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L’arrivée de la « guerre froide » à l’Hôtel de Ville (1946-1948) Les prémices de cette fragmentation qui déchirera le tissu social de Rome pendant

toute la « Première République italienne » (1946-1993), se manifestent déjà quelques mois après la fin du conflit mondial : entre juin et novembre 1946, les Romains sont appelés, en effet, à voter pour la formation de la première administration municipale post-fasciste, pour l’Assemblée constituante et à choisir le cadre institutionnel du nouvel État démocratique (monarchie ou république). L’antagonisme farouche entre les démocrates-chrétiens et les socialo-communistes explose durant les campagnes qui précèdent ces élections, en passant de l’échelle nationale au niveau citadin : si dans les compétitions qui relèvent d’une importance nationale - telles que le referendum institutionnel ou les élections à la Constituante - la DC est le parti dominant84, lors des confrontations communales, en revanche, qui l’emportent85. De ce fait, le rapprochement temporel des élections administratives et politiques, fait croître la pression sur la société romaine : bien que dans les gouvernements de transition, l’unanimisme antifasciste issu de la Résistance réunit encore formellement la DC et le PCI86, le test démocratique du suffrage universel - évènement inédit dans l’histoire d’Italie – finit par concrétiser sur le plan politico-matériel, l’affrontement idéologique qui dans l’immédiat après-guerre, s’est exprimé presque uniquement dans la presse, notamment satirique87. Toutes les craintes populaires jusque-là exorcisées par les

83 Il s’agit d’une tension permanente qui contribue à fomenter les craintes et les hostilités sans pour

autant arriver à se concrétiser en un véritable affrontement armé, comme cela s’était passé au contraire

dans l’Italie septentrionale pendant le premier après-guerre (1945-1947). Voir : Mirco Dondi, La lunga

liberazione. Giustizia e violenza nel dopoguerra italiano, Roma, Editori Riuniti, 2004.

84 La DC peut vanter, en effet, une réputation de parti équidistant des deux idéologies totalitaires, qui

lui a permis d’obtenir la direction de la transition institutionnelle : dès le 10 décembre 1945, c’est le leader démocrate-chrétien Alcide De Gasperi à guider politiquement la reconstruction du pays.

85 Au niveau local, où les exigences géopolitiques ne comptent pas, le visage rassurant de la DC perd

d’importance et les partis de gauche peuvent exprimer tout leur potentiel propagandiste en tant que héraut du changement et de la modernité.

86 Au sein d’un esprit de solidarité nationale, le parti communiste italien participe organiquement aux

gouvernements démocrates-chrétiens jusqu’en 1947.

87 Voir : Dario Pasquini, Tra il serio e il faceto. I giornali satirici italiani del dopoguerra 1944-1963,

“Italia Contemporanea”, n. 262, 2011, pp. 75-96. Voir aussi : Maurizio Cocco, Le vespe qualunquiste e

la satira politica, ”Diacronie”, n. 11, 2012, disponibile dans: http://www.studistorici.com/2012/10/29/cocco_numero_11.

dessinateurs commencent pendant ce printemps 1946 à s’incarner dans des noms et des visages proches et réels : la rhétorique irénique qui avait caractérisé le début de la reconstruction nationale disparait sous la menace concrète ou supposée de l’ennemi. Comme le remarque Giuseppe Talamo, même à Rome :

l’exigence d’ordre et de sécurité devient de jour en jour plus importante. La culture antifasciste, qui avait été déterminante dans les phases finales de la guerre […] est rapidement remplacée par une idéologie qui oppose à l’intérieur, comme au plan international, les communistes - avec les socialistes, leurs alliés - aux partis occidentalistes. Au sein de cette opposition, la droite, composée de partis monarchistes et de nostalgiques du régime fasciste (même de la dernière incarnation de Salò), tente […] de s’allier au centre démocrate-chrétien pour former un seul front anticommuniste88.

Toutes les inquiétudes sous-jacentes à de grands choix historiques – tels que la possibilité d’abolir la monarchie qui a gouverné l’État dès l’unification territoriale ou la composition de l’Assemblée constituante – se concentrent sur la capitale : en ce sens, Rome devient la vitrine nationale des tensions politiques de l’Italie d’après-guerre89, coincée entre l’appartenance obligée au camp américain90 et les promesses émancipatrices du « soleil de l’avenir »91. De ce fait, en vue du referendum institutionnel du 2 juin 1946, la réputation des socialo-communistes commence rapidement à se dégrader aux yeux des forces centristes qui gouvernent pendant la période de transition : les milieux modérés de Rome semblent en effet intérioriser, petit

88 Giuseppe Talamo, Profilo politico, in Luigi De Rosa (dir.), Roma del Duemila. Storia di Roma

dall’antichità a oggi, Roma-Bari, Laterza,2000, p. 14.

