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13. Aspects médiatiques

Le premier tableau ci-dessous illustre le nombre d'articles publiés par les journaux The Times, The Telegraph, The Financial Times, The Guardian, The Sun, The Daily Mirror, The Daily Mail et The Daily Express sur la Cour

européenne des droits de l'homme entre le 1er janvier 2005 et le 28 avril 2016. Le deuxième tableau illustre les articles qui, dans les mêmes journaux, ont évoqué la question du droit de vote des détenus et la Cour européenne des droits de l'homme. On peut tout d’abord noter qu’assez peu d'articles sont apparus au moment de la publication de l'arrêt Hirst en 2004 ou même

lorsque la grande chambre a statué sur ce cas en 2005. L'attention

médiatique a atteint son sommet en 2011-2012, une date qui coïncide avec la décision de la Cour de bloquer l’extradition d’Abou Qatada, un présumé terroriste, le jugement Scoppola qui a entraîné au Royaume-Uni un délai supposé final de six mois pour mettre en œuvre le jugement Hirst, la

présidence britannique du Conseil de l'Europe et la déclaration de Brighton relative à la réforme de la Cour, et la nomination de Chris Grayling comme ministre de la Justice. Tout ceci qui suggère que l’attention médiatique accrue à la question du droit aux vote des détenus était davantage liée à la

présentation nationale de ces autres questions et à d’autres facteurs de la politique nationale et du débat parlementaire plutôt qu’une conséquence de la gestion de ces questions et l’annonce des jugements concernant le vote des détenus rendus par la Cour européenne.

                                                                                                               

Couverture de le CEDH dans les principaux journaux du Royaume-Uni entre le 1er janvier 2005 et le 28 avril 2016.86

La couverture de la CEDH et le droit de vote pour les prisonniers dans les principaux journaux du Royaume-Uni entre le 1er janvier 2005 et le 28 avril 2016.87

Plusieurs systèmes et institutions jouent un rôle important dans toute démocratie afin d'assurer l'examen approfondi des actions de tous les

organismes publics, y compris le pouvoir judiciaire. Tant les médias et la Cour européenne des droits de l'homme ont un rôle légitime à jouer en tant

                                                                                                                86 Source FACTIVA 87 Source FACTIVA 0   500   1000   1500   2000   2500   3000   3500   4000   Series1   0   500   1000   1500   2000   2500   Series1  

qu’organismes de surveillance de l’État œuvrant pour l'intérêt général. En général, les articles de la presse britannique relatifs à la Cour sont très sporadiques et souvent très critiques. L’ancien greffier adjoint de la Cour, Michael O'Boyle a déclaré que «la Cour n'a jamais, dans son histoire de 50 ans, fait l'objet d’un tel déluge de critiques hostiles que celle qui a eu lieu au Royaume-Uni en 2011. […] Le problème du droit de vote des détenus a été transformé en une interrogation nationale au Royaume-Uni à propos de la légitimité de la Cour européenne des droits de l'homme »88. En ce qui concerne le traitement des questions concernant la Cour, Uerpmann-Wittzack s’interroge sur le point de savoir si la presse britannique peut vraiment être considérée comme jouant un rôle de surveillance, suggérant que le traitement médiatique de la Cour ressemble plus souvent à une série d’attaques personnelles89. Il donne l'exemple d'un article du The Times (19 avril 2012) se référant aux juges de la Cour européenne des droits de

l'homme comme des « bouffons de l'Europe », et au président de la Cour Sir Nicholas Bratza comme « le fils d'un violoniste serbe […] qui n'a jamais

occupé un poste judiciaire principal en Grande-Bretagne ». Ce langage reflète celui qu’utilisent certains politiciens. Le ministre des Droits de l’homme

Dominic Raab a lui-même estimé que la Cour produisait des « jugements de Mickey Mouse »90. Uerpmann-Wittzack suggère que l'absence de traduction concrète de ses jugements au niveau national ainsi que les contestations de la qualité des travaux de la Cour pourraient avoir contribué à une perte de respect et de confiance dans cette dernière au Royaume-Uni.

Lieve Gies suggère que la couverture médiatique britannique des sujets relatifs aux droits de l’homme montre qu’une distinction est faite entre l'idée des libertés civiles et l’idée de droits de l’homme. Elle observe que les médias traitent les libertés civiles comme quelque chose de traditionnel, sacralisé par le temps, lié à l'idée d'un État minimaliste et les voient comme des principes fondamentalement britanniques. Les droits de l'homme, en revanche, sont perçus comme des importations étrangères, davantage associés aux

                                                                                                               

88 O’Boyle, 2011

89 Uerpmann-Wittzack, en Zeigler 2015

interférences de l'État dans la vie des individus et comme des restrictions aux les libertés de la majorité destinées à protéger les minorités.91 Pour Morgan, l'idée même de droits de l'homme, qui sont susceptibles de justifier des

restrictions à la liberté d’action des parlements démocratiquement élus afin de faire respecter la primauté du droit et de protéger les droits fondamentaux, est contraire à l'idée libérale traditionnelle selon laquelle les gens sont libres de faire ce qui leur plaît, sauf si l’action considérée a été spécifiquement interdite par la loi92.

