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Faut-il assouplir la condition relative à l’existence d’un couple marié ou en mesure de prouver une vie commune d’au moins marié ou en mesure de prouver une vie commune d’au moins

deux ans ?

Pour pouvoir recourir à la procréation assistée, l’homme et la femme formant le couple doivent être « mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans ». Au regard notamment des évolutions sociales et juridiques intervenues depuis 1994 mais aussi de certaines difficultés rencontrées dans la mise en application de ces dispositions, ces conditions devraient-elles être modifiées?

a) Le critère de durée de vie commune pour les couples non mariés Au-delà des interrogations portant sur leur bien-fondé (cf. infra), les dispositions de la loi subordonnant l’accès à l’AMP des couples non mariés à l’existence d’une durée minimale de vie commune, soulèvent certaines difficultés aux praticiens qui sont tenus de la vérifier.

Tout d’abord, les équipes médicales se fondent aujourd’hui sur des documents de nature diverse – une facture, un contrat de bail ou un certificat de

(1) « Rapport final des États généraux de la bioéthique », M. Alain Graf, rapporteur général (juillet 2009).

concubinage – en se montrant plus ou moins exigeantes ; en l’absence de document officiel permettant de prouver l’existence de la condition requise, le principe qui prévaut est celui de la liberté de la preuve. En effet, l’arrêté du 11 avril 2008 relatif aux règles de bonnes pratiques cliniques et biologiques d’AMP prévoit, dans son annexe, que les pièces exigées avant le recours à l’AMP comportent notamment un justificatif du mariage ou « tout document » apportant les éléments en faveur d’une durée de vie commune d’au moins deux ans, sans autre forme de précision.

Ainsi, M. Jean-François Guérin (1), chef du service de biologie de la reproduction de l’hôpital de Bron, a indiqué que, dans la plupart des centres,

« l’attitude des équipes médicales est fondée sur la confiance. On demande au couple une preuve de vie commune, sous la forme de quittances, par exemple, mais aussi, souvent, d’une attestation sur l’honneur. Il ne nous revient pas de diligenter une enquête pour vérifier qu’un couple qui se prétend stable vit bien ensemble depuis au moins deux ans. » Par ailleurs, comme l’a souligné Mme Dominique Mehl (2), sociologue, « un certificat de concubinage est très facile à établir et n’a donc pas beaucoup de valeur juridique ». Mme Dominique Lenfant (3), présidente de l’association Pauline et Adrien, a également estimé qu’il y a « de faux certificats de concubinage et les témoins peuvent être des passants ou des employés de mairie. »

De plus, la rupture de la vie de couple fait en principe obstacle à la mise en œuvre d’une technique d’AMP mais dans les faits les équipes médicales n’ont aucun moyen officiel d’être informées de l’existence d’une requête en divorce ou en séparation de biens ou de la cessation de la communauté de vie. C’est donc en pratique le recueil du consentement du couple qui tient lieu de vérification du maintien d’une vie commune.

Mme Dominique Mehl a considéré que « la condition du concubinage stable et avéré depuis deux ans n’a jamais été appliquée : les médecins ne se sont jamais résignés à demander aux gens d’apporter la preuve de leur concubinage, considérant qu’ils n’avaient pas à entrer dans l’intimité des couples. » En effet, les difficultés rencontrées dans la mise en application de ces dispositions de la loi s’expliqueraient aussi en partie par les réserves de praticiens, qui contestent dans certains cas leur bien-fondé et considèrent qu’en tout état de cause, la vérification de la vie commune ne doit pas incomber au corps médical.

Ainsi, Mme Joëlle Belaisch-Allart (4), chef du service de gynécologie-obstétrique de l’hôpital de Sèvres, s’est élevée contre ces dispositions, en déclarant : « nous, médecins, ne souhaitons pas être transformés en policiers, exigeant des pièces justificatives dont nous ne savons pas exactement lesquelles

(1) Audition du 13 mai 2009.