89 Voir par exemple le choix de l’organe de presse du PCI, « L’Unità », qui pour la veille du

referendum institutionnel met à la Une un appel à la population romaine. Voir : Roma voterà domani per

la Repubblica. Perchè nella repubblica democratica che sorgerà il due giugno si affermino i diritti dei lavoratori: votate per il Partito Comunista, “L’Unità”, 1er juin 1946.

90 L’Italie avait été libérée par l’intervention anglo-américaine et déjà les Accords de Yalta avaient

pris en compte l’extension de la sphère d’influence des États-Unis sur la Péninsule. D’autre part, la société italienne se montrait profondément reconnaissante et fascinée à l’égard des Américains, tandis que les premiers gouvernements d’après-guerre bénéficièrent des aides économiques du « Plan

Marshall ». Voir : Federico Romero, Gli Stati Uniti in Italia: il Piano Marshall e il Patto Atlantico, in

Francesco Barbagallo et al. (dir.), Storia dell’Italia repubblicana, cit.; Mauro Campus, L’Italia, gli Stati

Uniti e il Piano Marshall, 1947-1951, Roma-Bari, Laterza, 2008.

91 Sur les tentations alternatives à l’adhésion occidentaliste, voir : Lucia Zani, Il Mito del Piano

Quinquennale sovietico e il « sogno americano », in Paolo Bertella Farnetti et al., L’Urss, il mito, le masse, Milano, FrancoAngeli, 1991. Pour une vision comparée du rôle des partis communistes dans le

premier après-guerre en France et en Italie, voir : Gaetano Quagliariello, La transizione alla democrazia

in Italia e in Francia, in Id. et Elena Aga Rossi (dir.), L’altra faccia della luna. I rapporti tra Pci, Pcf e Unione Sovietica, Bologna, Il Mulino, 1997.

à petit, la peur d’une manipulation soviétique derrière le « cartel rouge », pour préparer la « socialisation bolchevique » du pays. Pour eux, suivant un syllogisme assez automatique, l’option républicaine soutenue farouchement par les partis de gauche en tant parcours de rupture intégrale avec le passé, devient suspecte. D’autre part, la monarchie - outre à pouvoir naturellement compter dans la capitale sur un auditoire et une clientèle spécifiques – a entamé une opération de requalification de sa propre image publique, moyennant l’abdication de l’impopulaire Vittorio Emanuele III92 en faveur du fils Umberto II, qui peut, en revanche, s’appuyer sur une réputation d’antinazi et de neutraliste93. De plus, dans le cadre du débat romain, l’autorité royale obtient le soutien du Vatican qui considère la monarchie comme dépositaire de l’âme christiano-occidentale du pays, tandis qu’à l’inverse, la République est l’expression du matérialisme athée et de la démagogie, et donc l’antichambre de la décadence marxiste94. Une hostilité totale que les socialo-communistes de la ville lui rendent bien basant leur propagande pour le referendum sur le symbole de la « Repubblica romana » (1849), exaltant la capacité populaire à renverser le pouvoir du « Pape roi », pour imposer Rome comme capitale incontournable de la nation italienne95. Le choix de cet épisode permet une double attaque anticléricale et antimonarchique96. La DC adopte une attitude peu confortable pour garantir, d’un côté, « l’esprit rénovateur de la libération » et de l’autre rassurer les classes bourgeoises : de ce fait, bien que formellement promoteurs de l’option républicaine – en accord avec les projets américains97 - les démocrates-chrétiens installés à Rome (les locaux et les

92 L’opinion publique accusait ce roi de faiblesse et d’incapacité politique : il avait en effet d’abord

permis à Mussolini d’instaurer la dictature et ensuite avait abandonné furtivement la capitale lors de la signature de l’armistice (8 septembre 1943) sans tenter d’organiser une défense militaire de la ville. Voir :

Paolo Monelli, Roma 1943, Torino, Einaudi, 1946.

93 Le prince avait toujours été hostile au nazisme et n’avait jamais approuvé l’entrée en guerre. Voir :

Mario Viana, La monarchia e il fascismo, Roma, L’Arnia, 1951 ; Giovanni Artieri, Umberto II e la crisi

della monarchia, Milano, Mondadori, 1983.

