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L'art n'est pas la science : les deux cultures

Entre Art et Science : le design

II.I. L'art n'est pas la science : les deux cultures

II.I.1. La Rede lecture de C.P. Snow

« The two Cultures » est le titre ainsi que la première partie d'une conférence prononcée le 7 mai 1959 lors d'une Rede Lecture, à la Senate House de Cambridge, par le chimiste et essayiste britannique C. P. Snow. Les Rede Lecture constituent une tradition de grandes conférences ayant ses racines au 16e siècle, et s’étalant jusqu’à aujourd’hui, où l'on a pu traiter tout autant de la thermo-électricité (1873), que du choeur dans la tragédie grecque (1912) et des mécanismes du cerveau (1933). Les thèses contenues dans l'intervention de Snow, qui est encore débattue aujourd'hui — même si elle est plus citée à titre de référence emblématique que l'objet d'analyses détaillées — avaient été l'objet de deux publications antérieures : un article du même titre, paru dans The New Statesman du 6 Octobre 1956, et un autre dans le Sunday Times des 10 et 17 mars. Mais aucun ne fit grand bruit avant cette lecture, qui eut un écho retentissant. Elle sera traduite et publiée en français en 1968, accompagnée d'un second texte que Snow rédigea, quatre ans après la conférence de la fondation Rede, en 1963, en réponse aux nombreux débats qu'elle a engendré. Ce que Snow mentionne dans la préface à la seconde édition :

« La conférence que j'avais prononcée ayant fait l'objet de nombreuses controverses, j'ai

jugé préférable de ne modifier en rien mon texte original, à l'exception de deux légères inexactitudes que j'ai rectifiées.

Dans la seconde partie de cet ouvrage, j'ai, comme l'indique son titre, repris le thème de ma conférence à la lumière des divers commentaires qu'elle avait suscités, et aussi parce que quatre années se sont écoulées depuis sa première rédaction. C.P.S. 23 septembre

1963 »

Dans cette conférence, le « constat » énoncé par Snow (qui peut être considéré comme une complainte) est celui que la vie intellectuelle de la société qui l'entoure est séparée en deux. Il jette un éclairage particulier sur cette polarité, « dialectique », qu'il qualifie d'incompréhension, voire d'antipathie, entre scientifiques et intellectuels littéraires :

« Je crois que la vie intellectuelle de l'ensemble de la société occidentale tend de plus en plus à se scinder en deux groupes distincts ayant chacun leur pôle d'attraction (…) Deux groupes, donc, ayant chacun leur pôle d'attraction : à un pôle, nous avons les intellectuels littéraires, qui se sont mis un beau jour, en catimini, à de qualifier d’« intellectuels » tout court, comme s'ils étaient les seuls à avoir le droit à cette appellation. (…) Des intellectuels littéraires à un pôle — à l'autre des scientifiques, dont les plus représentatifs sont les physiciens. Entre les deux, un abîme d'incompréhension mutuelle — incompréhension parfois teintée, notamment chez les jeunes, d'hostilité et d'antipathie.» (Snow, 1959/1968, p.4)

Il évoqua le fossé grandissant entre les intellectuels littéraires et les scientifiques professionnels, observant par exemple que :

« Un océan est, à vrai dire, bien peu de chose en regard de la distance qui les sépare. Il suffit en effet de traverser l'atlantique pour s'apercevoir que Greenwich Village parle exactement le même langage que Chelsea, l'un et l'autre ayant à peu près autant de rapports avec l'Institut de technologie du Massachussetts que si les scientifiques s'y exprimaient uniquement en tibétain » (Op.cit., p. 13)

Il affirme clairement une dichotomie, en réponse à la distinction « intellectuels / non-intellectuels » qu'il dénonce, par la séparation « scientifiques/non-scientifiques ». Snow toutefois ne cherche pas à y analyser théoriquement une opposition entre une culture qui serait humaniste et une autre qui serait scientifique. Ce qu'il pointe, c'est un manque de communication entre les littéraires et les scientifiques (étant lui-même intéressé des deux), qui conduit à des interprétations caricaturales d'un côté comme de l'autre, car basées sur deux clichés :

