Chapitre 1: Synthèse Bibliographique
1.3. Propriétés élastiques des membranes
1.3.1. Aspects théoriques de la mécanique de la membrane lipidique
Les propriétés mécaniques des membranes sont principalement gouvernées par la
composition et la géométrie des objets étudiés. Les bicouches lipidiques font partie de la catégorie
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des matériaux appelés « matière molle ». Ces bicouches sont des phases condensées qui possèdent
de nombreuses caractéristiques de liquides mais qui sont simultanément structurées. Les
interactions intermoléculaires qui provoquent l'agrégation spontanée des molécules lipidiques en
bicouches fluides en présence d'eau, confèrent également un degré de « raideur » à ces bicouches
par rapport aux liquides conventionnels. Cette raideur lui permet de résister à différents types de
déformations telles que la courbure, le cisaillement ou la dilatation/compression. Tout type de
matériau possède des propriétés mécaniques intrinsèques qui lui permettent de résister à une
contrainte (force exercée par unité de surface). La résistance d’une membrane se manifeste dans
sa capacité à recouvrer sa forme initiale après une déformation élastique. Lorsque la contrainte
dépasse la résistance du matériau, l'objet est déformé et il s'ensuit un changement irréversible dans
la forme et/ou le volume. Dans ce cas, la déformation plastique peut aller jusqu’à la rupture (Figure
19).
Figure 19 : Exemple de comportement d’un solide sous contrainte.
L’élasticité d’une membrane peut être quantifiée en fonction de la nature de la contrainte par
différents paramètres appelés modules élastiques. On distingue ainsi le module de
compression/dilatation (KA), le module de cisaillement (µ) et le module de courbure (KC) (Figure
20).
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Figure 20: Les principales contraintes subies par les membranes lipidiques.
Pour de faibles déformations élastiques, ces différents modules peuvent s’exprimer par la «thin
shell theory» qui relie la contrainte et la déformation uniaxiale d'un matériau élastique en fonction
du module d’Young (E). Le module de Young est la pente initiale de la courbe de
déformation-contrainte (Figure 19), exprimée par la loi de Hooke :
𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 P𝞰 L 𝞰 𝞰E 𝞰 B𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 : 𝞰éMQ=PEKJ𝞰 s ;
Où σ est la contrainte (en unité de pression ou de contrainte Pa, ou J.m
-3) ; E est le module de
Young (en unité de pression Pa) ; ε est l'allongement relatif, ou déformation (adimensionnel). Un
matériau dont le module de Young est très élevé est dit rigide.
• Cisaillement de la membrane
La densité d'énergie Ecis associée au cisaillement de la membrane est obtenue par la loi de
Hooke (Landau and Lifshitz, 1986) et s'écrit :
’ L 𝞰 s t 𝞰 𝞰 : ª
6E 𝞰 ª
? 6𝞰 F t ; 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 : 𝞰éMQ=PEKJ𝞰 t ;
Où λ = (L0+ ∆L)/L0 est le taux d'extension latérale avec L0 est la longueur avant la déformation
et µ est le module de cisaillement (J.m
-2). Ce paramètre a été mesuré expérimentalement pour le
globule rouge en utilisant différentes techniques comme l’aspiration par micropipette (Mohandas
and Evans, 1994), ou les pinces optiques (Hénon et al., 1999). Le module de cisaillement peut
s’exprimer en fonction du Young E, selon l’hypothèse de la « thin shell theory » (Flügge, 1973):
𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 L 𝞰 t : s E ;’ 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 : 𝞰éMQ=PEKJ𝞰 u;
où ν est le coefficient de Poisson.