94 Voir : Francesco Traniello, La Chiesa e la Repubblica, in Id., Città dell’uomo. Cattolici, partito e

stato nella storia d’Italia, Bologna, Il Mulino,1990 ; Giovanni Sale, Dalla monarchia alla repubblica: Santa Sede, cattolici italiani e referendum, Milano, Jaca Book, 2003. Voir aussi : Francesco Barbagallo,

Dal ’43 al ’48. La formazione dell’Italia democratica, Torino, Einaudi,1996.

95 Il s’agit d’une république issue des révoltes de 1848 qui s’instaure sur les territoires des États

pontificaux et principalement à Rome : la « Repubblica romana » prive le Pape de ses pouvoirs temporaux et pendant ses 5 mois d’existence fonctionne comme laboratoire du « Risorgimento », en favorisant la rencontre des différentes instances nationalistes et la mise en place d’un système administratif extrêmement avancé (suffrage universel masculin, abolition de la peine de mort, liberté de

culte). Voir : Marco Severini, La Repubblica romana del 1849, Venezia, Marsilio, 2001.

96 Voir : La Monarchia contro la nazione, “L’Unità”, 30 mai 1946 ; Dopo 97 anni sventola sul

Campidoglio la bandiera della Repubblica Romana, ivi, 18 juin 1948.

97 Il est intéressant de noter comme les communistes antiaméricains applaudissent aux indications

prorépublicaines des États-Unis. Voir : Duro colpo per Umberto il provocatore. Stone respinge la

petizione monarchica per il rinvio del referendum e delle elezioni, “L’Unità”, 17 mai 1946 ; Uno schiaffo di Truman a Umberto, ivi, 1er juin 1946. Pour un regard historiographique, voir : Aldo A. Mola, Declino

fonctionnaires nationaux) dialoguent avec les milieux pro-monarchistes, pour parer à toute éventualité98. Malgré la volonté de tous les acteurs d’éviter la reprise de la guerre civile, arrivent d’ailleurs des signaux inquiétants avec la radicalisation drastique des manifestations99 : « monarchistes » et « républicains » semblent même se diviser le territoire urbain comme deux gladiateurs qui se préparent au combat100. Les premiers, qui résident principalement dans le centre-ville, défilent quotidiennement entre « l’Autel de la Patrie » et le Palais du « Quirinale » (siège de la cour du roi) ; les seconds qui habitent dans les quartiers périphériques préfèrent se rassembler près du Ministère de l’Intérieur, symbole du nouvel ordre démocratique101. Ainsi, c’est alors que les fractures idéologiques s’impriment dans le tissu urbain de Rome102. Justement, au lendemain du referendum, la propagande des communistes romains insiste fortement sur la connotation prorépublicaine et progressiste des quartiers populaires, opposée à la nature conservatrice des zones résidentielles, en faisant de ces résultats électoraux une claire indication stratégique pour le futur103. En dépit de l’étroite majorité des votes en faveur de l’institution royale à Rome104, les ultras monarchistes se retrouvent finalement dans l’impossibilité de triompher, car l’option « républicaine » a gagné à l’échelle nationale105. Pour les forces « rouges » de la « ville

e crollo della monarchia in Italia. I Savoia dall’Unità al referendum del 2 giugno 1946, Milano, Mondadori, 2008.

98 Voir : La sfinge di Trento. Ma De Gasperi è monarchico o è repubblicano?, “L’Unità”, 16 mai

1946.

99 Un rôle décisif dans cette inquiétude fut certainement joué par les évènements de Naples, où les

manifestations monarchistes s’étaient transformées en véritables moments insurrectionnels. Voir :

Teppaglia monarco-fascista assalta con bombe a mano una sezione del PCI a Napoli, “L’Unità”, 16 mai 1946.

100 Voir : Ogni tentativo di trasformare Roma in un centro di provocazione sarà sventato, “L’Unità”,

19 mai 1946. Voir aussi : La campagna elettorale: atmosfera arroventata, “La Stampa”, 18 mai 1946.

101 Voir : Gaetano Bonetta, Dal regime fascista alla Repubblica, in Id. et Giuseppe Talamo, Roma nel

Novecento. Da Giolitti alla Repubblica, Bologna, Cappelli, 1987, p. 510 ; Stefano Cavazza,

Comunicazione di massa e simbologia politica nelle campagne elettorali del secondo dopoguerra, in

Pier Luigi Ballini et Maurizio Ridolfi (dir.), Storia delle campagne elettorali in Italia, Milano, Bruno

Mondadori, 2002, pp. 197-203.