Un autre thème qui se dégage de couverture médiatique des sujets relatifs aux droits de l'homme, en particulier dans la presse tabloïd, est que ces articles sont souvent erronés. 93 Il existe de nombreux exemples d’articles de mauvaise qualité, même dans la presse sérieuse « broadsheet ». David Mead a effectué une analyse de la couverture médiatique au Royaume-Uni des articles sur les droits humains en général94. Il y identifie trois catégories de problèmes : des histoires trompeuses, le surestimation du rôle joué par les droits de l'homme, et la tendance à blâmer la loi relative aux droits de l'homme pour toute difficulté.

Les articles trompeurs sont un réel problème pour le traitement des questions des droits de l’homme, et en particulier s’agissant de la Cour européenne des droits de l'homme : les journalistes brouillent fréquemment la distinction entre l'Union Européen et le Conseil de l'Europe – regroupant toutes les références à une ou l'autre institution sous le nom général de « Europe » ou

« européen ». Ce style de reportage qui attribue la responsabilité de toutes les questions relatives aux droits de l’homme à l’Europe (sans préciser de quelle « Europe » il s’agit) s’étend également aux cas où les décisions ont été prises par les tribunaux du Royaume-Uni, mais où ils ont fait référence à la loi relative aux droits de l'homme (1998). Mead, remarquant cette confusion, ne

                                                                                                               

91 Gies, en Zeigler 2015

92 Morgan, 2002

93  Pas étonnant quand on considère que les statistiques de 2013 montre que The Daily Mail et The Sun étaient les objets de 55,5% des plaints au Press Complaints Authority (source Brian Cathcart, Huffingtonpost.co.uk)

parvient pas à déterminer si elle est le résultat de la paresse journalistique ou si elle est intentionnelle et s’inscrit dans le cadre plus large d’un narratif eurosceptique. Gies suggère que, pour les médias britanniques, toutes choses européennes sont perçues comme étant éloignées et étrangères : de nombreux journalistes ne font pas de distinction réelle entre les différentes institutions et organisations regroupées sous le nom d’ « Europe ». Elle cite le chef de la délégation de la Commission européenne au Royaume-Uni, qui a dit que l'ignorance dans les médias britanniques « n’est jamais plus manifeste que lorsque l'Union européenne est utilisée comme un terme générique pour désigner quoi que ce soit de vaguement européen ou basé à Bruxelles »95.

Un autre problème commun à nombre d’articles sur les droits de l’homme est que les histoires rapportées ne sont pas fondées en fait. Par exemple,

plusieurs journaux ont régulièrement suggéré que le gouvernement

britannique serait tenu de payer des millions de livres en compensation aux prisonniers qui se sont vu refuser le droit de vote. La Cour européenne des droits de l'homme a clairement dit dans les cas successifs qu’elle a jugés que le constat d'une violation représentait une satisfaction équitable suffisante et, par conséquence, a rejeté l'idée d'accorder toute indemnité aux plaignants. Les médias britanniques, cependant, continuent de suggérer le contraire. La deuxième catégorie de difficultés identifiée par Mead tient à la

surestimation ou au travestissement du rôle joué par les droits de l'homme dans une histoire donnée. Le cas célèbre de Maya le chat est un excellent exemple de cette surestimation. Dans son discours à la convention annuelle du Parti conservateur en 2011, la ministre de l'Intérieur Theresa May a cité un article de presse qui a suggéré que un juge avait refusé une demande

d'extradition fait par le gouvernement parce que l'homme concerné possédait un chat au Royaume-Uni : son expulsion aurait constitué une violation de son droit à une vie familiale normale (article 8 de la Convention). En fait, le juge avait refusé son expulsion à cause de l'échec du Home Office à suivre ses propres lignes directrices pour ce cas. L'affaire, datant de 2008, avait été

