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2) Les outils pour étudier les tsunamis

2.1 Observations historiques

2.1.1 Archives

Les évènements marins anormaux ou perturbations aquatiques (comme les seiches12

12 Les seiches sont des ondes stationnaires dans un bassin fermé ou semi-fermé (Ardhuin et al., 2010)

dans les ports ou les surcotes associées aux tempêtes), associées ou non à des « tremblements de terre » ont souvent été répertoriés/mentionnés, de manière détaillée ou non, par les lettrés contemporains dans des lettres, des rapports périodiques soumis aux autorités supérieures, ou dans des documents d’église comme par exemple les nombreux documents disponibles contemporains aux séisme et tsunami de Lisbonne de 1755 (Baptista et al., 1998a). Aujourd’hui, les médias ont pris le relais de ces « rapporteurs », relatant de manière plus ou

moins exacte, les faits observés ou ressentis, essayant de captiver au maximum leurs lecteurs comme l’indique B. David, président fondateur de Communication Sans Frontières, citant une « sur-médiatisation aiguë de l’évènement » de 2004 dans l’océan Indien, ainsi qu’une « mondialisation de l’information [confrontant] tout un chacun à des informations racoleuses et contradictoires issues de sources diverses et confuses » (Humacoop, 2005). L’avènement d’internet dans les dernières années a permis de faciliter et d’accroître considérablement les transferts de données, et la connaissance des phénomènes naturels tels que les tsunamis s’est globalisée. La moindre vague anormale fait maintenant le tour du monde des médias, principalement à cause ou grâce à l’évènement de décembre 2004, et tout le monde, chercheurs compris, peut désormais recevoir l’information quasiment en temps réel : bulletin

ITIC13 pour les tsunamis, alerte USGS14 ou CSEM15

http://www.emsc-csem.org/service/real_time/index.php

pour les séismes, etc., et ces alertes sont même désormais disponibles sur les téléphones portables ( par exemple voir

pour l’alerte sismique ou http://www.tsunami-alarm-system.com/en/index.html pour l’alerte tsunami).

Mais revenons aux documents historiques : les archives sont très riches en informations concernant les séismes et les tsunamis bien qu’ayant souvent été délaissées par les chercheurs ou les ingénieurs du génie civil. Il est vrai qu’il faut du temps et des moyens humains et financiers pour effectuer des recherches historiques sérieuses, en recoupant les informations et en les (in-)validant. Par exemple, pour revenir au cas du tsunami de Lisbonne de 1755, les études cataloguaient, sans les discuter et sans les remettre en question, les observations concernant les effets, les temps d’arrivée, et surtout les tailles de vagues annoncés dans les documents historiques, ceux-ci n’étant parfois même pas contemporains de l’évènement. Dans des localités comme Cadix (Espagne) ou Tanger (Maroc), les tailles de vagues provenant des observations historiques (respectivement 18 m et 17 m en moyenne) étaient impossibles à reproduire avec les modèles numériques proposés. Ainsi, même lorsque le modèle était surestimé comme celui proposé par Gutscher et al. (2006) qui ne parvenait à obtenir que 6 m pour Cadix avec pourtant un rejet de 20 m sur la faille testée, il ne reproduisait que 30 à 50% de l’amplitude des vagues observées. Les travaux menés par

Paul-13

International Tsunami Information Center : http://ioc3.unesco.org/itic/categories.php?category_no=146

14 United States Geological Survey : https://sslearthquake.usgs.gov/ens/

Louis Blanc de l’IRSN16 (Blanc, 2008, 2009) mettent fin à la controverse sur les amplitudes du tsunami à Cadix et au Maroc : les observations historiques ont été ré-analysées consciencieusement par l’auteur, s’obligeant à remonter systématiquement à la source des documents historiques, au rapport originel, qui aurait été ensuite repris dans diverses autres publications. Il en déduit qu’une amplitude maximale de 2,5 m aussi bien à Cadix que sur la côte marocaine est suffisante pour expliquer toutes les observations historiques (Blanc, 2009). Cela montre un bon exemple du fait qu’il faille considérer les données historiques avec précaution et prendre du recul quant aux différentes interprétations qui ont pu en être faites, quitte à les mettre de côté si on ne parvient pas à retrouver le document initial ou tout simplement à le déchiffrer ou l’interpréter.

Deux exemples ‘européens’ peuvent illustrer mes propos : le premier concerne le tsunami de Djijelli (Algérie) de 1856 qui aurait été enregistré au port de Mahon sur l’île de Minorque (Baléares) : plusieurs publications récentes utilisent une information concernant l’arrivée d’un tsunami à Mahon le 21 août 1856 sans jamais citer la référence historique ; seules les études menées par Harbi et al. (2003, 2010) indiquent les documents à l’origine de l’information, la publication de 2010 ne se référant étonnement pas à ceux cités dans celle de 2003. Cette donnée est par ailleurs discutable comme nous le verrons plus tard (dans Roger et Hébert, 2008, partie 3.2.1) puisque c’est la seule information de tsunami reportée ailleurs qu’en Algérie pour cet évènement de 1856 et que les tsunamis atmosphériques ainsi que les glissements de terrain sous-marins sont relativement fréquents à Minorque (A noter qu’une tempête sévit dans le nord de la Méditerranée occidentale à ce moment là, Sahal, 2007).