102 La nature structurelle de ce phénomène a été analysée dans le chapitre 1.

103 Voir : Nei quartieri della città e nei paesi della provincia i partiti del popolo e della Repubblica

si affermano, “L’Unità”, 4 juin 1946.

104 À Rome, c’est l’option monarchique qui prévaut par 30 000 votes de différence. Voir : Roma ha

votato contro la reazione e il fascismo per difendere la sua libertà, la sua pace e il suo lavoro, “L’Unità”,

11 juin 1946. Voir aussi : I risultati del referendum proclamati dalla Cassazione, “La Stampa”, 11 juin

1946.

105 Les milieux promonarchistes pensent concrètement à une action de force, mais la pression

conjointe de l’hostilité américaine à l’institution royale et de la loyauté des forces armées à l’option républicaine indiquée par le gouvernement en place poussent Umberto II à quitter le pays (13 juin) pour éviter une nouvelle guerre civile. À la décision du roi, contribue de manière décisive le « carnage de Naples », survenu le 12 juin 1946, lors d’une manifestation protestataire des monarchistes de la ville,

rudement réprimée par les forces de l’ordre (9 morts et 150 blessés). Voir : I torbidi di Napoli, “La

sacrée », il s’agit d’une victoire substantielle à capitaliser contre l’hégémonie traditionaliste du Vatican et contre le comportement sibyllin des démocrates-chrétiens. Comme l’affirme triomphalement le secrétaire de la fédération communiste de la capitale,

les forces républicaines à Rome sont telles qu’elles peuvent garantir au peuple italien de faire de Rome la digne capitale de la République. Libérée du terrorisme spirituel et des occasions de corruption, même ces masses romaines qui ont voté pour la monarchie se révèlent maintenant prêtes à collaborer avec les partis démocratiques et républicains dans l’œuvre de reconstruction de notre pays. […] Le résultat des élections […] montre que les classes moyennes sont en train de glisser en direction de la gauche en général et du parti communiste en particulier […], tout en brisant ainsi la prétendue tradition droitière de ces milieux106.

Au contraire, pour les autres composantes sociopolitiques de la ville, le résultat de cette bataille référendaire représente une sorte de choc, puisque la première campagne électorale d’après-guerre a montré toute l’habileté propagandiste et la solidité sociale du PCI : comme le rappelle Fabio Grassi Orsini, l’affirmation du militantisme communiste à l’aube de la République semble parfois engendrer une véritable « psychose de masse », qui produit un

effet profond sur les classes moyennes rapidement instrumentalisées par la politique centriste, bien avant le déclenchement de la guerre froide. Une psychose déterminée […] par la peur envers un parti dont la structure est perçue comme une organisation militaire dirigée par un leadership révolutionnaire, en mesure de conquérir le consensus des masses et d’utiliser la force pour prévaloir sur les autres partis qui, à l’égard des communistes, paraissent de simples et fragiles organisations électorales (à l’exception de la DC, qui sera justement récompensée). Cette « même » supériorité du PCI, fondée sur la discipline, sur l’organisation, sur l’engagement – éléments de fierté et de force du parti – est une raison de préoccupation pour l’électorat bourgeois, ainsi que pour les couches ouvrières qui adhère au parti catholique107.

106Considerazioni sul 2 giugno. Il risultato delle elezioni garantisce al popolo che Roma è la degna capitale della Repubblica, “L’Unità”, 9 juin 1946.

107 Fabio Grassi Orsini, Questione dell’ordine pubblico e lotta politica in Italia, in Giancarlo Monina

Le fait de se découvrir comme la première force politique du pays permet initialement à la DC romaine de gérer cette inquiétude croissante, grâce notamment au maintien du leadership gouvernemental et à la prédominance numérique obtenue au sein de l’Assemblée constituante108. Cependant, au fur et à mesure que les élections administratives approchent (novembre 1946), cette capacité de rassurer les milieux modérés de la ville devient de moins en moins efficace : au contraire de la consultation nationale, où le rôle de garant de l’ordre et de la paix la rendait extrêmement populaire, la physionomie de la « Démocratie chrétienne » semble fragile à l’échelle locale. En effet, dans le cadre citadin, le poids spécifique du Vatican et du « partito romano » limite fortement les marges de manœuvre de la DC, qui se retrouve de ce fait, coincée dans une position ultra-traditionaliste. Avec une image trop proche des réactionnaires monarchistes109 et droitière par rapport au centrisme national, les démocrates-chrétiens de la ville perdent, du coup, le charme de l’équilibre aux yeux des couches progressistes qui, par conséquent, se tournent en direction des propositions modernisatrices avancées par les socialo-communistes110. Dans ces conditions polarisées, le compromis qui tient ensemble les catholiques et les « rouges » dans le gouvernement national devient impraticable dans la capitale. Tout cela provoque enfin la création d’un vide instable au cœur du système urbain qui est rapidement rempli par les instances poujadistes du « Fronte dell’Uomo Qualunque » (UQ), étant donné que le modèle organisationnel des autres composantes du centrisme romain (libéraux, républicains) se révèle inapte à coopter des grandes masses d’électeurs111.