« Les non-scientifiques sont fermement convaincus que les scientifiques n'ont aucune conscience de la condition humaine et que leur optimisme est un optimisme de surface. Les scientifiques, de leur côté, croient que les intellectuels littéraires sont des gens aux vues courtes, singulièrement indifférents à leurs semblables, foncièrement anti-intellectuels et soucieux

de réduire l'art et la pensée au moment existentiel. Toute personne modérément douée pour l'invective pourrait accumuler de menus griefs de ce genre. Ces propos, de part et d'autre, ne sont pas toujours entièrement dénués de fondement. Mais ils présentent un caractère éminemment destructeur et reposent en grande partie sur de fausses interprétations qui sont dangereuses. Qu'il me soit permis d'examiner deux des préjugés les plus profondément ancrés dans les esprits, un pour chaque camp. » (Op.cit., p. 17)

Le constat de Snow est radical, malgré (ou justement) son attachement personnel aux pratiques littéraires et scientifiques. Si l'on suit son découpage, et en considérant évidemment qu'il écrit ces mots dans le contexte de mésententes dans son environnement de Cambridge de l'époque19 — les scientifiques et les littéraires y mènent une dispute intense (voir : Bayle, 1984) — ce n'est pas véritablement selon nous à élargir, ou à réduire, à la dichotomie scientifiques / artistes. Car Snow déplore le manque de contact, avant tout car il est pour lui la manifestation d'une grande perte de créativité :

« Dire que c'est dommage ne servirait à rien. C'est d'ailleurs bien pire que cela. (...) (Mais) au cœur même de la pensée et de la création, nous laissons se perdre quelques-unes de nos meilleures chances. De la rencontre de deux sujets, de deux disciplines, de deux cultures (autant dire de deux galaxies) devraient, normalement, jaillir des chances créatrices. Dans l'histoire de l'activité mentale, c'est ainsi que des interpénétrations ont pu se produire. Ces chances, elles existent ; elles sont là, à notre portée. Mais elles demeurent pour ainsi dire isolées dans le vide, faute pour les deux cultures de pouvoir se parler. » (Snow, 1959/1968, p. 31)

L'enjeu de la « création » est inclus autant dans les arts poétiques et leur discursivité que dans l'énoncé de la science dans la finesse de ses démonstrations, sur des modes sur lesquels nous reviendrons, de même que les relations entre la littérature et l'art aux sens larges de leurs acceptions dépassent les contingences des seuls paradigmes langagiers, ce que nous avons vu au chapitre précédent dans la pensée contemporaine de l'image. D'ailleurs, par cette lecture, non sans avoir plus tard dit qu'il y avait joué le rôle de provocateur car elle fait presque figure de manifeste, Snow présente plutôt le problème d'une dialectique entre deux conceptions de la « culture », induites et construites par

19 Tel que Snow le mentionne lui-même : « Cette conférence ayant été prononcée à Cambridge, je me suis référé à des noms et des exemples connus de mon auditoire, et sur lesquels il était inutile, en l'occurrence, de fournir de plus amples précisions. » Snow, C.P, op. cit, Note 2, p 149.

Il ajoutera en 1963, suite aux réactions que sa conférence a suscité : « (…) j'aurais dû, je crois, porter bien davantage l'accent sur le fait que je parlais en tant qu'Anglais, me référant principalement aux mœurs et aux usages de mon pays. Je l'avais, du reste, indiqué. J'avais également indiqué que cette dualité de la culture est, semble-t-il, beaucoup plus accentuée en Angletarre que partout ailleurs. Je m'aperçois à présent que je n'avais pas suffisamment insisté là-dessus. » (Snow, 1963, p.105)

deux « champs », bien qu'il mentionne le risque assumé d'avoir choisi cette bipolarité des savoirs et des pratiques, qui a pu être qualifiée d’ « économie du binaire » (Jones et Galison, 1998) :

« Le chiffre 2 est un chiffre très dangereux : c'est pourquoi la dialectique est, elle aussi, un instrument très dangereux. Toute tentative en vue de diviser quoi que ce soit par deux devrait, a priori, nous inspirer une extrême méfiance. J'ai longtemps songé à modifier mon titre initial en le nuançant quelque peu : mais j'ai, tout compte fait, décidé que mieux valait en rester là. Je cherchais quelque chose qui fût un peu plus qu'une brillante métaphore et beaucoup moins qu'une carte géographique de la culture. Dans cette optique, la dénomination « les deux cultures » est encore ce qu'il y a de mieux ; et raffiner davantage n'eût fait que compliquer le problème. » (Snow, Op.cit, p. 22)