                                                                                                               

reportée erronément dans les médias à plusieurs reprises. Dans cet exemple, les droits de l'homme ont été utilisés comme bouc émissaire pour cacher un échec administratif. A titre d'exemple du travestissement des droits de

l'homme dans les médias, Mead cite le cas « KFC ». Dans ce cas célèbre, le journal The Sun a affirmé qu'un prisonnier protestant sur le toit d'une prison a reçu de la nourriture de KFC en raison de préoccupations pour ses droits de l'homme.96 La police avait certes accepté que l'homme se voie donner de la nourriture de KFC, mais cela faisait partie de leur stratégie de négociation pour qu’il accepte de descendre du toit et n’avait strictement rien à voir avec une quelconque préoccupation pour la protection de ses droits humains. La troisième catégorie dégagée par Mead est la suggestion que les médias sapent volontairement les droits de l'homme par la publication de récits et reportages confus. Il attribue cela pour partie au journalisme de mauvaise qualité, confronté à des pressions sévères sur les budgets, à la concurrence avec les médias en ligne et à la nécessité de produire des histoires simples pour attirer l’attention. L'exemple proposé par Mead concerne une décision de la Haute Cour d'accorder à un groupe d’Afghans l'autorisation de rester au Royaume-Uni. Le ministre de l'Intérieur et le Premier ministre Tony Blair avaient très publiquement exprimé leur colère face à cette décision. Le

reportage médiatique a laissé entendre que la décision du juge se fondait sur des préoccupations relatives aux droits de l’homme. Cependant, ce que la Cour avait statué était que le ministre de l'Intérieur, qui avait tenté d'expulser le groupe, avait abusé de son pouvoir et ignoré le processus judiciaire. Le gouvernement avait omis de faire appel d'une décision antérieure en faveur des Afghans et les autorités avaient elles-mêmes été responsables d'un retard de deux ans dans le processus juridique ; en ignorant la décision précédente, le gouvernement avait tenté d'expulser le groupe. La décision de la Haute Cour était entièrement fondée sur la nécessité de respecter

l'application correcte de la loi et les processus judiciaires. Le jugement n’était dès lors que la traduction du rôle de surveillance dévolu aux tribunaux afin de contrôler et de prévenir d’éventuels abus de pouvoir par l’exécutif.

                                                                                                               

La colère du gouvernement a sans doute permis, à court terme, de masquer l'incompétence administrative du Home Office et son incapacité à mener une affaire correctement dans le cadre des processus juridiques légaux. Mais il a probablement entraîné des conséquences imprévues à long terme, en

contribuant à renforcer l'image négative des jugements relatifs aux droits de l'homme, vus comme contraires au sens commun et à l'opinion populaire. Andrew Tickell, écrivant en 2012 dans un blog britannique consacré aux droits de l'homme, a résumé le traitement médiatique et politique de la Cour européenne des droits de l'homme comme un « dominating victim-fantasy of a judicially embattled Britain which now so powerfully grips the conservative UK press and politics is a fact-free zone »97. Mead souligne que quelques jours seulement après que le Premier ministre et le ministre de l'Intérieur eurent critiqué ce cas, le Sun lançait une campagne pour abolir la loi relative aux droits de l'homme. Trois ans plus tard, une fois encore dans le journal

The Sun, David Cameron promettait d'abroger la loi relative aux droits de l'homme et de la remplacer par un « British Bill of Rights »98.

Le traitement médiatique des droits de l'homme en général, et de la Cour européenne des droits de l'homme en particulier, est sélectif et témoigne d’une préférence marquée pour le signalement des cas concernant des prisonniers, des terroristes, des criminels et des immigrants, généralement d'une manière négative. Cette couverture ne présente évidemment qu'une vision partielle de l'ampleur des affaires traitées par la Cour et renforce l'idée que la protection des droits de l'homme est le domaine des « autres », un groupe de personnes en quelque sorte privilégiées par rapport au lecteur moyen du Sun ou du Daily Mail, ou pour utiliser une phrase actuellement très populaire chez les politiciens britanniques, distincts des familles travailleuses et respectueuses de la loi. Gies fait valoir que les médias ont tendance à présenter les accusés comme des étrangers inconnus, à distance du lecteur.

                                                                                                               

97  Tickell, 2012

Elle met en évidence la pertinence du concept de Margalit des relations « épaisses » et « minces » pour classer les gens en fonction de leur proximité avec les autres (proximité qui dépend de la familiarité, de la parenté, de la culture partagée, de l'histoire, des expériences ou de la nationalité)99. Elle suggère qu'une grande partie de ce qui est écrit sur les droits de l'homme dans les médias concerne les relations minces. Les seules similitudes entre le lecteur et la victime sont qu'ils sont tous les êtres humains. Cela signifie que le lecteur peut rester un observateur détaché de l'histoire et de se sentir en sécurité en sachant qu'il n’est pas susceptible de subir le même sort ou de connaître quelqu'un dans cette situation. Le lecteur est dès lors moins

susceptible d'éprouver de l’empathie et est davantage prompt à formuler des jugements moraux. Si la personne qui prétend être victime de violations des droits humains est considérée d’une manière ou d’une autre comme