108 Au niveau national la DC est le premier parti avec 35,2% des votes, tandis que les socialistes ont

20,6% et les communistes 18,9%. Grâce à 6,7% des voix des libéraux et à 4,3% des républicains, le front des partis centristes conserve une marge de sécurité à l’égard des forces de gauche. Le secrétaire national de la DC, Alcide De Gasperi, est confirmé en effet dans sa place de Président du Conseil (il s’agit du premier gouvernement démocratiquement élu et à la fois du premier gouvernement de la République) le 14 juillet 1946. Dans le cadre de l’Assemblée constituante, la DC obtient 207 sièges, contre 115 des socialistes, 104 des communistes, 41 des libéraux, 23 des républicains. A l’échelle romaine, la DC écrase les adversaires avec 29,5% des votes qui représentent plus que le double du résultat des républicains (13,9%) et des communistes (13,3%), ainsi que le triple des socialistes (10 %). Les données sont disponibles sur le site du Ministère de l’Intérieur italien : www.elezionistorico.interno.it.

109 Réunis dorénavant dans le « Parti national monarchiste » (PNM). Voir : Domenico De Napoli, Il

movimento monarchico in Italia dal 1946 al 1954, Napoli, Loffredo, 1980 ; Andrea Ungari, In nome del re: i monarchici italiani dal 1943 al 1948, Firenze, Le Lettere, 2004.

110 Par exemple le « Partito d’Azione » (PdAz), qui réunit un milieu allant des radicaux aux

sociaux-démocrates, décide de participer aux élections à côté des socialo-communistes. Sur le PdAz, voir :

Giovanni De Luna, Storia del Partito d’Azione. 1942-1947, Torino, Utet, 1982.

111 Sur le « Fronte dell’Uomo Qualunque », mouvement poujadiste et farouchement anticommuniste

fondé en 1945 par le journaliste libéral Guglielmo Giannini, voir : Sandro Setta, L’uomo qualunque,

1944-1948, Roma, Laterza, 1975 ; Carlo Maria Lomartire, L’uomo qualunque. Guglielmo Giannini e l’antipolitica, Milano, Rizzoli, 2008. Pour un panorama sur les modèles et les structures des partis

italiens, au lendemain du conflit mondial, voir : Aldo G. Ricci et Pino Bongiorno, La rinascita dei partiti

À la veille des premières élections administratives, le spectre politique romain affiche donc un pôle « rouge » très solide (réuni sous la dénomination de « Blocco del Popolo »), auquel s’oppose une réalité profondément fragmentée qui isole les démocrates-chrétiens entre les nostalgiques du roi, les néo-guelfes et les poujadistes. En ce sens, la possibilité que la capitale du pays sauvée par les Anglo-américains et revenue sous la tutelle bienveillante du pape112 et d’un maire aristocrate et ultra-catholique113 - puisse tomber dans les mains des militants prosoviétiques semble se concrétiser : les tensions et les querelles de la campagne préréférendaire se transforment du coup en une véritable propagande apocalyptique114. Le camp anticommuniste commence alors à utiliser une effigie de Giuseppe Garibaldi115 - symbole électoral du « Blocco del Popolo » - dessinée comme l’icône renversée de Staline ; les journaux catholiques diffusent quotidiennement des appels pour le « salut de Rome », en rappelant que le vote implique aussi un choix existentiel « pour ou contre le Christ »116 ; la DC romaine suit les consignes vaticanes, en affirmant publiquement qu’aucun accord ne sera possible avec la liste socialo-communiste, indépendamment des résultats électoraux, à cause de la nature du marxisme qui représenterait même une « menace pour la civilisation italienne »117. De façon spéculaire, le PCI local attaque très durement la convergence des démocrates-chrétiens dans un rassemblement réactionnaire composé de monarchistes et fascistes, et donc formellement hors la loi118.

112 L’évènement emblématique qui avait établi cette nouvelle union morale entre la ville et le Vatican

est représenté certainement par la visite du Pape dans les quartiers populaires du quadrant sud-oriental

dévastés par les bombardements aériens. Voir : Cesare De Simone, Venti angeli sopra Roma : i