Le module de cisaillement pour un fluide peut être négligé (proche de 0)
• Dilatation-compression des membranes lipidiques
La dilatation en deux dimensions consiste à augmenter l’aire de la membrane par étirement
ce qui correspond à écartement des molécules dans le plan (Figure 20). La compression est son
opposée. La mesure de la densité surfacique d'énergie EA d'une telle déformation pour membrane
d'une aire A variant de ΔA s’écrit :
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𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 ’” L 𝞰 s t -” l ¿ 𝞰A𝞰A p6𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰
: 𝞰éMQ=PEKJ𝞰 v;
Où K
A est le module de compression qui est de l'ordre de 0.2 J.m-2pour des membranes lipidiques
(Evans and Rawicz, 1990; Olbrich et al., 2000). La variation relative A ne peut dépasser 8%,
pour une tension limite appelée "tension de lyse". Au-delà de cette valeur, l’étirement qui écarte
les lipides affaiblit les forces intermoléculaires, conduisant à la destruction de la membrane
(Rawicz et al., 2000; Sandre et al., 1999). La dilatation locale de la membrane et la formation d’un
trou est une des composantes à la base de la mesure de la force de rupture (breakthrough force ou
FB) par indentation avec un nano-indenteur ou une pointe AFM (Butt and Franz, 2002a). Le
module de Young tridimensionnel E d’une membrane est lié au module de dilatation/compression
K
Abidimensionnelle, selon :
𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 -” L 𝞰E𝞰d
: s
~; 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰: 𝞰éMQ=PEKJ𝞰 w;
Où d est l’épaisseur de la membrane et le coefficient de Poisson.
• Courbure
La courbure est décrite par une asymétrie de tension entre les feuillets d’une bicouche qui
peut provenir soit d’une différence dans le nombre de molécules amphiphiles pour une aire donnée,
soit de la différence entre les espèces moléculaires. Du point de vue des espèces, le rapport de
diamètres entre la partie hydrophile et la partie hydrophobe détermine la géométrie du volume
moléculaire et ainsi la structure des assemblages lipidiques (Israelachvili et al., 1980, 1977;
Lipowsky, 1991). Si les parties hydrophile et hydrophobe des lipides ont des tailles équivalentes
de telle sorte que la forme globale de la molécule est proche d'un cylindre, ces molécules auront
tendance à former des bicouches planes (cas des PE). Les molécules lipidiques ayant une forme
de cône tronqué (tête un peu plus large que la queue) ont tendance à former des bicouches flexibles
qu’on retrouve généralement dans les vésicules (cas de PC ou SM). Du point de vue de la densité,
le feuillet le plus peuplé se trouve comprimé, tandis que le moins peuplé est dilaté par rapport à
son état d’équilibre. Pour ces raisons, il peut exister un gradient de pression latérale dans la
direction normale à la membrane. Energétiquement, cette asymétrie entre les pressions des deux
monocouches génère une courbure spontanée de la membrane qu’on note H
0. En présence d’une
contrainte, la déformation de la membrane nécessite une énergie afin de maintenir une géométrie
stable. La densité d’énergie est exprimée en fonction des invariants du tenseur de courbure de la
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surface : la courbure moyenne H et la courbure de Gauss K et qu’on détermine à partir de deux
courbures principales C1 et C2 de la membrane (Figure 21).
Figure 21 : Courbures principales pour deux surfaces courbées ;a) de même signe, b) signe opposés (Girard, 2004).
𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 ’ L 𝞰 s t G
…: * F *
4;
6E G - 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 : 𝞰éMQ=PEKJ x;
* L 4 s
5
E 4 s
6
L %
5E %
6𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 - L %
5%
6𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰 𝞰Où k
Cet k
G sont les constantes élastiques, exprimées en Joules ou en en énergie thermique (kBT ̴4.11 × 10
−21J). k
G est la rigidité élastique gaussienne qui caractérise l'énergie élastique associée àla courbure intrinsèque de la membrane. Il est invariant et n’intervient que lors d’un changement
de la topologie de la membrane. Ce module peut être mesuré lors d’une transition de phase
(Baumgart et al., 2005). k
Cest la rigidité de courbure et traduit l’énergie des déformations
élastiques de la bicouche. Il dépend de la structure des molécules (degré de saturation) ainsi que
des interactions intermoléculaires assurant leur assemblage (Rawicz et al., 2000). Sa valeur varie
aussi en fonction de la composition de la membrane et des conditions extérieures (température,
pH, force ionique…). Pour les bicouches lipidiques, les rigidités k
Cet k
A sont reliées par l’équationk
C= KAd
2où d est l’épaisseur de la membrane (Marsh, 2006). Cette relation dépend du couplage
entre les monocouches et la distribution de la pression latérale qui doit être uniforme dans la
bicouche.
Dans le cas de l’approximation de la « thin shell theory », le module de Young peut être déterminé
à partir des rigidités élastiques k
Cet k
G.
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