(2) Audition du 11 mars 2009.

(3) Table ronde du 10 mars 2009.

(4) Audition du 31 mars 2009.

sont valables. ». Dans le même sens, Mme Jacqueline Mandelbaum (1), chef du service d’histologie et de biologie de la reproduction de l’hôpital Tenon et membre du CCNE, a fait part de son expérience dans ces termes : « nous leur faisons bien évidemment signer des déclarations, mais nous ne sommes pas officiers d’état civil ! Le respect d’une obligation aussi précise est difficile à vérifier, même si l’exigence d’une réflexion minimale ou d’une vie commune d’une certaine durée comme préalable à ce projet procréatif est tout à fait légitime ».

Il semblerait ainsi que si les praticiens s’accordent à 80 % sur la nécessité d’une certaine durée de vie commune, selon Mme Joëlle Belaisch-Allart,

« quasiment tous jugent deux ans excessifs et estiment qu’il n’appartient pas au corps médical de s’en assurer ».

Dès lors, s’il était décidé de maintenir les dispositions de la loi relatives à cette durée minimale de vie commune, ne pourrait-on à tout le moins préciser dans une circulaire les critères ou documents à présenter pour aider les équipes médicales dans leur décision, comme le suggère le Conseil d’État dans son rapport de mai 2009 ?

b) Les critères de la stabilité et de l’infertilité du couple

Le critère de la stabilité du couple

La durée minimale de vie commune pour les concubins peut être rapprochée des deux ans médicalement reconnus comme nécessaires pour évoquer chez un couple une difficulté à procréer et envisager des explorations en vue du diagnostic d’une éventuelle infertilité, comme l’a rappelé l’Agence de la biomédecine, dans son rapport d’octobre 2008 sur l’application de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique. Dans ce sens, Mme Chantal Lebatard (2), a estimé qu’« une stérilité doit se prouver par un temps suffisamment rigoureux de vie commune. »

Ces dispositions de la loi peuvent également être interprétées comme visant à protéger l’enfant, en veillant à ce qu’il soit accueilli par un couple aussi stable que possible. Certes, la durée de deux ans de vie commune n’est pas requise dans le cas de couples mariés mais le législateur a sans doute considéré que la stabilité est mieux garantie en cas de mariage que dans les autres formes de vie de couple. À cet égard, M. Xavier Lacroix (3), théologien, professeur d’éthique à l’université catholique de Lyon, a observé que « l’exigence de deux ans de vie commune, bien que légère et fragile, avait au moins le mérite de rappeler que l’enfant, né d’une union, a intérêt à être élevé par un couple, en principe le couple parental ». Il a rappelé que la convention internationale des droits de l’enfant prévoit que l’enfant a, dans la mesure du possible, « le droit de connaître ses parents et d’être élevé par eux ».

(1) Audition du 11 février 2009.

(2) Audition du 11 mars 2009.

(3) Table ronde du 21 janvier 2009.

Pour des raisons différentes, Mme Geneviève Delaisi de Parseval (1) a également estimé que « la demande parentale devrait émaner d’un couple stable – le délai requis de deux ans (…) semble d’ailleurs un peu insuffisant –, de préférence marié : en un sens je préférerais que la loi, comme elle le fait pour l’adoption, exige le mariage pour l’accès à l’AMP, car la filiation d’un enfant est plus solide quand ses parents sont mariés – le PACS n’ayant pas d’effet sur la filiation. (…) Il me semble important qu’un enfant ait deux parents, que ce couple soit stable, et que le législateur se donne les moyens d’aider ce couple et de vérifier sa stabilité – à l’instar des entretiens psychologiques qui précèdent l’adoption. »

Plusieurs personnes auditionnées par la mission ont néanmoins contesté la pertinence des ces dispositions, en suggérant leur assouplissement.