Fondant ce qu'il considère comme la science sur le modèle qui l'occupe, la physique et la chimie, toutes les autres formes de « pratiques » sont par le fait non-scientifiques, et c'est là l'enjeu de notre examen, qui nécessite somme toute de faire un détour sur son utilisation du terme « culture » :

— Au pôle scientifique : « la culture scientifique est réellement une culture » pour Snow, non seulement sur le plan intellectuel, mais sur le plan anthropologique du terme, en tant que les scientifiques sont un groupe de personne évoluant dans le même milieu et liées par des usages, des croyances, et des modes de vie commune20» (Snow, 1963, p.99) :

« (…) il existe des attitudes communes, un cadre de référence et des modes de comportement communs, des façons communes d'appréhender les problèmes et de formuler les hypothèses. Tout cela constitue un lien singulièrement plus fort et plus profond que ceux qui unissent les membres d'une même religion, d'un même parti ou d'une même classe sociale. » (Snow, 1968 [1959], p. 22)

Si dans ce groupe « les scientifiques », les humains qui s'en réclament n'ont pas les mêmes opinions, formations, origines, la compréhension parfaite n'est pas nécessaire, entre physiciens et biologistes par exemple, car d'après Snow ils ont une attitude commune : la rigueur et la discipline que leur impose la méthode scientifique :

« Ils ont leur propre culture — intensive, rigoureuse et rien moins que statique. Cette culture est en grande partie fondée sur le raisonnement, un raisonnement généralement très strict qui se situe presque toujours à un

20 Il est à ce titre intéressant de constater que chez Snow il y a la confusion entre « Culture scientifique » et « recherche scientifique » (Voir : Bayle, 1984)

niveau conceptuel plus élevé que celui des littéraires, bien que les scientifiques emploient certaines termes dans des acceptions totalement étrangères aux non-scientifiques : leur vocabulaire correspond à des définitions précises et, lorsqu'ils font usage de mots tels que « objectif », « subjectif », « philosophie » ou « progressif », ils savent fort bien de quoi ils parlent, même si le commun des mortels y attribue d'ordinaire une tout autre signification. » (Snow, p. 26-27)

En outre, en suivant l'auteur, quelles que soient leurs convictions politiques ou religieuses, leur appartenance de classe, les scientifiques regardent essentiellement vers l'avenir, avec l'idée commune selon laquelle « la science avance » — cette dernière mention est notamment en opposition à l'attitude des littéraires, qui regardent et encensent le passé. Et l'ensemble de ces traits communs constitue une culture :

Dans leur travail, dans leur vie affective, ces gens-là ont une façon de penser qui s'apparente beaucoup plus à celle des autres scientifiques qu'à celle des non-scientifiques ayant, en matière de religion, de politique, etc., la même étiquette qu'eux. Si j'osais risquer pareille métaphore, je dirais qu'ils ont, par tempérament, l'avenir dans le sang. Ils ne seront peut-être pas d'accord avec moi : mais le fait est là. (…) D'instinct, tous ont les mêmes réactions. C'est cela qu'on appelle une culture. (…) Les attitudes de l'un des pôles deviennent les anti-attitudes de l'autre. Si les scientifiques ont l'avenir dans le sang, la culture traditionnelle, elle, réagit, en cherchant à ignorer cet avenir, à faire comme s'il n'existait pas. C'est la culture traditionnelle qui, dans une mesure que l'apparition d'une culture scientifique a singulièrement peu atténuée, régit et gouverne le monde occidental. » (Snow, 1968 [1959], p. 23-24)

Cette distinction caricaturale, est d'ailleurs suffisamment ancrée pour nous faire penser à des réminiscences — en le schématisant à gros traits — de la querelle qui opposa les Anciens et des Modernes :

« La version originelle a fait grand bruit à la fin du XVIIème siècle sous la forme de la célèbre querelle des Anciens et des Modernes (opposant Aristote et la Renaissance à Bacon et à Descartes, comme le raconta avec tant d'humour Jonathan Swift, qui se rangea parmi les Anciens face à une science conquérante dans sa délicieuse Bataille des livres. (…) Ma génération a fait connaissance avec la version moderne de cette vénérable querelle grâce au livre, souvent cité mais rarement lu, de C.P. Snow sur les « deux cultures ». » (Gould, 2003/2005, p.39).