responsable de son traitement, ou de ce qu’elle a vécu (par exemple si un détenu condamné se plaint qu'il a ensuite été privé du droit de vote en raison de cette condamnation), la couverture médiatique est plus susceptible de le blâmer et de lui appliquer des étiquettes négatives, sous-entendant qu'il est moins digne d'avoir ses droits protégés en raison de ses actions précédentes. A l'inverse, quand une personne peut être présentée comme vulnérable et inoffensive, comme c’est généralement le cas pour les femmes et les enfants, la couverture médiatique est davantage susceptible de générer une

sympathie populaire. Le cas de Gary MacKinnon est ici un excellent exemple. Un soutien populaire et médiatique s’était manifesté pour empêcher

l’extradition de M. MacKinnon aux États-Unis, accusé d’avoir piraté le système informatique du Pentagone. Il a été décrit dans les médias comme un jeune homme vulnérable avec des difficultés sociales, avec un accent considérable mis sur sa jeunesse, sa vulnérabilité et sa naïveté, contrastant fortement avec la force des États-Unis et du Pentagone et leur pouvoir intimidant. A cela s’est ajouté le rôle important joué par sa mère qui, en cherchant à empêcher l'expulsion de son fils vulnérable, en faisant appel au soutien d’autres mères, a renforcé le message selon lequel elle était une

                                                                                                               

simple mère essayant de protéger son enfant d'un sort injuste et a contribué à générer une forte empathie populaire pour lui – bien plus forte que ce qui est observé dans la plupart des cas concernant les droits de l’homme. La ministre de l'Intérieur a finalement rejeté la demande des États-Unis d’extrader M. MacKinnon.

14. Que cachent ces messages critiques, avis et opinions?

a. La réaction contre la loi relative aux Droits de l'Homme

La loi relative aux Droits de l'Homme a été un point de départ de la tradition juridique britannique en ce qu'elle a changé la relation entre le Parlement, l'exécutif et le pouvoir judiciaire. Elle a modifié la nature de la souveraineté parlementaire.

La proposition du Parti travailliste visant à incorporer la Convention

européenne dans le droit britannique par le biais de la loi relative aux Droits de l'Homme, a été formulée ainsi afin de retrouver un contrôle sur les droits de l'homme protégés par la Cour de Strasbourg. Ce projet de loi a ainsi été intitulé «Rights brought home: the Human Rights Bill ». La loi relative aux Droits de l'Homme cherchait à améliorer la cohérence des jugements entre les juridictions nationales et la Cour européenne des droits de l'homme en incorporant le texte intégral de la Convention dans le droit interne. Le but était de permettre aux juges britanniques de prendre des décisions basées sur le même texte que les juges de Strasbourg et de favoriser un processus de dialogue entre les juges du Royaume-Uni et les juges de Strasbourg. La base des propositions actuelles des Conservateurs est un désir de

réaffirmer que le Parlement est la principale source du droit au Royaume-Uni et que la Cour suprême devrait être le seul arbitre et interprète de la loi britannique. Les objectifs du Parti travailliste avec la loi relative aux Droits de l'Homme et les propositions des conservateurs visent tous les deux à

augmenter le rôle du Royaume-Uni et de ses juridictions nationales pour trancher les litiges portant sur des droits de l’homme. Cependant, leurs approches pour atteindre un tel objectif commun est le résultat d'une

interprétation très différente des relations entre le Royaume-Uni et la Cour européenne des droits de l'homme.

La loi relative aux Droits de l'Homme a eu des partisans et des adversaires lors de son adoption. Morgan pense que la loi relative aux Droits de l'Homme a essayé de rassembler deux points de vue incompatibles sur ce que sont les droits de l’homme. Il fait valoir que les droits de l’homme sont absolus, un produit de la raison et qu'ainsi, ils transcendent la politique, qui positionne les juges comme les gardiens des droits fondamentaux. Il trouve que la

proposition de loi était antidémocratique et basée sur une fausse hypothèse à savoir que les juges et les avocats ont des pouvoirs suprêmes

d'interprétation. L'alternative est d'accepter que les droits de l'homme soient controversés et l'objet légitime d'un débat politique. Il suggère que si tel est le cas, l'objet des droits de l'homme doit donc être débattu par le public et le Parlement, plutôt que par le pouvoir judiciaire. Dans cette vision des droits de l'homme, Morgan suggère que ces droits sont contestables et culturellement spécifiques, mais également que les décisions concernant les droits de l'homme sont politiquement importantes. Sur cette base, il se demande si la loi relative aux Droits de l'Homme était justifiée puisqu'elle a écarté le

Parlement du débat sur ce qui est juste pour la société, ce qui est inapproprié