Tout d’abord, la différence introduite entre les couples mariés dont la stabilité est présumée et qui peuvent accéder à l’AMP dès le lendemain de leur mariage, et les couples non mariés, qui doivent apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans, n’est pas toujours comprise dans la pratique. Cette exigence peut apparaître pénalisante pour les concubins qui doivent attendre deux ans avant de pouvoir commencer un traitement, alors que l’âge de la femme est un facteur important du succès de l’AMP et que cette démarche intervient souvent tardivement dans la vie d’une personne.

M. François Olivennes (2), par exemple, a regretté que prévale cette distinction, « comme si le mariage était un gage de longévité du couple ! Soit on demande deux ans de vie commune à tous, soit on ne les demande pas du tout. » En rappelant qu’il existe « des couples mariés qui vivent quinze jours par mois ensemble parce que leur mutation professionnelle les a envoyés chacun à un bout de la France », Mme Dominique Lenfant (3) s’est également interrogée sur le point de savoir si « l’AMP est là pour sacraliser le mariage ».

En effet, le mariage est aujourd’hui concurrencé par d’autres façons de former un couple : en particulier, la loi, en matière d’AMP, ne prend pas en compte le pacte civil de solidarité (PACS), lequel a connu un développement continu depuis sa création en 1999. À cet égard, Mme Joëlle Belaisch-Allart a jugé nécessaire de

« tenir compte des évolutions sociales. La moitié des couples aujourd’hui, du moins en Île-de-France, ne sont pas mariés et ont le sentiment d’être discriminés en matière d’AMP », en soulignant en particulier que « la loi de 2004 ne reconnaît pas le pacte civil de solidarité (PACS) – il faudra y réfléchir ». À cet égard, M. Jean Hauser (4) a fait remarquer qu’« à part le droit de succession, il n’y a plus rien qui distingue le PACS du mariage, si bien qu’on se demandera bientôt pourquoi on choisit l’un plutôt que l’autre. »

(1) Audition du 4 février 2009.

(2)Audition du 4 mars 2009.

(3)Table ronde du 10 mars 2009.

(4)Audition du 4 mars 2009.

Le critère de l’infertilité du couple

Par ailleurs, les dispositions de la loi prévoyant que « l’infertilité pathologique du couple » doit avoir été « médicalement constatée » (article L. 2141-2) ainsi que les délais exigés avant la mise en œuvre de l’AMP, du fait des différents examens et démarches requis, pourraient suffire pour établir l’existence d’indications médicales et la réalité du projet parental. Mme Dominique Lenfant a rappelé que « c’est à la suite de très longs examens, pouvant s’étaler sur une période de quatre mois à un an, qu’un couple infertile se rend chez son médecin qui, au vu des examens, lui indique la meilleure façon pour les aider. C’est à ce moment-là qu’est remis au couple le consentement qu’il doit signer et rapporter un mois plus tard. Ce délai de réflexion me semble suffisant pour être convaincu que ce couple veut vraiment avoir un enfant. »

Enfin, plusieurs praticiens entendus par la mission ont indiqué que l’exigence d’une vie commune d’au moins deux ans est de fait contournée dans certains cas. Ainsi, M. François Olivennes (1) a expliqué que cette « cette disposition n’est pas respectée – par exemple, pour une femme de 38 ans qui vient de rencontrer l’homme de sa vie et qui devrait attendre encore deux ans pour être traitée. » Selon Mme Joëlle Belaisch-Allart (2), « comme chaque fois qu’on est obligé de contourner une loi, il faut se demander si celle-ci était vraiment nécessaire ou s’il n’y a pas une meilleure solution. La loi ne pourrait-elle pas là aussi prévoir que ces dispositions s’appliquent « sauf exception dûment justifiée » ou « sauf dérogation », notamment pour les femmes de plus de 38 ans ? ».