C'est d'ailleurs à resituer la chronologie historique de ce « pseudo-conflit » que c'est consacré S. J. Gould dans son livre Le renard et le hérisson. Pour réconcilier la science avec les

humanités21. En effet :

« (De plus) si logiques qu'elles puissent paraître, et avalisées par le cours de l'histoire, nos taxonomies des disciplines sont les résultats, largement arbitraires et contingents, de normes sociales et de pratiques universitaires anciennes qui sont devenues des obstacles à notre compréhension. » (Gould, Op.cit. p. 38)

Snow n'oppose pas le créateur « humaniste » au scientifique, au contraire il émet le regret que cette polarisation fasse perdre à l'activité intellectuelle :

« Cette polarisation représente pour nous tous une perte pure et simple : pour nous en tant qu'individus, et aussi pour notre société. C'est une perte à la fois sur le plan pratique, sur le plan intellectuel et sur celui de la créativité — encore que, je le répète, on aurait tort d'imaginer que l'on peut les dissocier nettement l'un de l'autre. » (Snow, p.24-25)

Une question se pose alors, que Bayle (1984): peut-on concevoir une « culture scientifique » hors d'une « vie scientifique » ? C'est-à-dire : « si l'on peut posséder une culture littéraire sans n'avoir jamais écrit un conte ou un roman, peut-on faire de même en matière de culture scientifique ? »

Pour Snow, le grand créateur scientifique, le savant, fut jusqu'aux années 1920 un homme de grande culture. Il se réfère notamment à Einstein qui discutait avec passion les auteurs russes, ou à Rutherford qui lisait énormément, ou encore G.H. Hardy qui était en relation avec le groupe de Bloomsbury22. (Bayle, 1984). C'est au chercheur plus « humble » qu'il se réfère, comme le souligne Bayle : « celui qui, de nos jours, est inclus dans une équipe par la nécessité des programmes de recherche et des budgets qu'ils nécessitent » (Bayle, 1984). Ce chercheur est souvent hyperspécialisé, et, comme le fait

21 N. Witkowski, le traducteur de Gould mentionne ceci dès les premières pages de la préface dans une note de bas de page : « Par « humanités », l'auteur entend ici tout ce qui n'est pas directement du ressort des sciences dites « exactes » : littérature, histoire, sciences sociales et humaines, philosophie, éthique, voire à l'occasion l'art et la religion. Quoique d'un usage moins courant en français moderne, le terme est conservé ici pour des raisons de simplicité et parce qu'une partie de l'argumentation, d'ordre historique, se réfère à une époque où il était plus employé qu'aujourd'hui. » p. 17. Or l'utilisation croissante ces dernières années du terme « humanités » lui redonne une actualité qui nous conduira également à l'utiliser, notamment sous l'impulsion du champ des Digital Humanities, en français Humanités numériques.

22 Lorsque Snow se réfère à G.H. Hardy, c'est car il le considère comme « l'un des mathématiciens « purs » les plus distingués de son époque ; c'était, à Cambridge, un personnage fort pittoresque, aussi bien lorsqu'il y était jeune professeur que lorsqu'il devint, en 1931, titulaire de la chaire de mathématiques de la fondation Sadler. » Snow, C.P., op. cit., Note 2 p. 149. (Note du traducteur)

remarqué J.-M. Lévy-Leblond dans L'Esprit de Sel (1981), « sa culture scientifique est souvent limitée à son propre sujet ».