Le second exemple concerne le tsunami du 6 avril 1580 qui aurait suivi le fameux séisme destructeur de Calais-Douvres d’une magnitude estimée à ML=5.8 (Neilson et al.,

1984 ; Melville et al., 1996 ; Musson, 2004). De la même manière que le cas précédent,

plusieurs études font référence à un ou plusieurs témoignages historiques faisant état d’inondations à Calais, Boulogne et Douvres, mais en menant une recherche approfondie sur cet évènement dans le cadre du projet MAREMOTI (mission TSUNORD 1, Roger et al., 2010d, Annexe 2), on se rend compte qu’aucun des auteurs ayant cité le(s) fameux document(s), que ce soit dans des catalogues de sismicité historique (Neilson et al., 1984 ; Musson, 1994) ou des études d’ingénierie pour la construction du tunnel sous la Manche (Varley, 1996), ne l’ont en leur possession et ne savent pas où il est disponible. Seule une

      

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personne finit par nous informer qu’il se trouve à la British Library de Londres, là où le service documentation nous avait dit que ce n’était pas le cas quelques semaines plus tôt. Or le problème de faire une nouvelle étude sans avoir le document historique, ou une copie, en sa possession, est le suivant : le document a pu être copié, puis repris, élagué, alourdi, cité et re-cité au fil du temps (430 ans) et on peut donc facilement affirmer que l’information originale a du être déformée, ce qui évidemment pose des problèmes en termes d’évaluation du risque sismique et du risque tsunami de la région pour lesquels nous avons besoin d’informations valides.

De plus, l’étude des documents historiques permet de découvrir des évènements là où personne ne s’y attendait : en effet, dans des régions où la culture du risque tsunami n’existe pas ou plus (typiquement comme à Sumatra en Indonésie avant 2004) (Inoue, 2005) et/ou où la période de récurrence de certains évènements comme les tsunamis est très large (Yamada et al., 2006 ; Jovanelly et Moore, 2009), les documents historiques tels que les archives du clergé, les carnets de bord des bateaux, etc., permettent de mettre à jour des évènements dans des régions où rien ne s’est passé depuis longtemps. Dans le détroit de Douvres par exemple, l’enquête de terrain de la mission TSUNORD 1 (Roger et al., 2010d) a révélé que les risques séisme et tsunami ne sont pas du tout connus et donc non ancrés dans la mémoire des habitants de la région, même de celle des historiens locaux, malgré une occurrence régulière de séismes de faibles magnitudes dans la région et de plusieurs évènements historiques dont un majeur le 6 avril 1580 (Roger et Gunnell, soumis à Geology, 2010 ; Roger et al., in prep.). Toutefois, des évènements plus récents ne sont pas forcément mieux connus :

Dominey-Howes et Minos-Minopoulos (2004) montre que la population des jeunes (≤ 50 ans) des îles

de Santorin (Grèce) ne possède pas la mémoire du risque ‘éruption volcanique’ comme les anciens (> 50 ans) qui en ont vécu une ; cette mémoire du risque n’a pas été transmise par la génération précédente, ou alors elle a été oubliée du fait du manque d’expérience d’une éruption de la part de cette population jeune. Ceci pose un problème puisque l’expérience d’un risque augmente la prudence et la perception face à ce risque.

A noter que de Vries (2010) indique que la vulnérabilité possède une forte composante temporelle, principalement reliée à l’appréhension du temps par les populations soumises à un aléa naturel, ce qui influence alors de manière significative leur vulnérabilité face à cet aléa.

A ces documents historiques « officiels » sont souvent associées les histoires, légendes et témoignages comme le démontre Dudley et al. (2009) dans leur étude sur l’intérêt des interviews vidéo des victimes de tsunami afin de sensibiliser les générations futures, ou Joku

et al. (2007) qui ont récolté les témoignages de tsunamis antérieurs à celui de 1998 en Indonésie et Papouasie Nouvelle-Guinée lors des études in situ pour quantifier l’impact du tsunami de Aitape du 17 juillet 1998 afin de faire un catalogue à jour des tsunamis dans la région et de voir si les gens avaient une connaissance de ce risque. En effet, les légendes relatent souvent une part de réalité, déformée au fil des siècles. La légende la plus connue relatant ce que l’on peut aisément attribuer à un tsunami revient au mythe de l’Atlantide (Platon, 360 J.C.) qui, d’après les interprétations qui en ont été faites, comme par exemple celles de Gutscher (2005), aurait disparu suite à un ou plusieurs forts séismes et un tsunami.

A noter que malgré une méconnaissance globale du risque tsunami en Indonésie en 2004, certaines populations, comme celles de Simeulue, avait conservé une culture du risque transmise par des histoires orales ce qui les sauva (McAdoo et al., 2006).

Une fois que des évènements sont connus et même localisés (source/impact/magnitude, etc), des recherches de dépôts de paléotsunamis sur le terrain peuvent être menées afin de corréler des évènements et de pouvoir remonter plus loin dans le temps pour un lieu donné.

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