De même, ces dispositions de la loi poseraient des difficultés lorsqu’un traitement susceptible d’altérer la fertilité de la femme est envisagé. Ainsi, selon Mme Joëlle Belaisch-Allart, les praticiens seraient nombreux à souhaiter une dérogation à ces conditions strictes, dans le cas notamment de survenue d’un cancer. Elle a illustré ainsi cette situation : « lorsqu’une femme de 36 ans apprenant qu’elle a un cancer du sein qui exige une chimiothérapie, nous demande une FIV d’urgence, nous n’exigeons bien sûr pas le délai de réflexion d’un mois non plus que, si elle n’est pas mariée, les preuves d’une vie commune depuis au moins deux ans. (…) Nous agissons alors dans l’illégalité. Peut-être suffirait-il que la loi précise que ces dispositions valent " sauf exception justifiée. " »

Au regard de ces interrogations, dans quel sens les dispositions de la loi pourraient-elles être modifiées ?

Dans son étude de mai 2009 sur la révision des lois de bioéthique, le Conseil d’État a jugé préférable de conserver dans la loi le principe d’une période minimale de deux ans de vie commune. Il a proposé néanmoins de compléter le dispositif en prévoyant que les couples ayant conclu un PACS puissent accéder à l’AMP, comme les couples mariés, sans condition relative à la durée de vie

(1)Audition du 4 mars 2009.

(2)Audition du 31 mars 2009.

commune. Mme Roselyne Bachelot, Ministre de la santé et des sports, a rejoint le Conseil d’État sur ce terrain lors de son audition. (1)

Il aurait également pu être envisagé de remplacer la référence actuelle de la loi à un délai fixe de vie commune par les critères exigés par l’article 515-8 du code civil, qui définit le concubinage comme « une union de fait caractérisée par une vie commune présentant un caractère de stabilité et de continuité ».

Cependant comment cette condition serait-elle appréciée par les équipes médicales et ne présente-t-elle pas l’inconvénient majeur de conduire à des pratiques hétérogènes sur l’ensemble du territoire ?

Une autre modification consisterait à compléter les dispositions du dernier alinéa de l’article L. 2141-2 du code de la santé publique réservant l’accès à l’AMP aux couples mariés ou en mesure d’apporter la preuve d’une vie commune d’au moins deux ans. Il pourrait être reconnu un pouvoir d’appréciation à l’équipe médicale sous le contrôle de l’Agence de la biomédecine, par exemple en raison de l’âge avancé de la femme.

Enfin, on pourrait imaginer supprimer les dispositions de la loi concernant la nécessité pour les concubins d’être en mesure de prouver une vie commune d’au moins deux ans, en considérant que l’infertilité pathologique devrait en tout état de cause être médicalement constatée par les professionnels. Lors de l’examen du projet de loi relatif à la bioéthique, l’Assemblée nationale avait supprimé cette exigence en première lecture, en 2002, le Sénat l’ayant finalement rétablie.

Votre rapporteur estime qu’il convient de maintenir la condition de stabilité du couple, le critère des deux ans étant médicalement justifié.

Néanmoins, il est souhaitable que le dispositif d’accès à l’AMP ne différencie plus les couples pacsés des couples mariés. Par ailleurs, il suggère d’ouvrir des exceptions pour raisons médicales ou d’âge.

Proposition n° 2. Assouplir les conditions que les couples doivent remplir pour accéder à l’AMP : ne plus exiger deux ans de vie commune pour les couples pacsés et, dans les autres cas, admettre des exceptions pour raisons médicales ou d’âge.

La majorité des membres de la mission estime nécessaire de maintenir la condition selon laquelle le couple doit être formé d’un homme et d’une femme.

Une partie des membres de la mission s’est déclarée favorable à l’accès des femmes célibataires infertiles à l’AMP (2).

(1) Audition du 15 décembre 2009.

(2) Cf. infra point 5 du présent chapitre.

3. Les limites biologiques et temporelles de la procréation

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