Snow était dans une unité spéciale du WarOffice pendant la guerre (Halperin, 1983), où son rôle était de sélectionner des spécialistes, d'origines, de formations et d'opinions divers, dans l'objectif de développer des techniques dans les domaines du radar et de la physique nucléaire23. Ce qui lui permis d'interviewer grand nombre de scientifiques et qui forgea pour une part son envie de démontrer « le rôle que les scientifiques peuvent et doivent jouer auprès du pouvoir politique » (Bayle, 1984) :

« La Grande-Bretagne compte environ cinquante mille hommes de science et quatre-vingt mille ingénieurs ou chercheurs travaillant dans le domaine des sciences appliquées. Pendant la guerre et au cours des années qui l'ont suivie, mes collègues et moi-même avons eu à en interviewer à peu près tente à quarante mille, soit, en gros le quart. (…)

Nous avons pu déterminer dans une certaine mesure ce qui faisait l'objet de leurs lectures, de leurs réflexions. Et je dois avouer que, même moi qui les aime et les estime, j'ai été assez ébranlé par ce que nous a révélé cette enquête. (…) Bien sûr, quelques-uns des hommes de science les plus éminents ont été — et son toujours — des esprits extrêmement actifs et curieux. Et nous en avons rencontré plusieurs qui avaient lu tout ce dont les littéraires parlent volontiers entre eux. Mais le cas demeure très rare. » (Snow, Op.cit. p.26)

Pour Snow, cette culture « humaniste » des scientifiques réside essentiellement en ce qu'ils ont l'exigence et sont surtout sensibles à la musique :

« Leur culture est, à bien des égards, une culture digne d'admiration. L'Art n'y est guère à l'honneur, à l'exception (et l'exception est de taille) de la musique. (…) L'oreille — et, dans une certaine mesure, l'œil. » (Snow, Op.cit., p. 27)

La lecture de livres y occuperait une place faible, le scientifique qu'il décrit préférant à l'outil littéraire les outils techniques à sa disposition. En revanche, les scientifiques ont le sens de leur responsabilités sociales et un haut sens moral, la « morale étant partie intégrante de la science elle-même, et presque tous les scientifiques forment, dans ce domaine, leur propre jugement. » (Snow, Op. cit., p.27-28) Cette prise de position lui

23 Voir la biographie faite par J. Halperin, C.P. Snow An oral Biography, Harvester press, 1983. Voir également les relations entre science et pouvoir chez Snow, C.P, « Science and Government », in Public Affairs, Mac Millan, London, 1971, et l'étude de J.A. Brunet, « C.P. Snow, théoricien du pouvoir » dans Le pouvoir dans la littérature et la pensée anglaises, Centre Aixois de recherches Anglaises, Université de Provence, Aix, 1981.

value d'ailleurs d'être qualifié de « chargé des relations publiques pour l'establishment scientifique » par le critique littéraire F.R. Leavis, qui dans son essai Two Cultures?: The

Significance of C. P. Snow(1972), publié dans The Spectator, répondra à Snow dans une critique acerbe, personnelle même24, au-delà de la seule discussion de ses arguments (Gould, 2003).

— Au pôle littéraire, Snow oppose une gamme d'attitudes qui serait d'emblée plus vaste. Si le constat de Snow est de révéler un appauvrissement de la culture littéraire et de la lecture en général chez les scientifiques, l 'appauvrissement culturel vis-à-vis de la science serait peut-être encore plus grave chez les littéraires, car ils en tirent « vanité ». Selon l'auteur, pour les intellectuels littéraires, il n'existe qu'une culture, la culture traditionnelle. L'ensemble des sciences dans leur profondeur et leur complexité, résultat d'un remarquable travail collectif, leur est étranger :

« Comme si les lois de la nature n'existaient pas. Comme si l'étude de ces lois ne présentait pas d'intérêt ni en soi, ni sur le plan pratique. Comme si l'édifice scientifique du monde physique n'était pas, dans sa profondeur intellectuelle, sa complexité et son articulation, l'œuvre collective la plus belle et la plus étonnante que l'esprit de l'homme ait jamais conçue. La plupart des non-scientifiques, toutefois, n'ont aucune idée de ce qu'est cet édifice. Ils ne le pourraient d'ailleurs pas, quand bien même ils le voudraient. On dirait que toute une catégorie d'intellectuels est atteinte de surdité tonale — à ceci près que cette surdité tonale est le fait, non pas de la nature, mais de leur éducation — ou plutôt de leur absence d'éducation. » (Snow, Op.cit., p. 28-29)

La conférence de Snow accusait le système éducatif britannique d'avoir depuis l'époque victorienne privilégié l'étude des humanités au détriment des sciences, alors même que

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