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ASPECTS BIOLOGIQUES 101 chez des individus cliniquement vierges d’atteintes cognitives (Mufson,

La Maladie d’Alzheimer

3.3. ASPECTS BIOLOGIQUES 101 chez des individus cliniquement vierges d’atteintes cognitives (Mufson,

Ikonomo-vic, et al., 2016). De même, les dosages de ces biomarqueurs du LCR sont forte-ment liés (i.e. déficit d’Aβ1−41 d’un côté, augmentation de T- et P-Tau de l’autre ; Dubois et al., 2014 ; Mufson, Ikonomovic, et al., 2016).

Ces deux biomarqueurs caractéristiques de la MA semblent par ailleurs parta-ger une caractéristique commune, laquelle mime les processus observés dans les pathologies à prions : leurs représentants anormaux/toxiques semblent en capa-cité de convertir en formes pathologiques leurs équivalents sains (Bloom, 2014 ; Scheltens et al., 2016).

Certaines études mirent en évidence des interactions entre ces deux proces-sus pathologiques (Bloom, 2014 ; Mufson, Ikonomovic, et al., 2016). Elles seraient d’ailleurs bidirectionnelles avec une influence de l’Aβ sur la tauopathie et de la protéine Tau sur l’amyloïdose.

Ainsi, des travaux démontrèrent que les oligomères Aβ induiraient des modifica-tions directes de Tau (Bloom, 2014). En effet, de nombreuses études ont observé l’augmentation significative de DNF post-injection d’Aβ (Bloom, 2014). Ces don-nées sont, pour certains, un argument en faveur de l’antériorité de l’amyloïdose sur la tauopathie.

À l’opposé, d’autres résultats pointeraient le fait que l’anormalité de Tau entraî-nerait une toxicité de l’Aβ. En effet, il semble que la quantité de Tau soit corrélée au nombre de plaques et que l’élimination de la tauopathie, dans des modèles murins, protégerait des effets négatifs de l’amyloïdose (Bloom, 2014).

Au total, ces données mettraient en évidence une relation bidirectionnelle entre

Aβ et Tau. Forts de ces résultats, les auteurs suggèrent qu’un processus, initié par

l’Aβ, entraînerait le dysfonctionnement de Tau, lequel influencerait lui-même l’Aβ en retour (Bloom, 2014). Cette idée est à l’origine d’une conception, aujourd’hui dominante, de la pathologie : l’Hypothèse de la Cascade Amyloïde.

Figure 3.3 – Lésions emblématiques de la MA, d’après Masters et al. (2015)

3.3.6 L’Hypothèse de la Cascade Amyloïde

Historiquement, les premières preuves ayant mené à la formulation de l’hypo-thèse de la cascade amyloïde proviennent de l’étude des patients atteints d’un syndrome de Down45 (Glenner & Wong, 1984 ; Hardy & Higgins, 1992 ; Hardy & Selkoe, 2002 ; Selkoe, 1991 ; Selkoe & Hardy, 2016). Depuis longtemps, de nom-breux travaux portant sur les facteurs de protections et risques de développer une MA ont pu établir le fait que la prévalence de cette dernière était largement su-périeure chez les patients atteints d’un syndrome de Down comparativement à la population générale – soit entre 80% et plus de 90% de risques de développer la maladie au-delà d’un certain âge (Rafii & Santoro, 2018 ; Salehi, Ashford, & Muf-son, 2016 ; Strydom et al., 2018). En effet, chez ces patients, certains auteurs ont observé l’apparition de lésions tout à fait indistinguables de celles rencontrées dans la MA, à savoir les plaques Aβ et les DNF (Hardy & Selkoe, 2002 ; Selkoe, 1991). Des études cross-sectionnelles ont pu préciser la chronologie des événements, ren-dant compte de la présence de plaques Aβ chez cette population dès la seconde ou troisième décennie (soit chez plus de 95% des patients au-delà de 35 ans ; Selkoe, 1991 ; Strydom et al., 2018). À l’opposé, ces mêmes études ne faisaient mention que de faibles quantités des autres types de lésions emblématiques de la MA, et

3.3. ASPECTS BIOLOGIQUES 103 notamment des DNF (Selkoe, 1991). Ces résultats démontraient donc l’antériorité de la pathologie amyloïde chez ces individus (Hardy & Selkoe, 2002).

