréquences du nombre de voisins dans un disque de rayon 10 m pour trois peuplements caractérisés par des structures spatiales différentes.

2.5.2.2 Reconstruction du voisinage

Si l'on suppose que l'on connaît les distributions de voisinage ainsi que la liste des arbres du peuplement, il est alors possible de reconstruire les voisinages dans un peuplement mélangé, c'est-à-dire d'attribuer à chaque arbre une liste de voisins compatible avec les distributions de voisinage. La première étape pour reconstruire les voisinages est d'affecter de manière aléatoire, à chaque arbre, un nombre de voisins conforme aux distributions de voisinage. Dans une deuxième étape, les arbres voisins sont tirés dans la liste des arbres du peuplement (de manière aléatoire ou non selon les objectifs et les données disponibles). De cette façon, chaque arbre possède une liste de voisins de chaque espèce ce qui permet de calculer les indices de compétition locaux utilisés dans le modèle de croissance et de pouvoir faire évoluer le voisinage comme indiqué ci-après.

2.5.2.3 Mise à jour du voisinage au cours du temps

Le voisinage d'un arbre en forêt évolue au cours du temps à cause des processus de régénération, de croissance, de mortalité mais aussi par le biais des interventions humaines. Dans ce travail, nous ne prenons pas en compte les processus de mortalité et de régénération. En conséquence, le voisinage est uniquement influencé par le processus de croissance et par les éclaircies. Comme nous l'avons dit dans le paragraphe précédent, chaque arbre possède une liste de voisins appartenant eux-mêmes au peuplement. Etant donné que la croissance d'un arbre entre deux dates dépend de l'état du voisinage au début de la période de croissance, nous pouvons mettre à jour les voisinages après le processus de croissance lorsque tous les arbres ont poussé et que leurs nouvelles caractéristiques sont connues. De la même façon, les voisinages sont mis à jour après une éclaircie. Nous pouvons ainsi assurer que les voisinages reconstruits changent au cours du temps en fonction de la croissance et des éclaircies.

Dans ce paragraphe, nous avons présenté le principe général du modèle utilisant des distributions de voisinage. Dans la partie 4, nous verrons une application de ce modèle aux peuplements mélangés chêne sessile – pin sylvestre.