Ce sont par ailleurs ces recherches qui permirent d’établir les premières preuves qu’une mutation génétique, et le cas échéant une mutation du gène codant pour l’APP situé sur le Chr.21, pouvait être définie comme causale d’un processus bio-logique induisant le dépôt de plaques Aβ et, in fine, une MA (Hardy & Higgins, 1992 ; Hardy & Selkoe, 2002 ; Selkoe & Hardy, 2016). Des travaux ultérieurs per-mirent d’affiner la description du processus précis menant à l’accumulation d’Aβ dans l’espace extracellulaire. Ces derniers mirent en évidence diverses mutations du gène APP qui, à elles seules, étaient suffisantes pour induire une amyloïdose (i.e. soit plus de 25 mutations différentes rien que concernant le gène de l’APP ;

Hardy & Higgins, 1992 ; Hardy & Selkoe, 2002 ; Selkoe & Hardy, 2016 ; Thinakaran & Koo, 2008). Ces dernières se révélèrent par ailleurs suffisantes pour entraîner chez le sujet porteur une MA héréditaire avec un déclenchement précoce (Hardy & Higgins, 1992). Ainsi, la preuve était faite que la MA pouvait être causée par une mutation génétique induisant l’accumulation précoce d’Aβ.

Cette première description chronologique d’une pathologie génétique – i.e. le Syndrome de Down – fut ensuite réitérée et confirmée avec d’autres types de mutations (de l’APP ou des gènes PS1 ou PS2) induisant des formes familiales de la MA (Bateman et al., 2012 ; Scheltens et al., 2016 ; Veugelen et al., 2016). Dans tous ces cas (i.e. une mutation génétique entraînant un processus pathologique de type Alzheimer), les chercheurs démontrèrent que les lésions Aβ survenaient avant les autres types de lésions emblématiques de la MA (Dubois et al., 2016 ; Scheltens et al., 2016 ; Selkoe & Hardy, 2016). D’autres études, portant cette fois sur des participants sans antécédents familiaux (i.e. participants MCI ou présentant une MA sporadique), répliquèrent ce résultat (Jack, Weigand, Knopman, & Gregg, 2013 ; Villemagne et al., 2013).

L’ensemble de ces observations déboucha sur l’hypothèse d’une causalité du dépôt d’Aβ dans la MA, avec l’idée donc que les autres lésions ne seraient que consécutives de cette prime lésion (Hardy & Higgins, 1992 ; Jack et al., 2010 ;

Mormino et al., 2016 ; Selkoe & Hardy, 2016).

Dans ce cadre, les auteurs considèrent que l’Aβ pourrait avoir une action neurotoxique. Elle entraînerait l’apparition des DNF et la mort cellulaire, ce qui mènerait ultimement à un état de démence caractéristique de la MA (Hardy & Higgins, 1992 ; Jack et al., 2010 ; Mufson, Ikonomovic, et al., 2016 ; Selkoe & Hardy, 2016). Selon les auteurs, la présence anormale de dépôts d’Aβ perturberait le milieu cérébral dans son homéostasie et déréglerait les échanges intra-/extra-cellulaires (i.e. augmentation de la concentration de Ca2+ 46 intra-membranaire). Selon cette hypothèse, ce dérèglement pourrait provoquer le processus générant les DNF intraneuronales (i.e. la phosphorylation pouvant être sous le contrôle du calcium présent dans l’espace intra-membranaire ; Hardy & Higgins, 1992).

Ainsi, l’accumulation d’Aβ cérébrale serait à l’origine des modifications bio-logiques de la MA, ce bien avant les premiers signes d’atteintes cognitives clini-quement décelables (Andrews et al., 2016 ; Jack et al., 2010). Ce modèle, né dans les années 1990 (Hardy & Higgins, 1992 ; Selkoe, 1991), notamment à l’issue des travaux de Georges Glenner et Caine Wong (1984), est aujourd’hui dominant pour expliquer la genèse du processus pathologique survenant dans la MA (Selkoe & Hardy, 2016, 2016). Il est d’ailleurs très utilisé dans l’élaboration et le dévelop-pement de traitements (Canter, Penney, & Tsai, 2016 ; Cummings et al., 2016 ; Cummings, Lee, Mortsdorf, Ritter, & Zhong, 2017 ; Cummings, Morstorf, & Lee, 2016 ; Selkoe & Hardy, 2016). Néanmoins, actuellement, aucun traitement efficace n’a encore pu être mis au point (Canter et al., 2016). En effet, sur plusieurs cen-taines d’essais entrepris au cours des dernières décennies, et en dépit de résultats préliminaires parfois encourageants47, aucune molécule n’a pu produire de modifi-cations suffisantes ou satisfaisantes et les essais furent tous interrompus (Canter et al., 2016 ; Edwards, 2019 ; Langley et al., 2017 ; Mehta et al., 2017 ; Small & Duff, 2008). Une part importante des molécules testées étant élaborée sur la base de l’hypothèse de la Cascade Amyloïde, cet état de fait fut un argument

supplémen-46. i.e. ions calcium.

47. L’exemple le plus récent étant l’Aducanumab (Sevigny et al., 2016), dont l’essai fut inter-rompu début 2019 faute de résultats suffisants